Près de trente ans après
l'accident nucléaire de Three
Mile Island (Etats-Unis, 1979), plus de vingt après l'explosion
du réacteur nº4 de Tchernobyl
(Ukraine, 1986), la France affronte un tabou. Elle esquisse une "doctrine"
afin de se préparer à gérer les conséquences
d'une catastrophe nucléaire sur son sol. Dans les prochains jours,
le premier ministre sera destinataire d'une lettre du Comité directeur
pour la gestion de la phase post-accidentelle d'une situation d'urgence
radiologique (Codirpa) présentant des éléments de
réflexion susceptibles de fonder cette doctrine.
Ce courrier est le fruit de travaux conduits par l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) en lien avec des services et agences de l'Etat, les opérateurs nucléaires et certains acteurs associatifs, à la suite d'une directive interministérielle d'avril 2005. Il témoigne d'un changement radical dans la façon dont les autorités envisagent l'aléa nucléaire. Pendant des décennies, elles se sont montrées obsédées par la sûreté, insistant sur les mécanismes de défense et des statistiques rassurantes, l'accident n'ayant qu'une chance sur un million d'advenir, assurait-on fréquemment. Elles se placent désormais dans la perspective où il surviendrait bel et bien, avec des conséquences environnementales et sanitaires de moyen et long terme. "Jusqu'à présent, les textes géraient la phase d'urgence d'un accident, jusqu'à la fin des rejets radioactifs, ce qui donne lieu à une dizaine d'exercices par an, témoigne Jean-Luc Lachaume, directeur général adjoint de l'ASN. Le post-accidentel, c'est explorer ce qui se passe ensuite : comment revenir à une situation vivable, si tant est qu'elle le soit, dans les zones touchées." Pour se projeter dans cette situation, le Codirpa a imaginé deux scénarios – rupture de tube de générateur de vapeur, fusion partielle du cœur du réacteur – comprenant des rejets respectivement d'une heure et d'une journée. Faut-il ou non autoriser le retour des populations dans les territoires contaminés, et si oui à quelle échéance? Comment organiser leur suivi sanitaire, gérer les déchets, dimensionner les indemnisations? Une masse d'interrogations est née de ces exercices spéculatifs, conduits dans des groupes de travail spécialisés. En décembre 2007, un séminaire a permis de synthétiser ces contributions, et de mesurer le chemin qui reste à parcourir. Par exemple, "la méthodologie reste à définir sur l'évaluation de la dose reçue par la population, note M. Lachaume. Il faut introduire un débat scientifique, à froid, sur ce point controversé." Plus concrètement : décontaminer les maisons au jet, pour prévenir l'incrustation des radionucléides, ne va-t-il pas induire des pollutions dans les réseaux d'eau? Dans les zones agricoles, faudrait-il moissonner pour concentrer la radioactivité et s'en débarrasser, ou chercher sa dilution? En 2008, le Codirpa va commencer à donner des instructions aux préfets, organiser de nouveaux exercices de crise pour tester l'ébauche de"doctrine", engager des discussions avec les milieux associatif, éducatif, médical et médiatique. N'est-il pas inquiétant d'être encore au milieu du gué? "On sait bien gérer la première phase accidentelle, assure Jean-Luc Lachaume. On serait capable de bien réagir en cas de crise plus longue." "On peut modéliser, supputer; de toute façon, rien ne se passera comme prévu", estime Monique Sené, du Groupement des scientifiques pour l'information sur l'énergie nucléaire (GSIEN), qui a pris part aux travaux du Codirpa. La physicienne salue l'effort de l'Etat pour combler ses lacunes, mais estime qu'une des priorités consiste à associer la population. |
Fin connaisseur de la situation en Ukraine
et en Biélorussie, touchées au premier chef par le nuage
radiologique de Tchernobyl, Jean-Claude Autret, de l'Association pour le
contrôle de la radioactivité dans l'Ouest, a lui aussi participé
au Codirpa. "On travaille sur des accidents très minorés
par rapport à Tchernobyl, rassurants pour les autorités",
regrette-t-il, notant que le champ de recherche est "énorme".
Il se félicite cependant du changement de mentalité au sein de l'ASN, tant "il est dur d'appréhender le sacrifice d'un territoire pour plusieurs siècles, voire des millénaires". Hervé Morin
L'Autorité de sûreté nucléaire
(ASN) va remettre au gouvernement un rapport pour que soient mieux pris
en compte les risques sanitaires et environnementaux d'un éventuel
accident nucléaire, selon son directeur-adjoint de l'ASN Jean-Luc
Lachaume.
Les simulations d'accident se sont jusqu'à présent focalisées sur la première phase de secours d'urgence, durant les premières heures qui suivent un accident, comprenant la sécurisation du site et l'évacuation des habitants en danger. Le rapport qui doit être remis "sous une quinzaine de jours" au Premier ministre François Fillon, met l'accent sur le long terme car après un accident, "il reste de la contamination plus ou moins importante à l'extérieur de la centrale pendant une période qui peut durer de plusieurs mois à plusieurs années", a expliqué mercredi M. Lachaume. "Un certain nombre de problèmes délicats se posent, notamment le suivi sanitaire des populations qui ont pu être concernées par l'accident", a ajouté le haut responsable. "Qu'est-ce qu'on fait dans les zones qui ont pu recevoir de la radioactivité? Faut-il décontaminer? Comment faut-il indemniser? Il y a beaucoup de questions qui se posent", reconnaît le directeur-adjoint de l'ASN. "Il va falloir continuer à travailler en associant mieux le niveau local et les populations à la réflexion", notamment à travers les commissions locales d'information placées auprès des installations nucléaires et les associations de protection de l'environnement, précise le haut fonctionnaire. |