La renaissance
mondiale du nucléaire aura bien lieu [1]. Reste à savoir
qui en profitera. Le marché des constructeurs de centrales nucléaires
répond aujourd'hui à une organisation oligopolistique dans
laquelle AREVA, GE-Hitachi, Toshiba-Westinghouse et Rosatom se disputent
les parts de marché, chacun en vendant un unique produit ou presque.
Les barrières à l'entrée de ce marché sont
très fortes. On pourrait donc raisonnablement croire que ces acteurs
vont se partager les constructions de centrales induites par le renouveau
du secteur. Pourtant, certaines entreprises innovantes ne voient pas les
choses de cet œil et entendent bien réussir à s'immiscer
dans la cour des grands. Leur différence? Des choix technologiques
audacieux.
Deux visions nouvelles et prometteuses du nucléaire civil
Deux de ces entreprises développent
actuellement des projets très prometteurs: Hyperion
Power Generation (HPG) et son modèle de petites centrales
nucléaires autonomes faisant de la cogénération,
et Terrapower
et sa gamme de centrales TWR utilisant de l'uranium non enrichi.
HPG a conçu son module pour l'alimentation
des sites industriels isolés et très énergivores (industrie
minière ou usines de désalinisation de l'eau de mer par exemple),
mais cette technologie pourrait avoir des débouchés très
intéressants dans les pays les moins développés du
globe. En effet, le module conçu par cette entreprise est transportable
par train ou bateau, autonome (il ne nécessite pas de main d'œuvre
qualifiée pour le faire fonctionner) et peu cher tant à l'achat
qu'en fonctionnement. Il peut donc s'adapter aux besoins et aux contraintes
des pays ne disposant pas d'un réseau électrique développé
et nécessitant des sources d'énergies locales, sans pour
autant émettre de gaz à effet de serre.
Les ingénieurs de Terrapower sont partis
des constat suivants: d'une part l'enrichissement du combustible et son
recyclage posent problème quant à la prolifération
du nucléaire; et d'autre part le rechargement des centrales est
un processus coûteux. Le groupe a donc décidé de développer
des centrales appelées TWR (pour Travelling-Wave Reactor) qui utilisent
comme combustible de l'uranium 238. Ce produit, habituellement considéré
comme un déchet des phases d'enrichissement et de recyclage, présente
l'avantage d'être abondant et peu cher. Le seul site de Paducah aux
Etats-Unis compte par exemple 38.000 cylindres de «déchets»
représentant chacun 60 TWh électrique en sortie du générateur
TWR, soit 11,5% de la production électrique française en
2009. De plus, la «vague» de réactions (voir le schéma
ci-dessous) se propageant très lentement dans le combustible, ces
centrales pourraient avoir une durée de vie supérieure
à 100 ans sans recharger le combustible!
Ces deux entreprises ont des visions qui s'adressent
à des marchés et des usages différents. HPG pourrait
réussir à vendre ses modules dans des pays en voie de développement
ou à des industries très énergivores. Terrapower rentrerait
plus directement en concurrence avec les acteurs historiques en proposant
des centrales de puissance comparable, à la durée de vie
plus longue, et moins coûteuses à l'exploitation.
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Mais ces projets présentent un point commun important: ils proposent
des alternatives à la gestion des déchets et des pistes de
solutions pour les problèmes liés à la prolifération
du nucléaire. Le tableau suivant confronte les caractéristiques
de ces centrales à celles proposées aujourd'hui par les acteurs
historiques du marché.
Des issues aux questions centrales de la gestion des déchets
et de la non prolifération
Le réacteur conçu par Terrapower
consomme le plutonium produit au cours de la réaction. Ce plutonium
est aujourd'hui extrait à l'aide de procédés chimiques
lourds lors du recyclage du combustible, phase qui constitue de plus une
étape majeure de la construction d'armes nucléaires. Non
seulement ce réacteur consommerait ce qui est aujourd'hui considéré
comme un déchet, mais en plus il produirait beaucoup moins de déchets
fatals que les centrales de troisième génération.
Seul l'amorçage de la réaction nécessite de l'uranium
enrichi. Charles W. Forsberg, directeur de projet cycle combustible nucléaire
au MIT, estime que si on remplaçait le parc nucléaire mondial
actuel par des centrales de type TWR, «une seule usine d'enrichissement
dans le monde» suffirait à leur approvisionnement. Ce
paramètre est d'une importance considérable quand on sait
qu'une usine d'enrichissement de combustible diffère peu d'une usine
d'enrichissement à des fins militaires.
HPG propose des alternatives différentes
à ces questions. La quantité d'uranium enrichi ou les déchets
produits par leur module sont sensiblement les mêmes que pour les
centrales de troisième génération, c'est leur mode
de traitement qui est très différent. Au bout de 8 à
10 ans d'exploitation du module, son combustible est épuisé.
HPG s'engage alors à récupérer le module pour effectuer
différentes phases de traitement sur son site. Ainsi, les déchets
produits sont stockés dans le module pendant la phase d'exploitation,
et la gestion des déchets de tous les modules est centralisée.
Le module étant livré «prêt à utiliser»,
l'enrichissement est lui aussi centralisé, ce qui réduit
les risques de prolifération.
Ces deux «petits» du nucléaire
pourraient donc bien bouleverser le secteur du nucléaire dans les
années à venir. Le projet de Terrapower en particulier apporte
des solutions aux problèmes de l'approvisionnement en combustible
et de la production de déchets, se distingue par la volonté
de construire des centrales dans une gamme de puissance étendue,
et bénéficie du soutien financier de... Bill Gates. Ce dernier
est en effet un actionnaire important d'Intellectual
Ventures qui a créé le projet Terrapower. Toshiba a déjà
laissé entendre son intention de créer un partenariat avec
Terrapower pour apporter son expérience dans la construction de
centrales. Du côté de HPG, on annonce la production de 4.000
modules dans 3 usines d'ici à 2012, et des contrats commerciaux
d'ores et déjà signés. Un bel avenir semble donc promis
à ces projets, qu'il faudra suivre avec attention.
Note:
1. voir à ce sujet l'article de N. Goldberg: «Il
y a bel et bien une renaissance mondiale du nucléaire»,
paru sur la Chaîne Energie de l'Expansion et le quotidien Sud-Ouest.
C. Castel
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