CONTROVERSES NUCLEAIRES !
VEILLE NUCLEAIRE INTERNATIONALE
2010

Ces petits du nucléaire qui voient les choses en grand (?!)
ADIT, juin

     La renaissance mondiale du nucléaire aura bien lieu [1]. Reste à savoir qui en profitera. Le marché des constructeurs de centrales nucléaires répond aujourd'hui à une organisation oligopolistique dans laquelle AREVA, GE-Hitachi, Toshiba-Westinghouse et Rosatom se disputent les parts de marché, chacun en vendant un unique produit ou presque. Les barrières à l'entrée de ce marché sont très fortes. On pourrait donc raisonnablement croire que ces acteurs vont se partager les constructions de centrales induites par le renouveau du secteur. Pourtant, certaines entreprises innovantes ne voient pas les choses de cet œil et entendent bien réussir à s'immiscer dans la cour des grands. Leur différence? Des choix technologiques audacieux.
 

Deux visions nouvelles et prometteuses du nucléaire civil
     Deux de ces entreprises développent actuellement des projets très prometteurs: Hyperion Power Generation (HPG) et son modèle de petites centrales nucléaires autonomes faisant de la cogénération, et Terrapower et sa gamme de centrales TWR utilisant de l'uranium non enrichi.
      HPG a conçu son module pour l'alimentation des sites industriels isolés et très énergivores (industrie minière ou usines de désalinisation de l'eau de mer par exemple), mais cette technologie pourrait avoir des débouchés très intéressants dans les pays les moins développés du globe. En effet, le module conçu par cette entreprise est transportable par train ou bateau, autonome (il ne nécessite pas de main d'œuvre qualifiée pour le faire fonctionner) et peu cher tant à l'achat qu'en fonctionnement. Il peut donc s'adapter aux besoins et aux contraintes des pays ne disposant pas d'un réseau électrique développé et nécessitant des sources d'énergies locales, sans pour autant émettre de gaz à effet de serre.
     Les ingénieurs de Terrapower sont partis des constat suivants: d'une part l'enrichissement du combustible et son recyclage posent problème quant à la prolifération du nucléaire; et d'autre part le rechargement des centrales est un processus coûteux. Le groupe a donc décidé de développer des centrales appelées TWR (pour Travelling-Wave Reactor) qui utilisent comme combustible de l'uranium 238. Ce produit, habituellement considéré comme un déchet des phases d'enrichissement et de recyclage, présente l'avantage d'être abondant et peu cher. Le seul site de Paducah aux Etats-Unis compte par exemple 38.000 cylindres de «déchets» représentant chacun 60 TWh électrique en sortie du générateur TWR, soit 11,5% de la production électrique française en 2009. De plus, la «vague» de réactions (voir le schéma ci-dessous) se propageant très lentement dans le combustible, ces centrales pourraient avoir une durée de vie supérieure à 100 ans sans recharger le combustible!

     Ces deux entreprises ont des visions qui s'adressent à des marchés et des usages différents. HPG pourrait réussir à vendre ses modules dans des pays en voie de développement ou à des industries très énergivores. Terrapower rentrerait plus directement en concurrence avec les acteurs historiques en proposant des centrales de puissance comparable, à la durée de vie plus longue, et moins coûteuses à l'exploitation.

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Mais ces projets présentent un point commun important: ils proposent des alternatives à la gestion des déchets et des pistes de solutions pour les problèmes liés à la prolifération du nucléaire. Le tableau suivant confronte les caractéristiques de ces centrales à celles proposées aujourd'hui par les acteurs historiques du marché.

Des issues aux questions centrales de la gestion des déchets et de la non prolifération
     Le réacteur conçu par Terrapower consomme le plutonium produit au cours de la réaction. Ce plutonium est aujourd'hui extrait à l'aide de procédés chimiques lourds lors du recyclage du combustible, phase qui constitue de plus une étape majeure de la construction d'armes nucléaires. Non seulement ce réacteur consommerait ce qui est aujourd'hui considéré comme un déchet, mais en plus il produirait beaucoup moins de déchets fatals que les centrales de troisième génération. Seul l'amorçage de la réaction nécessite de l'uranium enrichi. Charles W. Forsberg, directeur de projet cycle combustible nucléaire au MIT, estime que si on remplaçait le parc nucléaire mondial actuel par des centrales de type TWR, «une seule usine d'enrichissement dans le monde» suffirait à leur approvisionnement. Ce paramètre est d'une importance considérable quand on sait qu'une usine d'enrichissement de combustible diffère peu d'une usine d'enrichissement à des fins militaires.
     HPG propose des alternatives différentes à ces questions. La quantité d'uranium enrichi ou les déchets produits par leur module sont sensiblement les mêmes que pour les centrales de troisième génération, c'est leur mode de traitement qui est très différent. Au bout de 8 à 10 ans d'exploitation du module, son combustible est épuisé. HPG s'engage alors à récupérer le module pour effectuer différentes phases de traitement sur son site. Ainsi, les déchets produits sont stockés dans le module pendant la phase d'exploitation, et la gestion des déchets de tous les modules est centralisée. Le module étant livré «prêt à utiliser», l'enrichissement est lui aussi centralisé, ce qui réduit les risques de prolifération.
     Ces deux «petits» du nucléaire pourraient donc bien bouleverser le secteur du nucléaire dans les années à venir. Le projet de Terrapower en particulier apporte des solutions aux problèmes de l'approvisionnement en combustible et de la production de déchets, se distingue par la volonté de construire des centrales dans une gamme de puissance étendue, et bénéficie du soutien financier de... Bill Gates. Ce dernier est en effet un actionnaire important d'Intellectual Ventures qui a créé le projet Terrapower. Toshiba a déjà laissé entendre son intention de créer un partenariat avec Terrapower pour apporter son expérience dans la construction de centrales. Du côté de HPG, on annonce la production de 4.000 modules dans 3 usines d'ici à 2012, et des contrats commerciaux d'ores et déjà signés. Un bel avenir semble donc promis à ces projets, qu'il faudra suivre avec attention.

Note:
1. voir à ce sujet l'article de N. Goldberg: «Il y a bel et bien une renaissance mondiale du nucléaire», paru sur la Chaîne Energie de l'Expansion et le quotidien Sud-Ouest.

C. Castel
Pour se "décrasser " les idées:
Cinq arguments contre le retour au nucléaire, Jeremy Rifkin
La relance du nucléaire s'annonce plus difficile que prévu