Une nouvelle étude de grande ampleur
comparant la distance des habitations par rapport aux lignes à haute
tension et la survenue de leucémies de l'enfance montre un lien
statistique faible, mais réel. Aucune explication basée sur
des modèles expérimentaux ne permet de comprendre la cause
de cette augmentation du risque relatif.
En 2001, une monographie du Centre international de recherches sur le cancer (Circ), basé à Lyon, classait les champs magnétiques de très basse fréquence (produits par les lignes à très haute tension) dans le groupe 2B des agents «peut-être cancérigènes». Cette décision était basée sur des «données épidémiologiques limitées» et des données expérimentales animales «inappropriées». Pour le Circ, «le mode d'exposition à cet agent entraîne des expositions qui sont peut-être cancérigènes pour l'homme». Il s'agissait essentiellement de l'exposition aux champs magnétiques de l'électricité domestique dans les maisons. Une nouvelle étude, publiée demain dans le British Medical Journal (1), confirme le travail du Circ et d'autres travaux américains et britanniques, publiés en 2000 et 2004. Il existe bel et bien un risque relatif faiblement plus grand que la normale que les enfants nés dans des maisons à proximité de lignes à haute tension soient atteints d'un excès de leucémies infantiles. L'étude cas-contrôles a été réalisée par Gerald Draper (université d'Oxford). L'un des coauteurs, John Swanson, est a priori peu suspect de militantisme «antilignes hautes tension» puisqu'il est salarié de l'entreprise qui gère le réseau britannique, National Grid Transco. L'équipe a identifié grâce au registre national des cancers de l'enfant 33 000 cas de cancers d'enfants de moins de 15 ans nés en Grande-Bretagne entre 1962 et 1995. Pour 31 000 d'entre eux, il a obtenu des registres de naissance, la date et le lieu de résidence. La cohorte finale était composée de 29 081 paires : à chaque enfant malade, correspondait un «contrôle», un enfant indemne, de même sexe, né le même semestre dans le même district. Pour calculer les distances entre résidences et lignes électriques, les chercheurs ont sélectionné dans le réseau du National Grid in England and Wales toutes les lignes aériennes de 275 000 et 400 000 volts, plus une petite fraction des lignes de 132 000 volts. Grâce au code postal du lieu de résidence des nouveau-nés, Gerald Draper a identifié ceux qui habitaient à moins d'un kilomètre d'une ligne haute tension. Résultats : pour les leucémies infantiles (et non pour les autres cancers, infantiles ou adultes) le risque relatif est plus élevé que la normale dans chacune des tranches de 100 mètres, et jusqu'à 600 mètres de distance d'une ligne. Ainsi entre 0 et 50 m, il est de 1,67 ; entre 50 et 100 m, il est de 1,79 et, de 100 à 200 m, il est de 1,64. Draper a voulu savoir si la relation entre la distance à la ligne et le risque de leucémie n'était pas une conséquence d'un statut socio-économique particulier des habitants proches des lignes. Tout biais social semble écarté, affirme l'auteur. Ils confirment au contraire des travaux antérieurs selon lesquels le risque de leucémie serait plus élevé dans les familles plus riches (sans qu'on ait d'explication). |
«Cette étude peut être analysée
comme renforçant les données déjà existantes,
aboutissant à la même conclusion inexplicable», explique
Robert Baan (Circ, Lyon) «Lorsque nous avions classé en 2001
ces champs dans la catégorie potentiellement cancérigène,
nous n'avions pas trouvé d'étude liant la distance aux lignes
et le risque de leucémie.» Robert Baan précise qu'aux
Pays-Bas, une règle établit une zone non-résidentielle
au-dessous et à distance des lignes HT.
Pourquoi ce surrisque modeste ? «Le résultat pourrait être dû au simple hasard, par exemple si les sujets contrôlés ne sont pas suffisamment représentatifs de la population», admettent les auteurs. «Nous n'avons aucune explication satisfaisante pour nos résultats.» Une estimation établit que sur les 400 à 420 cas de leucémies de l'enfant diagnostiqués chaque année en Grande-Bretagne, environ cinq cas seraient associés à la proximité de ces lignes HT. Généralement, les rayonnements à partir d'une source diminuent en intensité directement en fonction de la distance ; mais les champs électromagnétiques émis d'une ligne à haute tension diminuent comme le carré inverse de la distance, et parfois comme le carré au cube ! «Que le surrisque de leucémies s'étende aussi loin de la ligne est surprenant du fait du faible niveau produit par ces lignes à de telles distances», admet Gerald Draper. (1) BMJ du 4 juin 2005. http://bmj.bmjjournals.com/cgi/content/abstract/330/7503/1290 Une relation encore obscure En 1958, une importante étude cas-contrôle au Royaume-Uni montre définitivement que les radios sur l'abdomen des femmes enceintes augmentent de 50% le risque de leucémie de l'enfant à naître. Pour ce qui est d'un autre type de rayonnement, les champs magnétiques de très basse fréquence, depuis vingt ans, aucune étude n'a véritablement trouvé de lien épidémiologique fort ni de relation causale avec les leucémies. En 2000, le British Journal of Cancer publie une méta-analyse de neuf études publiées qui ne trouve aucune corrélation pour les champs d'intensité inférieure à 0,4 microtesla, mais un risque doublé pour les intensités supérieures à ce seuil. Après étude de la littérature savante, le Circ (Centre international de recherche sur le cancer) de Lyon classe ces champs dans les agents «potentiellement cancérigènes». L'étude publiée demain par le BMJ est la première à trouver un surrisque lié à la distance de l'habitat des enfants leucémiques à des lignes de haute tension. Mais la leucémie infantile lymphoblastique aiguë, la plus fréquente de toutes, pourrait plutôt être due à des causes génétiques, mais aussi sociales. Exemple : les enfants allant tôt à la crèche s'immunisent plus vite contre les infections et ont un risque plus faible de développer une leucémie. Jean-Michel Bader
[03 juin 2005] |