La part importante que prend l'énergie
de fission dans la production d'énergie, pose à moyen terme
le problème de l'approvisionnement en combustible. On sait que les
filières exploitées jusqu'à ce jour, utilisent exclusivement
l'uranium, composé sous sa forme naturelle de 0,7% d'U235 (l'isotope
«fissile») et 99,3% d'U238 (l'isotope «fertile»
conduisant au plutonium). Actuellement les réserves de minerai d'uranium
connues (déc. 1977-OCDE) seraient de l'ordre de 1,65 millions de
tonnes d'uranium à un prix d'extraction inférieur à
400 F/kg. A cela s'ajoutent des réserves de 0,54 millions de tonnes
à un coût d'extraction plus élevé (entre 400
et 650 F/kg). Selon un rapport OCDE datant de 1973, ces réserves
seraient pratiquement épuisées d'ici 1990 compte tenu des
programmes nucléaires projetés à l'époque,
c'est-à-dire avant le recours massif au nucléaire (rappelons
que le programme électronucléaire français actuel
fut lancé en mars 1974). De plus, la plupart des pays se dotent
maintenant de la filière qui s'est imposée sur le marché,
la filière à eau légère dont on sait qu'elle
utilise mal l'U235. Il existe dans les pays industrialisés, au niveau
gouvernemental, deux stratégies énergétiques
qui s'appuient sur cette situation:
A. Celle arrêtée par les États-Unis vise à freiner l'énorme gaspillage énergétique du pays et à réduire notamment les importations de pétrole. Cette stratégie s'appuie sur la filière à eau légère en éliminant le recours aux surgénérateurs, mais en développant d'autres filières (cycle au thorium par ex.), ainsi que les énergies nouvelles. Ces propositions ont été synthétisées dans la déclaration du Président J. Carter du 7 avril 1977 sur la politique nucléaire. Elles sont possibles pour ce pays qui détient environ 25% des réserves mondiales connues d'uranium, ainsi que d'importants gisements de charbon et de schistes bitumineux. Dans ce contexte, le nucléaire apparaît comme un vecteur énergétique parmi d'autres, voire comme une énergie de transition[2]. Il est alors possible d'écarter l'utilisation commerciale de la technique de surgénération à base de plutonium en invoquant des raisons politiques liées à la non-prolifération de matières fissiles utilisables à des fins militaires. Il s'ensuit qu'actuellement les États-Unis renoncent au retraitement de combustibles irradiés d'origine civile, ceux-ci étant pour l'instant stockés en piscine. B. Celle dans laquelle s'engagent des pays ayant peu de ressources énergétiques comme la France et le Japon et qui sont fortement dépendants d'importations pétrolières, ou des pays juste autosuffisants tels la Grande-Bretagne, l'Allemagne de l'Ouest, les Pays-Bas. Les pays de l'OCDE importent globalement les 2/3 de leurs besoins énergétiques et l'option nucléaire se confirme en Europe comme au Japon. Comme ils détiennent en propre peu de minerai d'uranium[3], ces pays sont tentés de réutiliser le plutonium produit dans les réacteurs à eau légère, soit dans ces mêmes réacteurs, soit en adoptant la filière à neutrons rapides. Cette dernière est le cheval de bataille de la France dans la mesure où la surgénération est possible avec cette filière qui deviendrait ainsi une véritable mine de plutonium à portée de main! (suite)
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Il est alors argumenté qu'on pourra brûler l'U238 en plus de l'U235, multipliant ainsi le pouvoir énergétique contenu dans l'uranium par environ 70. On pense ainsi résoudre le problème posé par l'appauvrissement des ressources naturelles en minerai d'uranium. Mais pour pouvoir promouvoir cette filière, à grande échelle, il faut être capable de retraiter non seulement les combustibles irradiés de la filière à eau légère, mais surtout ceux de la filière à neutrons rapides de manière à extraire le plutonium formé. Le retraitement apparaît donc comme la véritable clef de voûte de la stratégie énergétique basée sur le surgénérateur. Dans une mesure moindre, des pays comme l'Allemagne de l'Ouest, l'Angleterre envisagent de recycler le plutonium des réacteurs à eau légère et sont plus prudents quant au développement massif de surgénérateurs. Dans tous les cas, le retraitement est considéré comme une affaire commerciale d'autant plus prometteuse que les États-Unis en sont absents et pour laquelle des projets ambitieux d'usines de retraitement sont en cours en France, Grande-Bretagne et RFA . Le présent rapport tente de faire le point actuel sur le retraitement en France, et à l'étranger. Dans ce domaine, où on a beaucoup promis du côté des gouvernements, il faut constater que l'on est actuellement dans une situation de pénurie et d'attente au niveau mondial. Une situation de pénurie
* Voir bibliographie. 2. Voir Gazette N°21 3. La France est le seul pays de l'OCDE possédant de l'uranium d'une manière significative (environ 3% des réserves mondiales). 4. On verra plus loin que les doses reçues augmentèrent au fil des années (7 rems en moyenne la dernière année.) p.2
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Une situation d'attente
Parce que malgré les nombreuses difficultés rencontrées, et que nous évoquerons dans ce rapport, les divers pays industrialisés se lancent dans des projets importants: - en France, l'extension de l'usine de La Hague UP3 (2 x 800 T/an), alors que HAO + UP2 n'ont pas encore fonctionné industriellement. - En Grande-Bretagne, le projet Thorpe, extension de Windscale (1.200 T/an). - En RFA, le projet de Gorleben (1.400 T/ an). Aux Etats-Unis où le retraitement est actuellement suspendu, l'usine de Barnwell de 1.500 T/an serait déjà prête de fonctionner depuis 1976. Notons égaIement des projets très lointains d'Oak-Ridge (2.100 T fan) et Savannah River (3.000 T/an), ainsi que l'échec de l'Usine de Morris basée sur le procédé Aquafluor. De nombreuses recherches, commanditées par les militaires, ont abouti aux États-Unis, dans les années 50, à l'élaboration du procédé PUREX d'extraction par solvants. Or, ce procédé très bien adapté aux combustibles «militaires» peu irradiés et pour lesquels il a d'ailleurs été mis au point, donne lieu à de nombreuses difficultés techniques à partir du moment où il est utilisé dans le retraitement de combustibles très irradiés. Ces difficultés ne sont pas de nature fondamentale et peuvent souvent être maîtrisées au niveau du laboratoire ou même d'une unité pilote. Mais en passant au stade industriel, conséquence de l'électro-nucléaire de masse, ces difficultés se traduisent par une série d'arrêts, d'interventions manuelles (par exemple, débouchage de conduits de fluide), le tout occasionnant une augmentation des doses, une contamination prématurée des installations et une baisse de rendement. Ce dernier point se traduit (voir tableau 2 p.7) par le fait que plus la capacité nominale d'une unité est importante, plus le facteur de charge décroît. Il est tout à fait remarquable de voir comment un seul procédé (PUREX) s'est imposé sur le marché de retraitement, parce qu'il a reçu dans le passé la quasi totalité des crédits de recherche militaire. Tous les autres procédés (on en a dénombré 32 en tout) demeurent, pour l'instant, des réalisations de laboratoires. Bien que PUREX ne soit donc pas le procédé optimum pour un retraitement industriel des combustibles de la filière à eau légère, il sera utilisé dans les usines futures. Or ici va apparaître un deuxième problème qui est celui du retraitement des combustibles encore plus irradiés de la filière à neutrons rapides pour lequel rien n'est opérationnel. En effet les recherches, menées surtout en France, sur un procédé par voie sèche qui remplacerait très avantageusement le procédé PUREX n'en sont qu'à un stade très préliminaire. Il apparaît d'ailleurs comme pratiquement acquis que l'on s'oriente partout plutôt vers une modification du procédé PUREX pour l'adapter au retraitement des combustibles mixtes (c'est-à-dire contenant environ 1% de PuO2[6]) puis par la suite aux combustibles rapides. Un autre problème majeur, lié au retraitement, est celui des pertes en plutonium. On estime ces pertes à quelques % (selon les installations) dans les déchets divers, dans l'environnement (quelques 10-4). Or, le retraitement vu dans l'optique de la surgénération doit satisfaire à la condition suivante: que le taux de perte en Pu reste très inférieur au taux de surrégénération (de l'ordre de 6%). (suite)
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L'expérience actuelle en la matière indique que ce taux compenserait à peine le taux de perte au niveau des usines de retraitement et de fabrication de combustibles à base de PuO2. On peut, dans ces conditions, s'interroger sur la faisabilité du programme de surgénérateurs. Les combustibles très irradiés sont stockés au moins 6 mois près du réacteur et un an à l'usine de retraitement pour les laisser refroidir suffisamment. Dans le cas d'une économie de production énergétique, basée sur l'utilisation du plutonium, on devra se garder d'immobiliser si longtemps ce précieux métal à l'intérieur des combustibles; d'où une contradiction avec la nécessité, en l'état actuel de la technologie, d'un temps de refroidissement d'au moins un an et demi. A l'occasion des diverses opérations mécaniques et chimiques, de la gestion des déchets de toutes sortes et du conditionnement de l'uranium et du plutonium, les travailleurs d'une usine de retraitement sont exposés collectivement à des doses de rayonnement. On constate que pour l'ensemble des usines de retraitement, ayant fonctionné ou en fonctionnement, la dose totale annuelle est de l'ordre de 800 à 3.600 h.rem[7] par 1.000 MW(e) fonctionnant à 100% pendant une année. Les variations autour de la moyenne dépendent de l'état des installations et, dans ce rapport, on notera à West-Valley et, dans une moindre mesure à La Hague, une détérioration au fil des ans. Tant que le nucléaire restait marginal dans la production d'électricité, le rapport indiqué ci-dessus de 0,800 à 3,600 h.rem/MW(e)/an entraînait des doses individuelles généralement inférieures à la limite annuelle légale de 5 rems[8]. Avec le passage à l'électro-nucléaire de masse, les choses prennent une dimension toute nouvelle... Si l'on voulait rester alors dans les valeurs actuelles de dose, il faudrait gagner environ un facteur allant de 50 à 100 suivant les cas[9]. On verra plus loin qu'il n'est nullement démontré pour les nouvelles installations projetées qui utilisent la même technologie que les anciennes, la possibilité de réduire la dose intégrée/MW(e)/an d'un tel facteur... Enfin les choses se compliquent le jour où les législations en vigueur concernant la protection radiologique suivront la dernière recommandation ICRP26 qui prévoit une dose moyenne inférieure à 0,5 rem/an pour un groupe important travaillant dans un centre nucléaire. Un autre problème important est celui des rejets d'effluents liquides et gazeux. Nous discuterons, dans ce rapport, des normes sous leur aspect juridique. Ce qui frappe dans le cas de la France, c'est l'absence de normes quantitatives de rejets, contrairement à ce qui se passe dans le cas des réacteurs PWR. Ceci apparaît d'autant plus choquant que les rejets d'usine de retraitement sont bien plus importants (rejet total du Kr-85[10], du tritium par exemple) que ceux d'un réacteur en fonctionnement normal. 5. Voir Gazette N°7. 6. Oxyde de plutonium. 7. h.rem: unité de dose collective (homme multiplié par rem). Une dose donnée peut ainsi être répartie sur un groupe de travailleurs. La dose individuelle moyenne sera alors d'autant plus faible que cette collectivité sera importantc. 8. Cette remarque ne signifie pas que l'on doive se satisfaire de la situation présente (voir notamment les revendications sur ce sujet des travailleurs de La Hague lors de la grève de 1976). 9. Par exemple, dans le cas "favorable de La Hague". la dose annuelle la plus forte fut de 720 rems en 1976 ... Avec UP3A + UP3B = 1.600 t/an, si le rapport de 0,8 rem/MW(e)/an n'était pas amélioré, on devrait s'attendre à une dose intégrée annuelle de: 0.8 x 1.000 MW(e) x 1.600 t/33 t/par an = 39.000 h x rems, soit 50 fois plus qu'en 1976. 10. Krypton 85. p.3
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La procédure utilisée
en France est celle de "la demande d'autorisation de rejets". Dans
ce domaine précis, une loi cadre nucléaire serait bien utile
pour définir des critères quantitatifs concernant les rejets.
Des études faites dans le Nord Cotentin et dans la Mer d'Irlande
indiquent une concentration de divers radioéléments, notamment
le plutonium, dans les organismes minéraux et végétaux.
Il est pour le moins nécessaire de revoir l'idée selon laquelle
les courants marins dilueraient parfaitement ces rejets.
En ce qui concerne les usines en terre ferme, tel Gorleben, des normes de rejets existent. Il est prévu de retenir une partie du Kr-85 et du tritium (mais pas le C-14[11], bien que celui-ci ait un effet radiologique à long terme plus important que les autres). Au niveau mondial, on se préoccupe d'ailleurs des effets conjugués sur une longue période des rejets gazeux provenant de toutes les unités nucléaires fonctionnant dans le monde (voir par exemple, Conférence de Salzbourg, 1977). D'autre part, l'opinion publique sensibilisée sur ces problèmes exige que l'on tende vers des rejets nuls ... En l'absence d'informations précises sur UP3[12] - informations refusées en France - on ne sait pas grand chose sur ce que seront ces rejets. En ce qui concerne Gorleben, ces rejets devraient être très limités, mais il faudra voir comment fonctionneront des dispositifs prévus de rétention non encore opérationnels sur le plan industriel. A supposer que l'on parvienne à retraiter industriellement, que fera-t-on des déchets de haute activité produits? Tous les projets futurs misent sur le procédé de vitrification. Le stockage définitif des verres se ferait en structure géologique stable (par exemple, le dôme de sel de Gorleben). Il existe de nombreuses interrogations quant à la tenue de ces verres sur des échelles de temps se chiffrant par millions d'années (taux de lixiviation, effets du rayonnement, de la chaleur, de la corrosion, etc.). Il n'existe d'ailleurs pas de critères quantitatifs auxquels devrait satisfaire une structure géologique pour le confinement de ces verres. Malgré ces aléas techniques et écologiques (devenir des déchets), le retraitement est entré en Europe de l'Ouest depuis plusieurs années, dans une phase commerciale. La France, et dans une moindre mesure, la Grande Bretagne, se sont engagées à retraiter des milliers de tonnes de combustibles étrangers, alors que le retraitement ne fonctionne nulle part sur une échelle industrielle et d'une manière satisfaisante. On assiste à un véritable bluff commercial qui profite aux uns, les vendeurs, pour entamer le processus de la commercialisation du surgénérateur et occuper un créneau commercial laissé vacant par les Américains, aux autres, les clients, parce qu'ils peuvent justifier le recours à l'énergie nucléaire devant leur propre opinion publique en laissant entendre que le problème des déchets est résolu ailleurs. Cependant, cette commercialisation entraînera des transports dangereux de liquides de haute activité, ou de verres radioactifs qui devront retourner chez leur propriétaire. Il s'ensuivra également une augmentation globale de la production de plutonium, de son transport avec tous les risques de vol, de prolifération que ceci comporte. Il faut encore signaler que la France se distingue par rapport aux autres pays de l'Ouest Européen et des États-Unis, par la manie du secret (par exemple, sur les résultats des mesures du SCPRI[13]), sur les projets technologiques comme UP3, et même sur des données techniques concernant La Hague, et qui ne relèvent pas du secret industriel. L'existence d'un tel état de fait justifierait à lui seul une attitude pour le moins sceptique et critique sur les réelles capacités industrielles de retraitement, dans le cadre des promesses et des prévisions toujours fort optimistes ... (suite)
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En conclusion, il ressort de cette étude que: 1. Le retraitement des combustibles oxydes n'a pas encore fait la preuve de sa faisabilité industrielle et ce au niveau mondial. La situation de «panne» est quasi générale et les tonnages retraités jusqu'à ce jour pour l'Europe de l'Ouest et le Japon représentent à peine 10% du tonnage déjà produit par les réacteurs à eau légère ... On constate également que les facteurs de charge sont décroissants avec la capacité maximale théorique des usines ayant fonctionné ou en fonctionnement, et ceci à un moment où les programmes électro-nucléaires basés sur l'eau légère ne font que démarrer. 2. On observe un rapport de l'ordre de 1 h.rem/MW(e) x an entre la dose collective intégrée au cours du retraitement et la production d'électricité correspondante. Pour rester dans les limites actuelles de doses individuelles et sans étendre la pratique de l'embauche des personnels intérimaires en vue de répartir les doses collectives, il faudrait disposer de techniques de retraitement capables de réduire ce rapport d'un facteur de l'ordre de 100. Cette possibilité n'est nullement démontrée pour les installations futures. De plus, la prise en compte de la nouvelle recommandation du Comité International de Protection contre les Rayonnements (CIPR 26) et les résultats récents sur les effets des faibles doses ne pourra que rendre plus aiguë cette situation. 3. Une des raisons techniques majeures de ces difficultés réside dans l'utilisation exclusive du procédé PUREX. Si celui-ci est applicable à l'extraction du plutonium militaire de combustibles très peu irradiés (pour laquelle il a d'ailleurs été développé), il apparaît comme inadapté au retraitement sur une échelle industrielle de combustibles très irradiés (filières à eau légère, neutrons rapides). 4. De plus, à supposer que les problèmes précédents soient résolus, il n'en reste pas moins qu'il n'existe actuellement aucune solution satisfaisante pour l'élimination des déchets de longue vie. Aussi, un certain nombre de questions se posent: a) Dans quelles conditions, le retraitement des combustibles de la filière graphite-gaz doit-il se poursuivre, étant entendu que ceux-ci ne supportent pas un stockage prolongé en piscine? b) En ce qui concerne le retraitement des combustibles oxydes, doit-il être engagé sur une grande échelle alors que la faisabilité industrielle et technique ( phrase incomplète) ou doit-il être différé jusqu'au moment où une technologie spécifique soit opérationnelle sur le plan industriel, ou alors doit-on s'engager dans la voie du non-retraitement? Dans le cas ou l'on diffèrerait le retraitement, des efforts devraient être consentis dès maintenant, en vue d'élaborer une technique spécifique. Celle-ci devrait intégrer, dès le départ, tous les aspects sociaux et d'impact sur l'environnement; ceci ne pourra être réalisé qu'avec l'accord et le concours de l'ensemble des travailleurs du retraitement. En tout état de cause, doit-on accepter la politique actuelle de banalisation et de commercialisation du retraitement et plus particulièrement la politique des contrats avec des pays étrangers? Quelles que soient les options que l'on prenne pour le devenir des combustibles irradiés - dont un large tonnage existe déjà - il paraît nécessaire de ne pas démarrer de nouvelles tranche à en eau légère et de renoncer à tout programme surgénérateur, de façon à ne pas aggraver une situation déjà très sérieuse. 11. Carbone l4 12. Voir Gazette N°12. 13. Service Central de Protection contre les rayonnements ionisants (Dépendant du ministère de la Santé). p.4
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Rappel sur les filières
et la composition des combustibles irradiés
Rappelons qu'une filière nucléaire est caractérisée par la nature physique et chimique du combustible contenant la matière fissile (U-233, U-235, Pu-239[14]), par le fluide caloporteur et enfin par le modérateur destiné à ralentir éventuellement les neutrons rapides émis lors de chaque fission. Parmi les isotopes fissiles, seul l'U-235 existe dans la nature à raison de 0,7% dans l'uranium naturel. Les deux autres isotopes fissiles, U-233 et Pu-239, sont artificiels et produits respectivement à partir du Th-232[15] (filière dite du thorium) et de l'U-238, par capture neutronique suivie d'émission bêta négative. Il existe essentiellement trois filières sur le plan commercial: A. La filière «uranium naturel - graphite-gaz» développée surtout en Grande Bretagne (sous le nom filière «Magnox» et en France (sous le nom filière "UNGG"). Le combustible est de l'uranium naturel sous forme métallique gainé au magnésium, le fluide caloporteur du gaz carbonique et le modérateur du graphite. Il nous faut mentionner ici la filière AGR (Advanced gaz cooled reactor) dérivée du "Magnox" et développée en Grande Bretagne pour les nouveaux réacteurs. Elle utilise à la place de l'uranium naturel, de l'oxyde d'uranium enrichi en U-235 jusqu'à 2,4% environ. B. la filière à eau légère (PWR et BWR) développée aux Etats-Unis pour les moteurs sous-marins, est pratiquement adoptée partout dans le monde. Le combustible est constitué d'uranium enrichi en U-235 jusqu'à 5% (en moyenne 3,5%) et se présente sous forme de pastilles d'oxyde d'uranium UO2 placées généralement dans une gaine en alliage au zircomum (Zircalloy) formant un "crayon" de combustible de 4 m de longueur. Les éléments de combustible sont des assemblages de 240 crayons environ mis dans des boîtiers de section carrée. On peut également remplacer une partie de l'U-235 par du plutonium (mélange mixte d'oxydes d'U et de Pu appelé MOX). L'eau naturelle (eau "légère" joue le rôle à la fois de fluide caloporteur et de modérateur. C. La filière à eau-lourde utilisée essentiellement au Canada (filière CANDU) utilise l'uranium naturel sous forme d'oxyde et l'eau lourde comme fluide caloporteur et modérateur. Il y a enfin un projet industriel, la filière à neutrons rapides (Superphénix en France) qui utilise comme combustible un mélange d'oxyde d'uranium et de plutonium jusqu'à 25% en PuO2), le sodium comme fluide caloporteur. Il n'y a pas dans ce cas de modérateur . Au cours de son séjour dans le réacteur, la composition du combustible se modifie. Dans le cas des filières utilisant l'U-235, la teneur de cet isotope diminue au profit des produits de fission (désignés par PF). Ces noyaux de numéro atomique compris entre 35 et 63 sont généralement émetteurs béta négatifs et gamma. Parmi les plus connus et les plus abondants, on peut citer l'Iode-131 (T1/2 = 8,05j[16], le Cesium-137 (T1/2 = 30 ans), le Kr-85 (T1/2 = 10,8 ans), le Strontium 90 (T1/2 = 28,5 ans). Il apparaît également des noyaux plus lourds que l'uranium, appelés transuraniens et formés par capture successive de neutrons suivis d'émission bêta négative à partir de U-238. Ce sont les divers isotopes du neptunium, du plutonium dont notamment l'isotope "fissile" Pu-239, de l'americium et du curium. Ces éléments sont pour la plupart des émetteurs alpha de périodes très longues (des milliers d'années); ils sont radio toxiques. Enfin du tritium de fission ternaire se forme également dans le combustible, ainsi que divers produits d'activation comme le cobalt-60 et le carbone-14. (suite)
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La quantité de ces radioéléments dépend directement du nombre de fissions dont le combustible a été le siège. Ce nombre est mesuré par le taux de combustion exprimé en MW(th)j/t[17], c'est-à-dire par la quantité d'énergie thermique produite par une tonne de combustible. Le tableau 1 p.6 fournit la composition chimique par tonne de combustible irradié dans le cas des 3 filières. A ce niveau, on peut noter les chiffres suivant concernant les taux de combustion, paramètre essentiel qui va intervenir dans le retraitement: a) réacteurs plutonigènes fournissant du Pu à usage militaire très enrichi en Pu-239 (mieux que 45%). Les taux de combustion sont alors très faibles (100 à 200 MWj/t) pour ne pas augmenter la proportion d'autres isotopes du plutonium que le 239. b) réacteurs "graphite-gaz" 1.000 à 6.000 MWj/t; le déchargement se fait en continu sans arrêt du réacteur. c) réacteurs "eau lourde", environ 15.000 MWj/t d) réacteurs "eau légère": de l'ordre de 33.000 MWj/t: le déchargement du cœur se fait une fois par an à raison de 33 tonnes de combustibles irradiés contenant environ 1% de plutonium. e) réacteurs rapides: 80.000 à 100.000 MWj/t; d'un réacteur de 1.200 MW(e) type superphénix serait retirés environ 17 à 22 tonnes par an de combustible irradié[14] contenant de 15 à 25% de plutonium. Le retraitement des combustibles
14. U: uranium isotopes 233, 235 - Pu: plutonium 15. Th: Thorium 16. T1/2 signifie temps au bout duquel la radioactivité a diminué de moitié 17. Mégawatt (thermique).jour/tonne: MWj/t p.5
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Il faut noter ici l'absence d'informations
officielles précises sur ce sujet, car l'industrie nucléaire
reste très discrète, minimise l'existence de difficultés[18],
oublie les prévisions faites (par exemple sur les tonnages à
retraiter), ne tire aucun bilan et pratique finalement la fuite en avant
(construction de nouvelles unités plus "grandes encore!").
Cependant, il est fort connu et même proclamé (voir par exemple les réf. 1,3, 4) que les diverses opérations de séparation du procédé PUREX se compliquent singulièrement, à partir du moment où elles sont appliquées à un combustible oxyde très irradié. Essentiellement pour deux raisons: a) l'augmentation du taux de rayonnement émis par le combustible conduit à une dégradation du solvant extracteur, le TBP. |
b) la modification de la composition
chimique (voir tableau 1) avec un accroissement notable de quantités
de certains éléments tel le zirconium, le ruthénium,
qui ont la propriété de faire chuter les facteurs de décontamination
en jouant un rôle catalytique dans la dégradation du solvant.
18. Signalons cependant que ces difficultés ont été assez largement signalées lors de la Conférence Internationale de Salzbourg (mai 1977), consacrée à l'Energie Nucléaire et au Cycle du combustible (on consultera notamment les communications de J. Couture, de W. Schüller et de P.R. Mc Murray, vol. 3, session 2.7). p.7
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(MWj/t) |
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27.350t |
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PUREX |
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et OCDE | " | " | oxyde | 60 | 96 | 21.500 | " | |||
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(milit.) |
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100-200 |
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28.750 t |
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oxyde | 240 | |||||||||
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Japon | Tokaï Mura | P.N.C. | 1977 | 1978 (c) | métal + MOX | 200 | 15 | 33.000 | Japon
5.800 |
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a) NR: filière à neutrons
rapides (surgénérateur)
b) redémarrage prévu pour 1978 c) premiers essais à chaud en septembre 1977; arrêtée en août 1978 d) en projet e) réf. 13 f) essais à froid: abandon à la suite de difficultés avec la conduite à distance g) n'a pas reçu de soutien fédéral (déclaration de Carter du 7 avril 1977) |
A cela s'ajoute la formation de
précipités insolubles dans le dissolveur et dans les cycles
d'extraction. Ceci conduit dans la pratique industrielle à l'obstruction
des conduits nécessitant des rinçages souvent pénibles
et occasionnant des doses d'irradiation supplémentaires. Ces difficultés
réagissent directement sur le taux de disponibilité des appareillages
et donc sur la quantité de combustibles finalement retraités.
La description minutieuse d'incidents liés à ces difficultés
a été faite dans le cas de l'usine de West-Valley.
Pour remédier partiellement à ces effets, on a expérimenté de nouveaux types d'extracteur tels les colonnes pulsées, qui devraient être mis en service sur les nouvelles unités. Ceci représente sans aucun doute une amélioration par rapport aux mélangeurs décanteurs mais leur efficacité pour le retraitement de combustibles très irradiés reste encore à démontrer au-delà de l'Atelier pilote (voir par exemple l'évaluation critique effectuée sur ce sujet par l'A.P.S., réf 1). Dans la pratique, il est très difficile de modifier le génie chimique d'une installation conçue pour des combustibles peu irradiés. Le programme nucléaire étant vite parti, les investissements considérables devant être rentabilisés, on utilise finalement, comme à La Hague (UP2) des installations conçues au départ pour des combustibles faiblement irradiés. En revanche, on a souvent recours à des adjuvants chimiques pour contrecarrer tel ou tel processus indésirable. Souvent, l'effet de ces produits étrangers sur des opérations menées en aval est mal connu (par exemple le cas de la vitrification). Dans les nouveaux projets, l'essentiel du procédé PUREX demeurera. On compte surmonter les difficultés techniques en doublant, voire en triplant certaines parties critiques pour arriver ainsi à une meilleure disponibilité de l'ensemble. On compte également laisser refroidir plus longtemps les combustibles en piscine (ce qui diminue l'activité, mais peu la composition chimique). Cependant, on ne voit pas comment, en l'absence d'options technologiques nouvelles, on évitera des opérations de maintenance délicates et coûteuses en hommes.rems et liées aux difficultés décrites plus haut. Il apparaît donc, en conclusion, que, une fois de plus, une seule technologie (PUREX) pour laquelle d'énormes investissements ont été consentis depuis la dernière guerre dans le cadre de recherches militaires, occupe et continuera d'occuper entièrement le devant de la scène, bien que ce procédé n'ait pas été spécifiquement conçu pour le retraitement de combustibles très irradiés. Seules des améliorations quantitatives sont en fait prévues dans les nouveaux projets. Dans cette situation de fuite en avant, on peut s'interroger sur les performances de ces futures usines qui prétendent par ailleurs retraiter des tonnages beaucoup plus importants que dans les unités actuelles (tableau 2). Le cas spécifique des combustibles de la ftlière à
neutrons rapides
(suite)
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Dans un premier temps, on prévoit d'utiliser le procédé PUREX: 1 tonne de combustibles provenant de RAPSODIE a été retraitée à l'unité pilote AT 1 de La Hague. D'une manière industrielle, on envisagerait[14] de retraiter les aiguilles de Pénix - 250 MW(e) - dans HAO + UP2[19] à La Hague dès 1976! On sait qu'il n'en a rien été. En fait, le retraitement par voie humide (procédé PUREX) ne fonctionne pas à l'heure actuelle pour ce type de combustible. On développe d'ailleurs actuellement un procédé de fluoration par voie sèche qui devrait remplacer avantageusement le procédé PUREX. Mais ceci n'existe qu'au niveau laboratoire. Un autre problème spécifique avec le retraitement des combustibles rapides, est le temps d'immobilisation du plutonium. En effet, dans la perspective de surrégénération, le plutonium produit doit être rapidement recyclé puisque cette fois chaque « décharge annuelle» en contient de l'ordre de 2,5 tonnes: il faut donc immobiliser au minimum ce plutonium pour le recharger dans un surrégénérateur. C'est donc ici une contrainte supplémentaire que l'on n'a pas avec les combustibles oxydes qu'on peut laisser refroidir en piscine[20]. Pertes en plutonium
Gestion des déchets résultants du retraitement
19. Voir Gazette N°12. 20. On peut dire d'une façon figurée que chaque fois que le plutonium est «hors de pile», il ne rapporte plus «d'intérêt» et le temps du doublement augmente d'autant. 21. Les calculs officiels de sûreté dans les installations de La Hague prennent en compte une perte maximum de 2.5% (réf. 24). p.8
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Notons que la vitrification est
une opération irréversible et qu'elle soulève
de nombreuses objections techniques quant à sa stabilité
dans le temps (taux lixiviation, effets thermique, migration des ions,
modification de structure amorphe en structure cristalline, etc.).
En ce qui concerne le confinement en structures géologiques, on ne dispose à l'heure actuelle d'aucun critère quantitatif qui permettrait de décider si telle ou telle structure est adaptée à la conservation des ces fûts vitrifiés sur des échelles de temps se chiffrant par milliers d'années. Les autres types de déchets stockés en fûts, s'ils sont moins radioactifs que les précédents sont cependant beaucoup plus volumineux. Leur gestion a un caractère plus industriel, moins méthodique et moins coûteux que celle des produits de haute activité. On dispose de peu d'informations quant à leur impact sur l'environnement. L'option retraitement plus poussé Dans le retraitement actuel, on ne sépare pas les produits de fission (P.F.) des transuraniens. Aussi, la radioactivité des solutions hautement actives est dominée par les P.F. -1 dans les 1.000 premières années, puis par les transuraniens sur des milliers d'années. On a étudié surtout aux États-Unis (réf 1) la possibilité d'une séparation chimique complète des P.F. et des transuraniens de manière à n'avoir à gérer les déchets de haute activité que sur une courte échelle de temps (1.000 ans !), les transuraniens de vie longue étant éliminés de la Terre soit par éjection par rocket, soit par transmutation. Les diverses étapes sont pour l'instant au stade conceptuel: nécessité d'une séparation photochimique, difficultés et manque de données sur la transmutation. Cette option n'est donc actuellement qu'au stade de l'étude prospective. L'option non retraitement C'est l'option prise actuellement aux États-Unis depuis la déclaration de J. Carter de 1977. Lorsqu'on ne retraite pas, le plutonium n'est pas recyclé et on se contente de stocker les combustibles oxydes en piscine sur plusieurs années (voir des dizaines). Cette option qui ne peut pas s'appliquer aux combustibles métal en raison de la rapide corrosion de la gaine en magnésium, est appliquée depuis de nombreuses années aux États-Unis pour les combustibles oxydes. On n'a pas, semble-t-il, jusqu'à présent, observé de problèmes majeurs de corrosion. |
Contrairement à l'option de retraitement
pour laquelle de nombreuses solutions «définitives»
ont été proposées et étudiées, on ne
sait pas au juste ce que l'on compte faire après plusieurs dizaines
d'années des éléments de combustibles stockés
dans l'eau. Est-ce qu'on les enfermera dans des structures métalliques,
ou bétonnées? Il faut reconnaître que les partisans
de la solution non retraitement sont très discrets à ce sujet
et misent essentiellement sur le fait que les problèmes seront plus
simples à résoudre du fait de la diminution de la chaleur
dégagée et de la radioactivité (un facteur 7 entre
2 et 20 ans). Il ne faudrait pas non plus penser que le stockage de
quantités importantes de combustibles irradiés en piscine
ne poserait aucun problème: il y a d'abord la possibilité
de contamination de l'eau due à des gaines fissurées (taux
actuel +/-1%) (voir l'exemple de West Valley), mais aussi d'une panne de
refroidissement. Cette dernière question a été étudiée
pour Gorleben: on estime que seulement 6% de la puissance thermique peut
être évacuée par convection naturelle en cas de panne
de refroidissement.
Un des arguments de poids en faveur du non-retraitement est le suivant: compte tenu de la chaleur dégagée, du confinement nécessaire de la radioactivité, divers auteurs aux Etats-Unis (notamment M. Resnikoff) ont pu montrer que le volume global de déchets issus de l'option retraitement avec recyclage du Pu était supérieur aux volumes des combustibles irradiés stockés en piscine puis dans des structures physiques non encore définies (option non-retraitement). Il semble donc admis que tôt ou tard on devra faire quelque choser avec ces combustibles stockés. Peut-être finalement les retraiter dans de bonnes conditions, ce qui suppose que la motivation essentielle du retraitement n'est pas la recherche du plutonium (qui exige un calendrier serré), mais celle du confinement des produits dangereux contenus dans ces combustibles. Ce point est développé d'ailleurs dans l'introduction du présent rapport. Quelle que soit la solution adoptée, retraitement ou non-retraitement, il reste le problème politique de taille qui est celui de la gestion des déchets sur des centaines d'années. Disposera-t-on d'une volonté politique pour assurer une telle gestion à une époque où l'on n'aura plus recours à l'énergie nucléaire? p.9
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