En mars 1974[1], le gouvernement MESSMER
approuve le lancement d'un vaste programme électronucléaire
basé sur la mise en chantier de 5 à 6 tranches nucléaires
par an. Cette décision, prise sous le choc des problèmes
pétroliers, est de même nature que celles adoptées
par beaucoup de pays à la même époque. Mais alors que
partout[2] les programmes initiaux ont été révisés
dans le sens d'une limitation réelle, en France il n'en a rien été.
Tout se passe comme si la réalité se dédoublait: le
programme d'un côté, le débat nucléaire de l'autre.
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En effet, depuis le début et en parallèle pour ainsi dire, un débat nucléaire existe, largement ignoré des mass-media (type radio et télévision qui n'en restituent de temps à autre qu'un lointain écho) sous l'impulsion de groupes de militants qui ont des approches diverses, écologiques, scientifiques, économiques, sociales. Une prise de conscience s'est opérée dans la population quant au caractère, inquiétant à bien des titres, de ce programme. A tel point que, parmi les gens qui participent au Programme, se développe une sorte de distanciation par rapport au travail, et ce, à tous les niveaux de responsabilités. Que l'on nous entende bien, nous ne voulons pas dire ainsi que le personnel d'EDF ou de Framatome, entre autres, est dans son ensemble «anti-nucléaire» convaincu: non, il s'agit plutôt d'un malaise, d'un besoin de prendre du recul qui peut se manifester de plusieurs façons, scepticisme, crainte, recherche de protections contre la responsabilité, fuite de renseignements, voire même sabotages comme cela, hélas, est déjà arrivé. Entre ces deux mondes, «programme» d'un côté, «débat» de l'autre, existe une sorte d'interface composée d'un petit nombre d'officiants venant expliquer, qui, le caractère sûr des installations, qui le caractère économique ou plus récemment le caractère obligatoire «on ne peut s'en passer, c'est comme cela...». Nous reviendrons sur l'argumentation utilisée et son évolution, mais il est intéressant de constater que l'on est passé, dans ce domaine, de l'affirmation de l'assurance la plus profonde, et du mépris hautain pour ceux qui s'interrogeaient («ceux qui sont contre l'énergie nucléaire sont ceux qui étaient contre les trains»), à la notion de «on n'a pas le choix, même si tout n'est pas rose». p.1
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Nous le verrons d'ailleurs plus
en détail à propos de «l'affaire des fissures»[4].
On pourrait résumer cette situation en disant que d'un côté le programme continue sous l'impulsion d'un «groupe» que rien n'atteint et que, de l'autre, se poursuit la publication d'argumentations pour ou contre qui se modifient les unes et les autres, les deux domaines étant entièrement séparés. Ce paysage est assez particulier à la France. Dans tous les autres pays, le débat nucléaire a eu des répercussions sur les programmes en France, non. Et pourtant, nombre d'associations, de partis, de syndicats, l'Assemblée Nationale elle-même[5], se sont exprimés, ont demandé que les dossiers soient ouverts, peine perdue. Et pourtant, une bonne partie des postulats sur lequel le programme était fondé ont été remis en cause: faisabilité technique et économique des surgénérateurs[6], du retraitement[7], approvisionnement en uranium, besoins en énergie, hypothèse de croissance. Rien n'y fait, le programme doit avoir raison contre presque tous s'il le faut (et pour leur bien, pensent ses meilleurs apôtres). l'espoir d'un changement Il est temps, plus que temps même, que
le débat sur l'énergie quitte l'espèce de champ clos
où partisans et adversaires de l'énergie nucléaire
s'affrontent dans des joutes sans cesse recommencées, pour un public
assez restreint. Il est temps que les mass-media ne soient plus
occupées par les seuls tenants du programme du gouvernement qui
entonnent sur tous les modes le chant de la nécessité. Il
est temps que les Français, majoritairement convaincus des risques
encourus, ne soient plus tout aussi majoritairement résignés[8].
«une autre politique de l'énergie,
Bien entendu, nous ne nous leurrons pas, cette action ne pourra avoir une portée significative et déterminante dans les faits que si le courant d'opinion qu'elle traduira est suffisamment étendu. C'est pourquoi le collectif de rédaction a décidé de consacrer ce numéro de rentrée au soutien de cette pétition nationale. L'enjeu est en effet d'importance, c'est la première action d'envergure nationale proposée; il devrait être possible ainsi de briser en partie l'espèce de mur du silence ou d'auto-censure qui entoure la question nucléaire dans ce pays; il devrait également être possible de marquer qu'entre le programme et le pays réel, il y a vraiment un contentieux et qu'il n'est plus possible de continuer comme avant, comme si rien n'existait. Examinons rapidement les thèmes qui
figurent à la fois dans le corps de la pétition et dans le
texte qui lui est joint (voir encart).
(suite)
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suite:
Le deuxième thème est relatif à l'information: le secret, vieille habitude française, est encore ici renforcé et ce n'est pas la mise en place du Conseil d'information Nucléaire qui a changé grand-chose à cet état de fait. On peut remarquer d'ailleurs que la mise en place de cet organisme a été effectuée dans un souci électoraliste pour répondre à des demandes anciennes, mais que, en réalité, on attend toujours de savoir à quoi sert cette officine qui n'a toujours rien proposé ou publié à notre connaissance[9]. N'est-il pas extraordinaire de voir cet organisme se plaindre de n'être pas informé du problème des fissures et de ne l'apprendre que par la presse? Cette demande d'accès à l'information, de levée du secret est très importante. Il faut absolument que quelque chose se débloque, c'est la condition fondamentale pour le débat et donc pour l'exercice de la démocratie. Bien sûr, EDF et CEA ne se privent pas de distribuer de luxueuses brochures: ils sont loin par contre de permettre l'accès aux informations fondamentales touchant les coûts, l'irradiation, la sûreté. Cette politique du secret est encore plus accentuée, bien sûr, dans les entreprises qui construisent les centrales. Actuellement, on entend un ministre déclarer qu'il a jugé qu'il était possible de charger en uranium les réacteurs au vu des rapports des services de sûreté, mais il «oublie» toujours de les publier! Le troisième sujet aborde la nécessité, tout à la fois de revoir la politique énergétique globale et de la lier à ce nouveau type de développement. Quand le Président de la République parle de «croissance sobre», pourquoi pas, mais encore faudrait-il qu'au-delà du discours, cela se traduise par des actions. Nous n'avons jusqu'ici que peu abordé ce thème dans la Gazette(*), considérant qu'il relève plutôt de groupements à «vocation politique», mais l'équipe de rédaction est bien consciente qu'il s'agit d'un point fondamental. C'est dans ce sens qu'au-delà du programme électronucléaire, se profile le choix de l'avenir et il est inadmissible que, dans nos sociétés, cette fonction de décider de quoi sera fait demain agisse dans le secret le plus ouaté. C'est également dans ce cadre qu'il faut placer la nécessité de réfléchir, de confronter, de proposer au niveau local, régional par exemple. En effet, les énergies alternatives, complémentaires, de taille adaptée, ne pourront exister que si elles sont prises en charge par des échelons régionaux, responsables de leur mise en oeuvre. Pourquoi ne pas organiser des sortes de «hearings» un peu partout? On verrait sans doute alors que les possibilités sont beaucoup plus nombreuoes qu'on ne le dit. Tout plan de développement de ces énergies dites nouvelles: biomasse, solaire, hydraulique de petite source, etc., qui serait d'abord impulsé par l'échelon central reproduirait les défauts habituels de la bureaucratie (technocratie)[10] française. De plus, toute politique énergétique doit se placer dans un vaste projet d'avenir prenant en compte chômage, raréfaction des matières premières, équilibre régional, etc. Actuellement, le gouvernement fait du nucléaire un cheval de bataille pour sortir de la crise, en considérant que la France détient un créneau sur le marché international, mais la réalité est toute différente: pas de marché malgré le cynisme des vendeurs se préoccupant peu de dissémination et au contraire une régression sur les marchés électromécaniques classiques (hydraulique par exemple). Le moins que l'on puisse dire c'est que cela mérite débat... Que voulons-nous: aider des gouvernements, tel celui de l'Afrique du sud ayant des vues impérialistes sur le voisin ou au contraire aider réellement les pays en voie de développement? Entre proposer de l'hydraulique et du nucléaire, il y a une très grande marge. (*) Profitez de visiter le site des "Controverses énergétiques" du réseau hébergeant la Gazette!... p.2
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Le problème sous-jacent
à tous les autres et affirmé en tant que tel, est bien celui
de la démocratie qui est effectivement un des problèmes majeurs.
Généralement, le discours suivant est tenu: pour juger de
cette affaire, il faut être spécialiste, sinon on ne peut
saisir tous les tenants et les aboutissants. A ce moment, si on interroge
le «spécialiste», il répond «je peux
dire quelque chose dans ma spécialité certes, mais en dehors
de cela le ne peux (voir raisonnement ci-dessus); et d'autre part
la décision ne m'appartient pas mais est du ressort du "politique"».
Le politique questionné répond, en général,
qu'il ne peut que faire confiance aux spécialistes. La boucle est
ainsi bouclée, la responsabilité a circulé. Mais alors
se pose une drôle de série de questions: où se trouve
le centre de décisions, quels sont les critères de choix
et qui les choisit et enfin que veut dire démocratie si chacun ne
peut que déléguer une «confiance» sans que, apparemment,
personne puisse juger... ce qui n'empêche pas la décision
d'être prise?
l'enjeu de la pétition et l'avenir Le succès de cette pétition sera
l'aboutissement d'une campagne de contre-information
menée depuis plusieurs années mais qui, jusqu'ici, ne s'est
traduite que par l'évolution de pourcentages dans les sondages.
Sondages que commande régulièrement EDF à des instituts
spécialisés, mais qu'elle oublie de publier ou publie seulement
en partie. Là encore, l'accès à l'information est
loin d'être égal pour tous. On pourra, avec l'action proposée,
tester en vraie grandeur la sensibilité de la population française
à ces problèmes. Nul doute que les résultats plus
ou moins importants que nous obtiendrons feront réfléchir
et ne seront pas sans incidence sur les positions des uns et des autres.
Car une fois ce courant d'opinion révélé, mis an lumière
en quelque sorte, il faudra bien compter avec lui... en particulier pour
les candidats aux suffrages populaires qui devront en tirer les conséquences.
(suite)
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Les pétitions signées peuvent ensuite être renvoyées à l'une des organisations co-signataires (voir adresses en encart dans le texte) ou au 14 bis rue de l'Arbalète, 75005 Paris. Pour aider nos lecteurs dans leur campagne, nous rappelons plus loin la liste de nos numéros et leur sommaire. Sans reprendre l'ensemble des problèmes évoqués au cours de tous nos numéros, nous voudrions rappeler les sujets sur lesquels le débat peut et devrait s'engager. La signature de la pétition pourrait en effet permettre que s'ouvre un peu partout des confrontations sur des sujets tels que: - quels besoins énergétiques? pour quel avenir? Rappelons que le Programme a été lancé à une époque où les «décideurs» croyaient possible un retour à une croissance de 5 à 6% par an, - est-il raisonnable d'être dépendant à plus de 60%, pour l'électricité, d'un seul mode de production et ce alors que les réacteurs étant tous du même type, un incident sur l'un d'entre eux, intéressant la sûreté, pourrait avoir des répercussions très fâcheuses sur la fourniture électrique dans le pays dans le cas ou il faudrait les arrêter: et si on passe outre... - les surgénérateurs type Superphénix sont hors de prix, dangereux et ne surgénèrent même pas[12], alors peut-on, avec quelque raison, continuer à dépenser des sommes considérables (de l'ordre de 10 milliards pour Superphénix)? Messieurs les nucléocrates, acceptez le débat et les conclusions qui en découlent; - et ce, d'autant plus que le retraitement[13] est en situation de panne industrielle et que l'on parle de 13 milliards de francs pour une nouvelle unité de production à La Hague. La conclusion logique, là encore, serait de résilier a minima tous les contrats de retraitement avec l'étranger. Non, décidément, il n'est pas réaliste de poursuivre ce programme, la réalité doit commander, Messieurs les nucléocrates, ôtez vos oeillères! Il faut s'engager résolument dans une autre politique énergétique. La pétition nationale doit permettre d'avancer. Non, le nucléaire ne sera pas la méthode française pour régler la crise profonde que connaissent les pays industrialisés et par conséquent l'ensemble du monde. A vouloir poursuivre cette course les yeux bandés, la France va s'enfoncer dans des difficultés de plus en plus graves. Non à la résignation, oui à la pétition! p.3
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Pour un débat démocratique sur l'énergie (pétition signée par près d'un million de citoyens, dont le citoyen François Mitterrand...) · Je m'oppose au choix du «tout
nucléaire» fait par le gouvernement.
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