La G@zette Nucléaire sur le Net!
N°29, septembre 1979

PETITION NATIONALE
EDITORIAL / SOMMAIRE
DEUX MONDES

     En mars 1974[1], le gouvernement MESSMER approuve le lancement d'un vaste programme électronucléaire basé sur la mise en chantier de 5 à 6 tranches nucléaires par an. Cette décision, prise sous le choc des problèmes pétroliers, est de même nature que celles adoptées par beaucoup de pays à la même époque. Mais alors que partout[2] les programmes initiaux ont été révisés dans le sens d'une limitation réelle, en France il n'en a rien été. Tout se passe comme si la réalité se dédoublait: le programme d'un côté, le débat nucléaire de l'autre.
     Le programme, lui, avance indifférent à son environnement social et même économique, soumis uniquement aux difficultés internes: problèmes techniques mal résolus, coût croissant, retard quasi général car l'intendance ne suit pas, bien que tout soit fait dans la hâte la plus extrême. Malgré ces retards, malgré les incertitudes quant à la sûreté de l'ensemble, sans attendre même les enseignements qui se dégageront d'un accident comme celui de Three Mile lsland[3], également sans attendre l'expérience que pourraient apporter les premières mises en service, LE PROGRAMME continue, imperturbable: 4 à 6 chantiers s'ouvrent par an, l'aventure de Superphénix se poursuit, et il n'est pas jusqu'à un énorme «créneau» à l'exportation, pour la France, qui ne soit envisagé! D'un côté donc, il y a cette réalité industrielle, économique et de l'autre une réalité sociale celle-là, mais aussi économique, à un autre niveau...


     En effet, depuis le début et en parallèle pour ainsi dire, un débat nucléaire existe, largement ignoré des mass-media (type radio et télévision qui n'en restituent de temps à autre qu'un lointain écho) sous l'impulsion de groupes de militants qui ont des approches diverses, écologiques, scientifiques, économiques, sociales.
     Une prise de conscience s'est opérée dans la population quant au caractère, inquiétant à bien des titres, de ce programme. A tel point que, parmi les gens qui participent au Programme, se développe une sorte de distanciation par rapport au travail, et ce, à tous les niveaux de responsabilités. Que l'on nous entende bien, nous ne voulons pas dire ainsi que le personnel d'EDF ou de Framatome, entre autres, est dans son ensemble «anti-nucléaire» convaincu: non, il s'agit plutôt d'un malaise, d'un besoin de prendre du recul qui peut se manifester de plusieurs façons, scepticisme, crainte, recherche de protections contre la responsabilité, fuite de renseignements, voire même sabotages comme cela, hélas, est déjà arrivé.
     Entre  ces deux  mondes, «programme» d'un côté, «débat» de l'autre, existe une sorte d'interface composée d'un petit nombre d'officiants venant expliquer, qui, le caractère sûr des installations, qui le caractère économique ou plus récemment le caractère obligatoire «on ne peut s'en passer, c'est comme cela...». Nous reviendrons sur l'argumentation utilisée et son évolution, mais il est intéressant de constater que l'on est passé, dans ce domaine, de l'affirmation de l'assurance la plus profonde, et du mépris hautain pour ceux qui s'interrogeaient («ceux qui sont contre l'énergie
nucléaire sont ceux qui étaient contre les trains»), à la notion de «on n'a pas le choix, même si tout n'est pas rose».
p.1
1. Peu de temps avant la mort de Georges Pompidou, de sorte que «le Programme» se recoupe dans le temps avec le septennat de l'actuel président.
2. Voir Gazette N°21.
3. Voir Gazette N°26/27.
     Nous le verrons d'ailleurs plus en détail à propos de «l'affaire des fissures»[4].
     On pourrait résumer cette situation en disant que d'un côté le programme continue sous l'impulsion d'un «groupe» que rien n'atteint et que, de l'autre, se poursuit la publication d'argumentations pour ou contre qui se modifient les unes et les autres, les deux domaines étant entièrement séparés. Ce paysage est assez particulier à la France. Dans tous les autres pays, le débat nucléaire a eu des répercussions  sur  les  programmes
en France, non. Et pourtant, nombre d'associations, de partis, de syndicats, l'Assemblée Nationale elle-même[5], se sont exprimés, ont demandé que les dossiers soient ouverts, peine perdue. Et pourtant, une bonne partie des postulats sur lequel le programme était fondé ont été remis en cause: faisabilité technique et économique des surgénérateurs[6], du retraitement[7], approvisionnement en uranium, besoins en énergie, hypothèse de croissance. Rien n'y fait, le programme doit avoir raison contre presque tous s'il le faut (et pour leur bien, pensent ses meilleurs apôtres).

l'espoir d'un changement

     Il est temps, plus que temps même, que le débat sur l'énergie quitte l'espèce de champ clos où partisans et adversaires de l'énergie nucléaire s'affrontent dans des joutes sans cesse recommencées, pour un public assez restreint. Il est temps que les mass-media ne soient plus occupées par les seuls tenants du programme du gouvernement qui entonnent sur tous les modes le chant de la nécessité. Il est temps que les Français, majoritairement convaincus des risques encourus, ne soient plus tout aussi majoritairement résignés[8].
     Il est temps donc que chacun puisse de nouveau s'exprimer, qu'un élan soit donné pour que le problème arrive enfin au niveau de discussion qui devrait être le sien, pour que quelque chose bouge, pour que le Programme et ses défenseurs soient enfin amenés à discuter de leur certitude et pour que la petite minorité qui fait les choix au nom de la compétence dont elle se réclame, soit dépossédée du monopole de la décision de notre avenir. C'est dans ce sens que nous applaudissons à l'initiative de dix-huit organisations qui lancent ensemble une pétition nationale pour:

«une autre politique de l'énergie,
un débat démocratique sur l'énergie»

     Bien entendu, nous ne nous leurrons pas, cette action ne pourra avoir une portée significative et déterminante dans les faits que si le courant d'opinion qu'elle traduira est suffisamment étendu. C'est pourquoi le collectif de rédaction a décidé de consacrer ce numéro de rentrée au soutien  de cette pétition  nationale. L'enjeu est en effet d'importance, c'est la première action d'envergure nationale proposée; il devrait être possible ainsi de briser en partie l'espèce de mur du silence ou d'auto-censure qui entoure la question nucléaire dans ce pays; il devrait également être possible de marquer qu'entre le programme et le pays réel, il y a vraiment un contentieux et qu'il n'est plus possible de continuer comme avant, comme si rien n'existait.

pourquoi cette pétition?

     Examinons rapidement les thèmes qui figurent à la fois dans le corps de la pétition et dans le texte qui lui est joint (voir encart).
     Tout d'abord figure la condamnation du  Programme «tout  nucléaire», condamnation que nous avons maintes fois développée dans nos colonnes. Cette condamnation s'appuie également sur des comparaisons internationales.

suite:
     Le deuxième thème est relatif à l'information: le secret, vieille habitude française, est encore ici renforcé et ce n'est pas la mise en place du Conseil d'information Nucléaire qui a changé grand-chose à cet état de fait. On peut remarquer d'ailleurs que la mise en place de cet organisme a été effectuée dans un souci électoraliste pour répondre à des demandes anciennes, mais que, en réalité, on attend toujours de savoir à quoi sert cette officine qui n'a toujours rien proposé ou publié à notre connaissance[9]. N'est-il pas extraordinaire de voir cet organisme se plaindre de n'être pas informé du problème des fissures et de ne l'apprendre que par la presse?
     Cette demande d'accès à l'information, de levée du secret est très importante. Il faut absolument que quelque chose se débloque, c'est la condition fondamentale pour le débat et donc pour l'exercice de la démocratie. Bien sûr, EDF et CEA ne se privent pas de distribuer de luxueuses brochures: ils sont loin par contre de permettre l'accès aux informations fondamentales touchant les coûts, l'irradiation, la sûreté. Cette politique du secret est encore plus accentuée, bien sûr, dans les entreprises qui construisent les centrales. Actuellement, on entend un ministre déclarer qu'il a jugé qu'il était possible de charger en uranium les réacteurs au vu des rapports des services de sûreté, mais il «oublie» toujours de les publier!
     Le troisième sujet aborde la nécessité, tout à la fois de revoir la politique énergétique globale et de la lier à ce nouveau type de développement. Quand le Président de la République parle de «croissance sobre», pourquoi pas, mais encore faudrait-il qu'au-delà du discours, cela se traduise par des actions. Nous n'avons jusqu'ici que peu abordé ce thème dans la Gazette(*), considérant qu'il relève plutôt de groupements à «vocation politique», mais l'équipe de rédaction est bien consciente qu'il s'agit d'un point fondamental. C'est dans ce sens qu'au-delà du programme électronucléaire, se profile le choix de l'avenir et il est inadmissible que, dans nos sociétés, cette fonction de décider de quoi sera fait demain agisse dans le secret le plus ouaté. C'est également dans ce cadre qu'il faut placer la nécessité de réfléchir, de confronter, de proposer au niveau local, régional par exemple. En effet, les énergies alternatives, complémentaires, de taille adaptée, ne pourront exister que si elles sont prises en charge par des échelons régionaux, responsables de leur mise en oeuvre. Pourquoi ne pas organiser des sortes de «hearings» un peu partout? On verrait sans doute alors que les possibilités sont beaucoup plus nombreuoes qu'on ne le dit. Tout plan de développement de ces énergies dites nouvelles: biomasse, solaire, hydraulique de petite source, etc., qui serait d'abord impulsé par l'échelon central reproduirait les défauts habituels de la bureaucratie (technocratie)[10] française.
     De plus, toute politique énergétique doit se placer dans un vaste projet d'avenir prenant en compte chômage, raréfaction des matières premières, équilibre régional, etc. Actuellement, le gouvernement fait du nucléaire un cheval de bataille pour sortir de la crise, en considérant que la France détient un créneau sur le marché international, mais la réalité est toute différente: pas de marché malgré le cynisme des vendeurs se préoccupant peu de dissémination et au contraire une régression sur les marchés électromécaniques classiques (hydraulique par exemple). Le moins que l'on puisse dire c'est que cela mérite débat... Que voulons-nous: aider des gouvernements, tel celui de l'Afrique du sud ayant des vues impérialistes sur le voisin ou au contraire aider réellement les pays en voie de développement? Entre proposer de l'hydraulique et du nucléaire, il y a une très grande marge.
(*) Profitez de visiter le site des "Controverses énergétiques" du réseau hébergeant la Gazette!...
p.2
4. Voir Annexe.
5. Voir Gazette N°15/16.
6. Voir Gazette N°25.
7. Voir Gazette N°24.
8. Là encore il sera intéressant d'analyser les comportements tout au long de l'affaire des «fissures», nous y reviendrons dans un prochain numéro.
9. Alors qu'il devait être publié au moins un rapport par an et que sa création remonte au 10 novembre 1977.
10. Technocratie: système politique qui accorde la plus grande influence aux techniciens de l'Administration et de l'économie au détriment des élus.
Bureaucratie: ensemble des administrations publiques considérées comme ayant une influence néfaste sur les «affaires» et leur conduite.
     Le problème sous-jacent à tous les autres et affirmé en tant que tel, est bien celui de la démocratie qui est effectivement un des problèmes majeurs. Généralement, le discours suivant est tenu: pour juger de cette affaire, il faut être spécialiste, sinon on ne peut saisir tous les tenants et les aboutissants. A ce moment, si on interroge le «spécialiste», il répond «je peux dire quelque chose dans ma spécialité certes, mais en dehors de cela le ne peux (voir raisonnement ci-dessus); et d'autre part la décision ne m'appartient pas mais est du ressort du "politique"». Le politique questionné répond, en général, qu'il ne peut que faire confiance aux spécialistes. La boucle est ainsi bouclée, la responsabilité a circulé. Mais alors se pose une drôle de série de questions: où se trouve le centre de décisions, quels sont les critères de choix et qui les choisit et enfin que veut dire démocratie si chacun ne peut que déléguer une «confiance» sans que, apparemment, personne puisse juger... ce qui n'empêche pas la décision d'être prise?

l'enjeu de la pétition et l'avenir

     Le succès de cette pétition sera l'aboutissement  d'une  campagne  de contre-information menée depuis plusieurs années mais qui, jusqu'ici, ne s'est traduite que par l'évolution de pourcentages dans les sondages. Sondages que commande régulièrement EDF à des instituts spécialisés, mais qu'elle oublie de publier ou publie seulement en partie. Là encore, l'accès à l'information est loin d'être égal pour tous. On pourra, avec l'action proposée, tester en vraie grandeur la sensibilité de la population française à ces problèmes. Nul doute que les résultats plus ou moins importants que nous obtiendrons feront réfléchir et ne seront pas sans incidence sur les positions des uns et des autres. Car une fois ce courant d'opinion révélé, mis an lumière en quelque sorte, il faudra bien compter avec lui... en particulier pour les candidats aux suffrages populaires qui devront en tirer les conséquences.
     Il est donc indispensable de réussir cette première étape pour que le «Programme» soit enfin confronté à la réalité économique et sociale. Nous pensons que la majorité de nos lecteurs acceptera de s'engager dans cette campagne et recueillera des signatures dans son entourage famille, travail, etc., c'est pourquoi nous reproduisons un modèle à découper en dernière page[11].

suite:
Les pétitions signées peuvent ensuite être renvoyées à l'une des organisations co-signataires (voir adresses en encart dans le texte) ou au 14 bis rue de l'Arbalète, 75005 Paris. Pour aider nos lecteurs dans leur campagne, nous rappelons plus loin la liste de nos numéros et leur sommaire. Sans reprendre l'ensemble des problèmes évoqués au cours de tous nos numéros, nous voudrions rappeler les sujets sur lesquels le débat peut et devrait s'engager. La signature de la pétition pourrait en effet permettre que s'ouvre un peu partout des confrontations sur des sujets tels que:
     - quels besoins énergétiques? pour quel avenir? Rappelons que le Programme a été lancé à une époque où les «décideurs» croyaient possible un retour à une croissance de 5 à 6% par an,
- est-il raisonnable d'être dépendant à plus de 60%, pour l'électricité, d'un seul mode de production et ce alors que les réacteurs étant tous du même type, un incident sur l'un d'entre eux, intéressant la sûreté, pourrait avoir des répercussions très fâcheuses sur la fourniture électrique dans le pays dans le cas ou il faudrait les arrêter: et si on passe outre...
     - les surgénérateurs type Superphénix sont hors de prix, dangereux et ne surgénèrent même pas[12], alors peut-on, avec quelque raison, continuer à dépenser des sommes considérables (de l'ordre de 10 milliards pour Superphénix)? Messieurs les nucléocrates, acceptez le débat et les conclusions qui en découlent;
     - et ce, d'autant plus que le retraitement[13] est en situation de panne industrielle et que l'on parle de 13 milliards de francs pour une nouvelle unité de production à La Hague. La conclusion logique, là encore, serait de résilier a minima tous les contrats de retraitement avec l'étranger.
     Non, décidément, il n'est pas réaliste de poursuivre ce programme, la réalité doit commander, Messieurs les nucléocrates, ôtez vos oeillères! Il faut s'engager résolument dans une autre politique énergétique. La pétition nationale doit permettre d'avancer. Non, le nucléaire ne sera pas la méthode française pour régler la crise profonde que connaissent les pays industrialisés et par conséquent l'ensemble du monde. A vouloir poursuivre cette course les yeux bandés, la France va s'enfoncer dans des difficultés de plus en plus graves. Non à la résignation, oui à la pétition!
p.3
11. Le modèle résulte d'un accord entre les organisations et doit être repris recto et verso dans tous les cas.
12. Voir Gazette N°25.
13. Voir Gazette N°24.
ENCART
Pour une autre politique de l'énergie
Pour un débat démocratique sur l'énergie
(pétition signée par près d'un million de citoyens, dont le citoyen François Mitterrand...)

· Je m'oppose au choix du «tout nucléaire» fait par le gouvernement.
· J'exige la levée du secret qui entoure toutes les décisions concernant l'énergie, la mise en place de moyens d'information décentralisés et indépendants et le renforcement des mesures de sécurité pour les travailleurs et la population.
· J'affirme que pour faire face à la crise il faut un nouveau type de développement fondé sur les besoins des travailleurs et des populations et sur des réalités régionales. Il s'agit d'imposer une politique qui économise les ressources non  renouvelables, utilise toutes les ressources non exploitées en France et s'appuie sur un vaste plan de développement des énergies nouvelles. Cette politique alternative est susceptible de créer, à terme, des centaines de milliers d'emplois nouveaux.
· Je demande l'organisation d'un large débat public et contradictoire sur la politique énergétique de notre pays, ce qui implique:
     - des consultations et des décisions démocratiques sur les grands choix énergétiques aux niveaux régional et national
     - la suspension du programme électro-nucléaire actuel tant que le débat démocratique n'aura pas été conduit à son terme.

SOMMAIRE
EDITO
Les organisations signataires de la pétition nationale; le programme
Annexes: le problème des fissures dans les réacteurs PWR; opinion: la paix de l'atome; bibliographie informative
PETITION

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