Le radon, élément
de la chaîne de désintégration de l'uranium 238 est
un gaz radioactif extrêmement nocif.
A l'état naturel, lorsque les minerais uranifères ne sont pas exploités, la diffusion du radon est très limitée, grâce au confinement qu'offrent les couches géologiques. Par contre, dès que le minerai est exploité, brisé puis remonté à la surface, le gaz est libéré, et il va se mêler à l'air ambiant. Il est la cause de décès par cancer du poumon des mineurs opérant dans des minerais radioactifs. Dès de XVIe siècle, le célèbre médecin Paracelse montrait que les mineurs de fond des mines du «Schneeberg», en Allemagne, mouraient presque tous d'une maladie pulmonaire qu'il désigna comme un «mala metallorum», sans en comprendre l'origine [1]. Ce n'est qu'en 1940 que les chercheurs Evan et Goodman comprirent la relation entre cancer du poumon et radioactivité de l'air ambiant due au radon. Ils fixèrent les premières normes pour limiter les risques d'irradiation des mineurs et des employés de laboratoires [2]. C'est aussi le début d'une longue lutte pour la fixation des normes entre ceux qui estiment nécessaire de mieux protéger les mineurs et les populations, et les exploitants miniers ainsi que les tenants du nucléaire qui veulent éviter toute restriction dans l'exploitation de l'uranium. En 1959, la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR) établit un compromis entre ces deux tendances et recommande une nouvelle norme tendant à limiter la teneur en radon dans l'atmosphère des mines et de leur environnement. La réaction des pro-nucléaires ne se fait pas attendre: l'Agence Internationale pour l'Energie Atomique 5AIEA), Euratom et la France dénoncent la norme CIPR et adoptent un nouveau seuil maximum, dix fois moins contraignant que celui fixé au niveau international. En ce qui concerne les autres radioéléments, les recommandations de la CIPR ont généralement été suivies. Dans les mines françaises, on ira encore plus loin par une subtile interprétation de la loi, on adoptera en fait une norme vingt fois moins contraignante que celle de la CIPR [3]. La norme de la CIPR estime qu'un mineur ne doit pas respirer un air qui, en moyenne annuelle, contiendrait plus de 30 picocuries par litre d'air, alors qu'en France, ce seuil est situé à 600 picocuries. La raison en sera donnée dans un document datant de 1973 [7], élaboré par les services de radioprotection du Commissariat à l'Energie Atomique (CEA) l'adoption des normes CIPR limiterait le volume de l'uranium exploitable à 20% des réserves mondiales connues (voir Annexe I). Elles augmenteraient notablement les coûts de la radioprotection et, par conséquence, ceux de l'uranium. Mais, les raisons essentielles seraient d'ordre technologique: impossibilité de confiner le radon, qui est un gaz inerte, donc non combinable chimiquement; la meilleure solution pour limiter la teneur en radon dans l'atmosphère est de réaliser une forte ventiIation, mais celle-ci est déjà poussée à son maximum dans les mines actuellement exploitées. (suite)
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Deux enquêtes épidémologiques, menées auprès de mineurs américains [5] d'une part, et de mineurs tchécoslovaques [6] d'autre part, ont établi la relation entre la concentration en radon de l'atmosphère des mines d'uranium et le décès par cancer du poumon de plusieurs centaines de mineurs. Ces études ont amené les services de radioprotection de plusieurs pays à réviser leurs positions. L'extrême nocivité des niveaux de contamination maximum adoptés antérieurement est démontrée. A titre indicatif, en appliquant les résultats de ces enquêtes à des mineurs travaillant trente ans au niveau de contamination maximale admissible que les normes françaises autorisent, on devrait observer un taux de décès de 8 à 16%. Pour les populations ne travaillant pas dans les mines, mais ayant vécu 70 ans dans une atmosphère contaminéè par le radon au niveau maximum défini pour celles-ci, le pourcentage de décès devrait atteindre 10%. Les USA et quelques autres pays (pas la France ni Euratom) trouvent un compromis entre la norme CIPR et celle qu'ils avaient auparavant rehaussée, en utilisant un nouveau système de mesure: la contamination de l'air n'est plus calculée en picocuries de radon par litre d'air, mais en «Working Level», unité qui prend en compte l'énergie potentielle dégagée par les rayonnements a des descendants à courte vie du radon. Le principal avantage de cette réforme est qu'elle rabaisse la dose maximale admissible d'un facteur 2 à 3 par rapport à celle précédemment en vigueur. Mais il est prouvé que, d'une part,ce seuil nouvellement défini est encore très nuisible à la santé des personnes exposées, et que, d'autre part, les procédés de prélèvements et les méthodes de calcul des niveaux de contamination ne sont pas fiables et permettent encore toutes sortes de manipulations de la part de l'organisme chargé du contrôle. Ainsi un document du CEA [7] montre que les doses reçues par les mineurs ont très probablement été systématiquement sous-évaluées (d'un facteur de 2,5 en moyenne pour 16 mesures comparatives) (voir Annexe II). L'interprétation de données que nous avons pu obtenir du CEA, relatives à la contamination des mineurs est particulièrement inquiétante [8]... Plusieurs contacts avec des mineurs confirment malheureusement nos craintes. Dans les statistiques médicales portant sur la ville de Razès [9], siège de la division minière uranifère de la Crouzille, en Limousin, on constate un quasi doublement des cas de cancer par rapport à la moyenne nationale. Le centre de recherche médicale de Razès et l'hôpital de Limoges ne sont-ils pas spécialisés sur les cancers du poumon?... p.15
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En ce qui concerne les populations visant à proximité des
sièges miniers et des usines de traitement, les niveaux de radioactivité
auxquels elles pourraient être exposées sont aussi sujets
à de fortes inquiétudes [10]. Dans les cours de ferme,
ou au milieu de villages, le CEA a installé des cheminées
d'aération pour les galeries souterraines, qui rejettent continuellement
de l'air contaminé souvent très au-delà des normes
actuellement en vigueur. Les normes CIPR pour les populations sont parfois
dépassées à plusieurs kilomètres des zones
d'extraction [10].
Jusqu'à maintenant, les exploitants miniers (Cogéma et sociétés privées), ainsi que les organismes de contrôle tels que le CEA ou le Service Central de Protection contre le Rayonnement Ionisant (SCPRI), nient le problème et couvrent du secret les résultats de leurs prélèvements. Le niveau d'inconscience de la Cogéma est tel qu'on pourrait le qualifier de criminel quand cette société se permet par deux fois de couper la ventilation au fond de la mine de Lodève (Hérault) [11] dans le but de briser la grève que menaient les travailleurs sur leurs lieux de travail: sans ventilation, le radon et ses produits de désintégration s'accumulent dans la mine jusqu'à atteindre des niveaux extrêmement nocifs. L'objet de ce dossier, au cours de la première phase de sa réalisation, était de fournir des éléments d'information au Conseil d'Information sur l'Energie Electronucléaire, créé en 1977 par le Président de la République. Deux événements nous ont amenés à le rendre public, sans attendre qu'il soit débattu au Conseil: - Le premier est que, depuis sa création, le Conseil a démontré son inefficacité: les associations qui y sont représentées n'ont pu jusque-là, obtenir que des bribes d'information. La politique du secret adoptée par les promoteurs du nucléaire n'a pas été levée d'un pouce. - En second lieu, si quelques portes se sont ouvertes au départ pour la réalisation de ce dossier, les responsables du CEA les ont vite refermées, interdisant tout contact entre l'auteur de ce dossier et les fonctionnaires du Service Technique d'Etude et de Prévention des Pollutions Atmosphériques (STEPPA), du CEA de Fontenay-aux-Roses. Le service de «Sécurité» du CEA est allé jusqu'à demander l'interruption d'une conversation téléphonique (qu'il écoutait en parallèle) entre l'auteur et un de ses fonctionnaires. Devant un tel blocus de l'information, il était indispensable de porter à la connaissance du public les données recueillies et de pousser ainsi à la création d'une commission d'enquête impartiale, qui compléterait les informations ici rapportées et définirait les responsabilités. Il ne s'agit pas ici, bien sûr, de parler au nom des mineurs et des populations affectées par la pollution due aux mines, mais d'apporter quelques éléments qui leur permettent d'agir en connaissance de cause pour l'amélioration de leurs conditions de vie ou de travail. Le lecteur comprendra que, pour faciliter la rédaction de ce texte, l'on se soit constamment rapporté à la notion de norme. Cependant, à la lueur des résultats des diverses recherches menées sur l'impact des faibles doses [1, 13], et des données qu'apporte ce dossier, il apparaît qu'il n'existe pas de seuil en-dessous duquel le rayonnement ne présente pas de danger. Une norme n'est qu'un compromis entre des impératifs d'ordre économique et technologique (ce que la CIPR nomme les «bienfaits du nucléaire»), et les nécessités de protéger la santé. La notion de «dose maximale admissible» n'élimine donc pas le risque. Reste alors à savoir qui doit définir le niveau de risque maximum, mais aussi si l'on doit accepter de courir le risque. (suite)
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VARIATION A COURT TERME DES RESERVES EN FONCTION DE LA NORME RADON
D'après «Incidences des normes
de radioprotection sur le marché de l'uranium», Y. François,
J. Pradel, P. Zettwoog.
Les auteurs concluent que la mise en oeuvre de normes légèrement plus strictes, d'un facteur 3 par exemple, aurait à court terme une incidence faible sur le prix de revient de l'uranium extrait des mines actuelles. Cette incidence serait sans aucun doute amortie pour les mines futures dans la mesure où l'exploitation serait, dès le début, conçue pour ces nouvelles normes. A long terme, le marché de l'uranium ne serait pas perturbé et l'effet sur le volume des réserves mondiales resterait négligeable. Par contre, des normes plus sévères, au-delà d'un certain seuil, risqueraient de rendre l'exploitation impossible et donc de réduire l'état des réserves mondiales â ce qui est exploitable en carrière. ANNEXE II LA SOUS-ESTIMATION DES DOSES
1. Premiers résultats obtenus à l'aide de dosimètres
a
individuels [7]
Bien que le nombre de résultats soit trop faible pour qu'une exploitation statistique soit possible, la sous-estimation soupçonnée dans le chapitre précédent semble bien être confirmée. p.16
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2. Commentaires
1. Pour les poussières à vie longue, le facteur moyen de sous-estimation est de 5,5; il est de 2,5 pour l'énergie potentielle. La différence peut correspondre au fait que les poussières de minerai sédimentent plus vite que less descendants du radon et donc que l'inhomogénéité spatiale entre front de taille et point de prélèvement est plus grande pour les poussières. |
2. Le calcul de l'énergie a
potentielle à partir des doses de radon gaz fait intervenir un facteur
d'équilibre de 0,17 déterminé préalablement
par plusieurs centaines de mesures. Vu la faiblesse de l'échantillon,
la probabilité que le facteur d'équilibre ait été
sous-estimé pour ces 16 mesures n'est pas nulle. Cependant, nous
ne pensons pas qu'une erreur d'un facteur 2,5 ait été commise.
Nous avons résumé dans le tableau suivant un certain nombre de sources d'erreurs avec leur conséquence sur l'estimation des doses reçues. p.17
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BIBLIOGRAPHIE.
(1) Science et Vie, n°117 - Numéro spécial
«Maladies de civilisation».
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(7) «Problèmes pratiques rencontrés dans
la détermination des doses alpha inhalées par le personnel
des mines d'uranium». J. PRADEL, Y FRANÇOIS, P. ZETTWOOG,
France. Dans la dosimétrie individuelle et la surveillance de l'atmosphère
en ce qui concerne le radon et des produits de filiation. Compte rendu
d'une réunion de spécialistes de AEN Elliot LAKE, Canada,
4-8 octobre 1976, OCDE
(8) Voir (4) et diverses communications sur les niveaux du radon rencontrés dans les mines. (9) Document de M. PENICAUD, à publier prochainement (Extrait d'une thèse de M. SAUMANDE, Professeur à l'Université de Limoges). (10) «Influence de l'activité minière et du traitement du minerai d'uranium sur la radioactivité atmosphérique», Franck HENNEBEL (1976). CEA, STEPPAM, CPMU, IUT. Biologie, Hygiène de l'Environnement. (11) L'Humanité du 23 décembre1978. (12) «Effets des faibles doses de rayonnement», R. BELBEOCH, B. BELBEOCH, D. LALANNE, Fiche technique du GSIEN n°34, nov. 1978. (13) «Effets biologiques des faibles doses de rayonnement ionisant». A. STEWART et S. AYME, Fiche technique du GSIEN n°35, nov. 1978. p.18
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