C'est sans surprise mais avec
une réelle inquiétude que l'on voit se mettre en place le
système de contrainte qui accompagne en quelque sorte le programme
électronucléaire. Nous ne voulons pas parler ici du projet
de loi «Sécurité et liberté» plus connu
sous le nom de projet Peyrefitte, bien que si on y regarde de plus près,
il y ait une certaine analogie entre les démarches. Non, nous voulons
parler ici d'un texte législatif, en discussion lui aussi au Parlement
le projet «Protection et contrôle des matières nucléaires».
Nous examinerons ultérieurement et en détail ce document instructif, mais disons tout de suite qu'à l'occasion de sa discussion, le gouvernement a déposé un amendement qui stipule: «La violation intentionnelle, par des personnes physiques ou morales intervenant à quelque titre que ce soit dans les établissements où sont détenues des matières nucléaires définies à l'article 1er ci-dessus, des lois et règlements et des instructions de l'exploitant ou de ses délégués constitue, lorsqu'elle est susceptible de mettre en cause la sûreté nucléaire des installations, la protection des matières nucléaires ou la sécurité des personnes et des biens, une faute lourde. Sans préjudice des sanctions pénales applicables, elle peut entraîner immédiatement, sans préavis ni indemnité et sans autre formailté que la communication du dossier, le retrait des autorisations administratives, la suspension ou la rupture des liens conventionnels ou statutaires au titre desquels ces personnes interviennent, nonobstant toute disposition contraire des statuts ou conventions qui leur sont applicables». Et l'exposé des motifs précise clairement ce dont il s'agit. Qu'on en juge: «Le licenciement immédiat, sans préavis ni indemnité des personnels ayant commis délibérément l'infraction, qu'il s'agisse notamment du chef de l'exploitation n'ayant pas observé les lois et règlements en vigueur de facon délibérée, ou de ses salariés en état d'insubordination, ou des salariés d'une entreprise visée titulaire d'un contrat de services, travaux ou fournitures. Selon la situation des personnels en cause, ce licenciement pourra consister dans la rupture du contrat de travail ou la révocadon sans pension des personnels d'un statut particulier.» Plusieurs choses apparaissent ici et tout d'abord la reconnaissance claire que les installations utilisant des matières nucléaires[1] sont d'un type particulier et présentent des caractéristiques spécifiques qui entraînent des dispositions différentes d'un ensemble industriel classique en quelque sorte, et ce pour deux raisons essentiellement: d'une part, le caractère particulier des «matières nucléaires», leur possibilité d'utilisation militaire qui les fait soumettre à une législation rigoureuse, et, d'autre part, le côté danger potentiel qui oblige à des conditions de sûreté spéciales. Deux points sur lesquels la Gazette a insisté à maintes reprises... et que le législateur reconnaît maintenant, mais pour quel usage! |
On connaissait déjà les systèmes
de protection, voire de surveillance en place dans l'industrie nucléaire:
barbelés électrifiés, chemin de ronde, vigiles, système
d'accès par cartes magnétiques, etc., et maintenant on voit
apparaître la limitation du droit de grève. Tout ceci est
nécessaire, nous explique-t-on, au vu des risques potentiels graves.
Il faut se protéger des actes de malveillance, des actions inconsidérées.
Et une nouvelle fois on tient le discours de la nécessité,
de l'obligation, sans s'interroger sur le pourquoi, sur l'origine des contraintes
ainsi introduites; on essaie de faire croire au normal, à l'inéluctable.
Ainsi, un système de surveillance se met en place pour se protéger d'abord de l'agression extérieure, puis insidieusement de «l'ennemi intérieur». Ainsi par exemple la tentative de sélectionner les travailleurs du nucléaire non seulement sur des critères d'aptitude psychologique, mais également sur l'acceptation du programme et de sa logique se fait jour. On a pu ainsi lire avec effarement ces quelques lignes de l'Union des Syndicats Cadres d'EDF[2]: «La crise de l'énergie impose aussi le nucléaire et la mission confiée à EDF en 1975 par le gouvernement n'a pas été remise en cause. Mais faut-il pour autant recruter sans précaution, autant d'agents qui vont accroître le nombre de ceux qui déjà, au sein de l'Établlssement combattent ses objectifs? Chacun de nous, responsables, doit y penser quand il choisit un candidat: peut-on s'appuyer sur ceux qui freinent ou tirent à contresens?» Mais revenons à l'amendement déposé par le gouvernement et interrogeons-nous pour savoir qui sera garant de la sûreté nucléaire. Bien sûr, le texte met sur un pied d'égalité le chef d'exploitation et le personnel, mais il est clair que le premier pourra arrêter un mouvement de protestation du personnel au nom de la sûreté, alors qu'il paraît illusoire que le personnel puisse arrêter une installation au nom de la même sûreté (cf. l'affaire récente des fissures et du changement sans réparation des cuves). D'autre part, on place le chef d'exploitation dans une position difficile: il est responsable de la sûreté et de la production devant l'autorité publique et son employeur. Voilà pour le moins une position inconfortable. L'art et la manière pour les nucléocrates de décider, en repassant les responsabilités aux autres... Dans sa brutalité et son schématisme, le slogan «Société nucléaire, société policière» trouve ici, hélas, une démonstration. Que l'on nous comprenne bien: il ne s'agit pas de dire que le phénomène nucléaire entraîne telle ou telle société, mais bien plutôt de dire qu'une société qui se choisit une forme d'énergie a en elle et sécrétera des dispositions contraignantes car, par rapport aux conflits qui traversent inévitablement le corps social, il est impossible d'imaginer une société réconciliée, policée en quelque sorte, qui pourrait sereinement accepter des installations à haut risque. A moins bien sûr que la restriction de la liberté et de la démocratie soit considérée comme une caractéristique d'une civilisation avancée... A nos lecteurs:
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