Janvier 2023 • GSIEN

Dossier GSIEN
Sources internes de secours des centrales françaises

Diesel d’ultime secours (DUS) post Fukushima


Après Fukushima, l’ASN a incité EDF à équiper chaque réacteur d’un groupe d’ultime secours (DUS) supplémentaire là où l’IRSN en espérait deux.

EDF n’a pas pu respecter l’échéance (comme bien souvent !) de mise en service des DUS, prévue au 31/12/2018. Alors obligeamment (mais avait-elle le choix ?), « L’ASN a décidé de modifier le calendrier de mise en service des groupes électrogènes à moteur diesel d’ultime secours (DUS) compte tenu des difficultés rencontrées par EDF lors des opérations de construction. L’ASN a assorti ce rééchelonnement, qui s’étend jusqu’au 31 décembre 2020, de prescriptions relatives au contrôle de la conformité des sources électriques existantes » [ASN, 27/02/19]. L’ASN devra à nouveau repousser de deux mois cette échéance compte-tenu de nouvelles difficultés rencontrées par EDF pour tenter de fiabiliser ses DUS.

Avec une « cuve de 60_000_l de fuel », les DUS peuvent atteindre, si le plein est fait, « une autonomie de quinze jours » [SFEN, 2017]. Mais les DUS des tranches de 1300_MWe ont une fâcheuse tendance à vouloir jouer à Capitaine Flamme.

En effet, lors des essais de qualification des DUS du palier 1300_MWe, comme plusieurs moteurs ont pris feu, EDF a déclaré un Évènement significatif pour la sûreté (ESS) générique. Suite au « départ de feu survenu le 25 février 2021 au niveau du groupe électrogène d’ultime secours du réacteur_2 » de Flamanville, l’ASN a fait une inspection inopinée sur le site.

Penchons-nous sur quelques extraits du compte-rendu de l’inspection :

« Par courrier du 6 octobre 2020 en référence [1] EDF a déclaré un ESS générique pour le palier 1300_MWe relatif à des écarts ayant provoqué la survenue de plusieurs départs de feu au niveau des DUS, au cours de la réalisation d’essais préalables à leur mise en exploitation.

Dans son courrier du 24 décembre 2020 en référence [2] EDF détaille son analyse de l’évènement et définit deux actions censées corriger les dysfonctionnements. Plus particulièrement, la seule action de virage du moteur, consistant à faire tourner le moteur après arrêt, devait permettre d’éviter le renouvellement des départs de feu liés au phénomène de « candle fire » identifié. En effet, la technologie des moteurs des DUS du palier 1300MWe est telle que l’huile de lubrification circulant dans le carter supérieur peut suinter à travers les cylindres et pénétrer dans le collecteur d’échappement. Les préconisations du constructeur, qui connaissait ce phénomène, consistaient à la réalisation d’un virage moteur après 30 minutes suivant l’arrêt d’un fonctionnement du moteur ou bien après la réalisation d’une pré-lubrification non suivie d’un démarrage moteur. Ces consignes ont été diffusées à l’ensemble des CNPE du palier 1300_MWe ».

(...)

« L’analyse de l’ESS [réalisée par EDF] en référence [2] porte en particulier sur ses conséquences potentielles sur la sûreté.

Elle indique "la disponibilité des DUS en exploitation n’ayant pas été remise en cause et ceux-ci n’étant pas valorisés dans la démonstration de sûreté, les conséquences potentielles en termes de sûreté sont négligeables". Il a par ailleurs été indiqué à l’ASN dans le cadre d’échanges afférents que le dégagement de fumées ou le départ de feu de type "candle fire" n’est pas de nature à affecter les fonctions des DUS.

Toutefois dans votre communication du 26 février 2021 aux inspecteurs, vous avez indiqué que le DUS du réacteur_2 avait « déclenché automatiquement sur détection JDT [alarme incendie] », à cause des dégagements de fumées. Un tel comportement ne permettrait donc pas de considérer disponible un DUS dont le collecteur d’échappement présenterait des traces d’huile.

Enfin, bien que les DUS ne soient pas valorisés dans la démonstration de sûreté, ils sont intégrés dans le référentiel d’exploitation et notamment dans la documentation de conduite incidentelle-accidentelle (CIA) qui a été contrôlée dans le cadre de l’inspection du 8 et du 9 octobre 2020 ».

« Réf. [1] 6/10/2020 - Courrier EDF D455020006151 - Déclaration d’un événement significatif pour la sûreté à caractère générique pour le palier 1300 MWe - Départs de feu sur les DUS de BEL_1, CAT_1 & 4, PEN_2, SAL_2 et GOL_2

[2] 24/12/2020 - Rapport EDF D455620110428 indice A - Rapport d’événement significatif pour la sûreté - Départs de feu sur les DUS de BEL_1, CAT_1 & 4, PEN_2, SAL_2 et GOL_2 » [ASN, 6/04/21].

Vous l’aurez compris, les DUS concernés sont ceux des tranches de Belleville_1, Cattenom_1 & 4, Penly_2, Saint-Alban_2 et Golfech_2. On voit dans cet exemple avec quelle désinvolture, une fois de plus, EDF analyse les conséquences pour la sûreté de la défaillance de ses diesels d’ultime secours_: un diesel se met à fumer, l’alarme incendie arrête automatiquement le diesel mais les conséquences potentielles en termes de sûreté sont négligeables.

Mais en juin 2022, l’ASN a dû retourner à Flamanville. Une lettre de suite explique pourquoi : « une inspection inopinée a eu lieu le 15 juin 2022 au CNPE de Flamanville consécutivement à l’événement de départ de feu survenu le 14 juin 2022 au niveau du groupe électrogène d’ultime secours du réacteur_2 ». Toujours le même DUS...

« Les inspecteurs ont visité les locaux des bâtiments des groupes électrogènes diesels d’ultime secours (DUS) du réacteur_2 après le sinistre survenu la veille et ont échangé avec les personnes témoins du départ de feu ainsi que vos représentants ».

(...)

« Par courrier du 6 octobre 2020 en référence [1] [voir Réf. ci-dessus] EDF a déclaré un ESS générique pour le palier 1300_MWe relatif à des écarts ayant provoqué la survenue de plusieurs départs de feu au niveau des DUS pendant leurs essais.

L’analyse de cet ESS a conduit à la définition de plusieurs actions correctives sur les réacteurs concernés :

- limiter la migration de l’huile vers les collecteurs d’échappement, notamment par la réalisation de modifications matérielles et l’application d’une nouvelle procédure de virage du moteur ;

- diminuer la quantité d’huile susceptible de se trouver en contact avec les parties chaudes du collecteur, notamment par la mise en œuvre de calorifuges non absorbant et la réfection de l’étanchéité des tuyauteries des gaz d’échappement.

Le DUS du réacteur_2 [de Flamanville] a été affecté par deux incidents de départs de feu en 2021. En réponse à la lettre de suite d’inspection réactive après l’indicent du 25 février 2021 en référence [lien] du 6 avril 2021, vous aviez indiqué que l’amélioration du virage moteur serait efficace pour prévenir le phénomène de "candle fire".

Les inspecteurs ont observé que les actions précitées ont été correctement mises en œuvre sur le diesel du réacteur_2. Néanmoins, ils ont constaté qu’elles n’ont pas empêché le renouvellement d’un départ de feu dans le même secteur que le 25 février 2021 au niveau du collecteur d’échappement ».

(...)

Demande II.1 : Caractériser l’événement de départ de feu survenu sur le réacteur_2 le 14 juin 2022 au regard notamment de la suffisance et de l’efficacité des actions définies dans l’analyse en référence [2], ayant pour conséquence une dégradation importante de la disponibilité des DUS.

Demande II.2 : Transmettre dans les meilleurs délais les conclusions des expertises réalisées par vos services et le constructeur du DUS sur l’origine du départ du feu, et les actions de remédiation engagées » [ASN, 23/06/22].

Avec trois départs de feu sur le moteur du DUS de Flamanville_2, dont le dernier requalifié par l’ASN en sinistre avec une dégradation importante de la disponibilité, il va être délicat pour EDF de continuer à faire des incantations sur les conséquences potentielles, en termes de sûreté, négligeables.

Comme on l’a vu, de tels propos se trouvent dans son rapport d’ESS du 24 décembre 2020, envoyé à l’ASN, dans lequel elle explique que la disponibilité des DUS en exploitation n’a pas été remise en cause. Mais, à la même période et en interne, EDF n’a pas la même opinion sur la disponibilité des DUS de modèle candle fire.

Capital s’est procuré, un courrier «_adressé par la division de l’ingénierie d’EDF à Westinghouse France. L’auteur y indique : "Nous continuons à subir de nombreuses avaries. En particulier, lors de plusieurs démarrages moteurs, des départs de feu sont survenus au niveau du collecteur d’échappement des machines. (...)

Le risque d’incendie n’ayant pas été écarté après 6 départs de feu, nous avons été contraints, le 12 juin 2020, de demander aux exploitants de ne plus démarrer les moteurs et de déclarer indisponibles les DUS Nogent_1, Nogent_2, Cattenom_2, Cattenom_3, Golfech_1 et Golfech_2." Rien que cela...

Interrogés par Capital, EDF, l’ASN et Westinghouse (le fournisseur des DUS) répondent en cœur que tout va bien (lire leur réponse en fin d’article*), que ces incidents ont été résolus. Une source interne à Westinghouse assure pourtant à Capital que le souci n’est toujours pas définitivement réglé, qu’il le sera d’ici le printemps. Et les multiples demandes de reports d’échéances EDF incitent à la méfiance.

(...)

Les réponses d'EDF, de l'ASN et de Westinghouse

*Sollicité par Capital sur les incidents survenus sur 6 DUS, EDF nous a répondu ainsi : "À date, 52 des 56 DUS construits sont mis en exploitation et fonctionnent correctement. Les quatre DUS restant seront mis en exploitation conformément au calendrier prescrit par l’Autorité de sûreté nucléaire. Tous les matériels en exploitation (52 DUS) ont passé des essais d’endurance et ont été qualifiés. Ils sont conformes et sûrs.”

L’Autorité de sûreté nucléaire indique de son côté avoir été “informée de ces événements”. Et d’ajouter : “L’ASN a veillé à ce que les causes en soient déterminées et à ce que des mesures correctives soient mises en œuvre, ce qui a été fait.”

Enfin Westinghouse se veut aussi rassurant : “La situation observée lors de certains essais a fait l’objet d’une analyse de causes et a été corrigée. Elle est aujourd’hui sous contrôle. Aucun départ de feu n’a été constaté depuis cet été.” » [Capital, 24/11/20].

Ainsi chez EDF, malgré six DUS en indisponibilité admis en interne en juin 2020, son rapport d’ESS de fin 2020 indique que la disponibilité des DUS n’a pas été remise en cause.

L’ASN n’a pu que constater que les mesures correctives n’ont pas empêché les deux départs de feu (en 2021) et le sinistre du DUS de Flamanville_2 en juin 2022. Manifestement, Westinghouse n’a toujours pas le contrôle de la situation. Les mesures correctives mises en œuvre n’ont pas réussi à rendre le DUS de Flamanville_2 conforme et sûr...

Fin 2021, dans deux articles, le Canard enchaîné indique que « lors des dix-huit derniers mois_9 des 20 moteurs ont pris feu ». Il s’agit des moteurs FME (Fairbanks Morse Engine) équipant les DUS des vingt réacteurs de 1300_MWe. La faiblesse de ces moteurs diesel était connue de longue date de l’autre côté de l’atlantique. Il y a près d’une quinzaine d’années : « la NRC avait publié un rapport relatant des accidents de ce type dans sept centrales US » ; « EDF en avait eu connaissance ».

Genèse du choix des DUS : « EDF lance un appel d’offre européen. Trois groupements sont sélectionnés : d’abord, le français Alstom, associé à l’allemand MAN, champion incontesté du secteur, agréé dans les principales puissances nucléaires (France, Etats-Unis, Japon, Corée du Sud, etc.). Ensuite, le belge ABC, spécialiste dans la construction de moteurs de bateau et de petites centrales en Afrique. Enfin, le duo américain Westinghouse-FME, présentant un moteur retiré de la circulation au Etats-Unis dans les années 70... qu’il promet d’améliorer.

A la surprise générale, EDF choisit en 2014, ce peu séduisant candidat, qui partagera le marché avec ABC. Il faut dire que l’américain est légèrement moins cher et qu’EDF, dans son appel d’offres, accorde une pondération de 92% au prix et de 8% seulement à la qualité technique.

Et ce, malgré le rapport sans appel d’Yves-Marie Le Marchant (missionné par MAN), un expert en génie atomique auprès de la cour d’appel de Paris. De ce document il ressort que les deux lauréats échouent à remplir plusieurs conditions du cahier des charges : un, ils ne présentent pas, selon lui, de références internationales ; deux, la puissance de leurs moteurs est insuffisante ; trois, ces derniers ne sont pas conçus pour fonctionner par très grand froid ; quatre, il faut les mettre en route, les purger au préalable (...). Pratique en cas d’urgence » [Le Canard enchaîné, 8/12/21 & 15/12/21].

Sur les opérations de purges nécessaires avant démarrage, Basta, qui a questionné l’ASN sur le sujet, nous en dit un peu plus : « l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) nous a répondu que les départs de feux étaient liés "à une insuffisance dans la procédure de démarrage et d’arrêt des moteurs, et à l’utilisation de tuyaux de mauvais diamètres lors de la fabrication des moteurs. EDF a résorbé ces défauts". Au lendemain de cette réponse rassurante, le 25 février [2021], le quotidien régional Ouest-France signalait un incendie au niveau du DUS de la centrale de Flamanville (Manche), construit par Westinghouse-Fairbanks Morse.

(...)

« Il est vrai que des changements sont intervenus au niveau de l’échappement, d’où démarraient les incendies, rapporte un agent EDF. Mais la procédure dont parle l’ASN et que l’on doit appliquer au démarrage des DUS est très compliquée à mettre en œuvre. Il y a une opération de purge des tuyaux vraiment fastidieuse à réaliser. À Chaque fois, il faut faire intervenir les mécanos et les électriciens. En cas d’urgence, ce sera difficile à faire. » Au-delà de cette procédure visant à éviter les départs de feu, le démarrage des DUS est « une vraie usine à gaz, rapporte un ingénieur. Il faut modifier des branchements au niveau des armoires électriques, consigner certains équipements.... C’est une procédure lourde qui prendra bien trois ou quatre heures, dans des conditions très difficiles. Peut-être dans le noir, les pieds dans l’eau, avec des blessés à gérer, un risque nucléaire élevé, voire une atmosphère déjà radioactive. Bref, il ne faut pas imaginer les DUS comme des équipements de secours qui vont démarrer automatiquement_» [Basta, 11/03/21]. On flirte là avec le délai de grâce (Cf. page 8).

Tout nouvel avatar en 2022 à Paluel (1300_MWe) : « Mardi 20 septembre, vers 15h45, un départ de feu est survenu sur le Diesel d'ultime secours (DUS) de l'unité de production n°_4 lors d'un essai périodique », un feu « vite maîtrisé » [Le Courrier Cauchois, 21/09/22]. En deux années, il y a eu 11 départs de feu sur les DUS des tranches de 1300_MWe, des groupes pourtant flambant neufs...

En priorisant l’aspect financier au détriment de la qualité technique, EDF prend des risques avec la sûreté malgré un laïus bien réglé : « Pour s'assurer du fonctionnement des centrales nucléaires françaises dans les conditions optimales de sûreté, des dispositions sont prises à tous les niveaux » [EDF-La sûreté nucléaire], sauf lors de la commande des diesels d’ultime secours où d’antiques moteurs diesel américains ont été préférés aux robustes matériels allemands, les moteurs MAN.