CEA - Une stratégie pilotée par le budget |
Au CEA, début 2015, « On privilégie le démantèlement immédiat des installations, chaque fois que c’est réalisable, afin de diminuer les risques liés à la radioactivité et de bénéficier des connaissances du personnel d’exploitation. Cela permet aussi d’éviter des coûts liés à la surveillance prolongée de l’installation. Cette stratégie de démantèlement immédiat est recommandée par l’ASN et par l’AIEA (Agence inter-nationale de l’énergie atomique).
Pour autant, les chantiers de démantèlement peuvent durer plusieurs années, selon la taille et la complexité des structures à démanteler, et selon leur niveau de radioactivité » [CEA, 5/02/15].
Mi-2015, un courrier de l’ASN adressé à l’administrateur général du CEA montre les limites de la stratégie affichée :
« Concernant la stratégie de démantèlement des INB civiles du CEA, la dernière évaluation complète faite par l’ASN s’est faite sur la base du document que vous avez remis en 2004 et couvrant la période 2004-2013. A la suite de son instruction et de l’examen par le groupe permanent « usine » (GPU), lors de sa séance du 6 décembre 2006, l’ASN vous avait demandé de lui transmettre :
votre doctrine en matière d’assainissement et de démantèlement des INB,
la justification de la compatibilité des flux de déchets avec les filières,
l’analyse et les enseignements tirés des difficultés liées à la conduite de programmes et à la gestion de projets ayant entraîné le non-respect de certains de vos engagements,
un dossier relatif aux installations concernées, dans lequel sera déclinée, sur une période de référence d’au moins 10 ans, la stratégie précitée.
Les difficultés que vous avez rencontrées dans la mise en œuvre de vos programmes et projets vous ont conduit à repousser la transmission d’une mise à jour de votre stratégie de démantèlement initialement attendue pour 2012. A ce jour, vous avez indiqué à l’ASN prévoir de transmettre cette mise à jour en 2016.
Pour ce qui concerne les stratégies de démantèlement des INBS relevant du ministère de l’industrie (Bruyères-le-Châtel, Valduc, Cadarache et Marcoule) (...) elles sont suivies par les services de l’ASND au travers de jalons significatifs de sûreté (JSS) marquant les étapes significatives à atteindre pour ces démantèlements pour chacun des sites concernés. Cependant, l’examen de la cohérence d’ensemble de ces stratégies n’a jamais été effectué, l’évaluation et l’instruction technique se faisant individuellement sur la base de vos demandes d’auto-risation de démantèlement.
Ainsi à ce jour, la stratégie de démantèlement des installations nucléaires de base secrète n’a jamais fait l’objet d’une évaluation globale et l’évaluation de la stratégie de démantèlement des INB est obsolète. Par ailleurs, plusieurs éléments nous conduisent à considérer qu’une telle évaluation est non seulement nécessaire mais particulièrement importante et devant prendre en compte la totalité de vos installations (INB et INBS). En effet, jusque vers la fin des années 2000, la politique affichée du CEA en matière de démantèlement consistait à entamer l’ensemble des opérations de démantèlement des INB et des installations individuelles d’INBS en même temps et dès l’arrêt des installations, en ayant la volonté de les conduire en parallèle jusqu’à leur terme. Dès le début des années 2010, vous avez considéré que la situation budgétaire du CEA ne vous permettait plus de poursuivre cette politique.
Le retour d’expérience 2010-2015 nous conduit aussi à constater les éléments suivants.
Concernant les INB :
le report régulier de la remise de dossiers de demande d’autorisation de mise à l’arrêt définitif et de démantèlement de certaines installations arrêtées,
les dérives importantes constatées dans les échéances initialement prévues des différents programmes de démantèlement (INB de Fontenay-aux-Roses, ATUe à Cadarache),
le nombre important d’installations dont le dossier de demande d’autorisation de démantèlement est attendu dans les prochaines années (Saclay : ZGDS, OSIRIS, ORPHEE ; Fontenay-aux-Roses : PROCEDE, SUPPORT ; Cadarache : STE, PEGASE, EOLE, le Parc, MINERVE, MCMF, LEFCA, PHEBUS).
Concernant les INBS et en particulier l’INBS de Marcoule :
le report du démantèlement de l’APM de plus de 10 ans, alors que cette installation datant de la fin des années 50 n’a pas été dimensionnée aux normes actuelles de sûreté et contient des termes sources mobilisables importants,
le report de la reprise et du conditionnement des déchets anciens après l’achèvement du démantèlement des usines de première génération alors que le périmètre considéré inclut des installations datant des années 60 (dégainage mécanique G1, dégainage G2/G3, casemates) présentant des lacunes de sûreté significatives en fonctionnement normal et susceptibles d’entraîner des conséquences notables dans l’environnement en cas de séisme et/ou d’aléa extrême,
le report de 5 à plus de 10 ans de la majorité des projets d’installations neuves ou équipements de l’INBS (…) nécessaires au démantèlement ou à la reprise des déchets,
globalement un retard annoncé de plus de 10 ans dans la réalisation des programmes de démantèlement des usines du périmètre UP1 et comportant des incertitudes importantes sur le respect de l’échéance de 2030 pour la reprise et le conditionnement des déchets MAVL produits avant 2015.
Concernant les autres INBS, des retards ont également été identifiés mais d’une moindre importance du point de vue de la sûreté.
Le réexamen de la stratégie de démantèlement à mettre en place et à consolider devra donc concerner l’ensemble des installations situées sur les sites CEA » [ASN, 21/07/15].
En octobre 2015, l’ASN publie une note d’information demandant au CEA une révision de sa « stratégie de démantèlement de ses installations nucléaire » :
« Le président de l’Autorité de sûreté nucléaire et le délégué à la sûreté nucléaire et à la radioprotection pour les installations et activités intéressant la Défense ont demandé à l’administrateur général du CEA que leur soit présentée, dans un délai d’un an, la nouvelle stratégie de démantèlement envisagée par le CEA concernant l’ensemble des INB et installations individuelles situées à l’intérieur d’installations nucléaires de base secrètes (INBS). L’ASN et l’ASND ont demandé au CEA, d’établir, pour les 15 prochaines années, des programmes de démantèlement, fondés sur des priorités de sûreté, de radioprotection et de protection de l’environnement hiérarchisés, en tenant compte tout particulièrement de l’activité totale mobilisable des substances radioactives et dangereuses présentes dans l’installation
Conformément à la politique française de « démantèlement immédiat », et jusqu’à la fin des années 2000, le CEA avait pour stratégie de mener, en parallèle, l’ensemble des opérations de déman-tèlement des INB et des installations individuelles d’INBS dès leurs mises à l’arrêt définitif et dans des délais aussi courts que possible. Depuis plusieurs années, l’ASN a constaté sur les installations du CEA :
des retards importants dans la réalisation des opérations de démantèlement et de reprise et de conditionnement des déchets anciens,
des augmentations très significatives de la durée envisagée des opérations de démantèlement et de reprise de déchets anciens,
des retards importants dans la transmission des dossiers de demande d’autorisation de démantèlement.
(...)
Le président de l’ASN et délégué à la sûreté nucléaire et à la radioprotection pour les installations et activités intéressant la défense ont également demandé au CEA de renforcer les moyens humains affectés aux opérations de démantèlement ainsi qu’à l’organisation de ses programmes de démantèlement et de gestion des déchets. Ils ont enfin demandé au CEA de réexaminer les ressources budgétaires affectées aux opérations de démantèlement » [ASN, 8/10/15]. L’ASN n’a pas évoqué l’augmentation très significative des coûts associés aux démantèlements et à la gestion des déchets anciens.
L’ASN ne peut que constater que si sur le principe le démantèlement est immédiat, en réalité ce n’est pas aussi simple que de rédiger un article de loi. En 2021, c’est « une stratégie de priorisation des chantiers » qui est mis en avant par le CEA dans une plaquette de communication : « La mise à l’arrêt simultanée d’un nombre important d’installations, dans un contexte budgétaire contraint, a conduit le CEA à prioriser ses projets d’Assainissement et de Démantèlement (A&D). Une stratégie a été établie à la demande des autorités de sûreté nucléaire en fonction de la radioactivité, la radiotoxicité et la robustesse de l’installation. Elle tient également compte des enjeux techniques, économiques et humains » [CEA, Janvier 2021].
De fait, le CEA n’a pas les moyens humains et financiers pour mener la politique de démantèlement immédiat sur l’ensemble de ses installations arrêtées mais il a le mérite de l’avouer.