Intermédiaire
principal: un «oud», déclinaison orientale du luth
de la Renaissance et instrument majeur de la
musique arabo-andalouse. L'instrument est souvent
tenu à l'horizontale. Dans de nombreuses
peintures, il figure entre les mains des anges…
Mirages
La
ville du bord du lac, envahie par la neige, est
recouverte d’un lumineux manteau blanc. Les arbres
immenses du parc et leurs tentures immaculées
évoquent le chapiteau d’un cirque à ciel ouvert.
De la volière désertée, des anges se sont envolés,
laissant leurs notes blanches et rondes sur le
grillage, les noires aux corbeaux et les rêves aux
promeneurs.
Une
nappe de brume glisse lentement, venant du lac
proche encore couleur de perle et couvre des
traces de pas d’un voile transparent, féerique.
Un personnage apparaît, sur le
dos l’étui de ce qui suggère une guitare, mais,
pour un regard attentif, d’un volume inhabituel.
Il marche précautionneusement, comme s’il écoutait
ses pas en suivant les empreintes, sa démarche
faisant plutôt penser à un musicien travaillant à
une partition. Le soir approchant, la
lumière ayant déserté le ciel semble être contenue
au ras du sol et l’entraîne à ne plus regarder que
le tapis neigeux, décidant pour une fois d’ignorer
les arbres dans leur plus belle majesté.
Une
énigme semble émaner de traces de pas, captant
l’attention du visiteur qui s’engage alors dans la
lecture d’une histoire à ciel ouvert et décide de
les suivre. Leur mesure lui parle par leur
ampleur, leur ouverture, leur ancrage et, par
association, leur écriture. Inexplicablement
enfoncées, elles lui suggèrent une réflexion, une…
profondeur. Il y sent une respiration, une
jubilation réfléchie et un message proposant à son
âme de rire dans un corps dansant, comme une
jouissance à chaque pas, à chaque note lue.
Concert
spirituel
A
quelques coups d’ailes, un grand parc de jeux pour
enfants. Sur le petit portail d’accès, une
affichette municipale indiquant qu’en raison des
intempéries, la commune en interdit l’entrée. Mais
de l’autre côté, les traces continuent et il
décide donc de passer la barrière et de les suivre
qui se poursuivent jusqu’à un de ces jeux tout en
hauteur, plein de filets figurant de fantasques
toiles d’araignées.
Un
jeune couple est là, immobile; elle allongée sur
un des fils, en équilibre au plus haut d’une
toile, lui juste au-dessus, sur les poutrelles
d’accès en bois, un bras suspendu au-dessus
d’elle, tous deux comme des funambules figés pour
l’éternité mais semblant attendre le visiteur qui
s’approche lentement. Toutes les cordes sont
encore pleines de neige, suggérant la délicatesse
de la jeune femme dont la tête est posée comme un
luth sur un des bras de son compagnon.
Le
visiteur s’immobilise à la base de la toile pour
ne pas troubler ce moment beau comme un rêve, mais
au bout d’un long instant, il sort ce qui s’avère
un «oud» de son étui. Puis le mettant lentement en
place sur ses genoux, il commence à jouer. Comme
si elle n’attendait que cela, la lumière baisse
d’un ton dans le ciel. La brume qui montait
lentement les englobe, paraissant encore plus
lumineuse par contraste, et entraîne le regard à
ne plus regarder que les musiciens funambules.
Le
ballet des bras de l’homme simule à distance le
pincement des cordes, sa compagne entrant en
vibration sous chacun de ses gestes. A chacun
d’eux, à partir de cet instant, la neige quittant
la toile s’inscrit dans le tapis neigeux, comme
des notes sur le papier. Cette valse aérienne
provoquée par les ondes célestes de la femme
accordées sur la musique du visiteur, réunit dans
une somptueuse fête ceux qui croient aux anges et
ceux qui n’y croient pas.
Apothéose
Après
le dernier accord, la magie des lieux et celle de
la musique, qui avaient fait oublier la tombée du
soir, s’unissent à l’illumination des réverbères
du parc qui transforment les arbres en vitraux
dont la lumière qui parvient au sol en flaques
chatoyantes en éclairant la descente du couple
dont l’arrivée dans la neige rend enfin
compréhensible la profondeur des pas: après une
longue accolade au musicien, le garçon parvenu au
sol en premier ouvre ses bras à sa compagne dans
lesquels elle se love, et il repart avec sa
précieuse charge en suivant précautionneusement
ses traces.
Quand
les lumières s’éteignent, après une intense
communion silencieuse et recueillie, l’ensemble
des spectateurs se lève et exprime son
émerveillement dans l’envolée de mille et une
acclamations.
Puis, avant de revenir sur terre eux aussi, tous
regardent une dernière fois l’affiche du cirque: «Féeries funambules»
et ne peuvent retenir leur émotion en relisant le
titre du dernier numéro: «Les mille et une
notes».
@
Une autre
nouvelle est en ébauche à l'été 2016,
A SUIVRE...