La question de l'importance des réserves d'uranium est cruciale pour la stratégie de développement du nucléaire. Schématiquement, on peut résumer ainsi la situation: S'il y a peu d'uranium, deux stratégies sont possibles: - ou bien on se contente d'utiliser cet uranium dans des centrales nucléaires «classiques» (type PWR), et l'énergie nucléaire n'est qu'une énergie de transition de courte durée (20 à 30 ans) , qui sera bien vite remplacée par le retour au charbon et le développement des énergies nouvelles; - ou bien on tente de développer la filière «surgénératrice», sans aucune garantie de succès, et à un prix exorbitant, dans l'espoir de faire durer plusieurs siècles l'ère nucléaire. Si par contre il y a beaucoup d'uranium, les centrales nucléaire classiques peuvent être utilisées à l'échelle d'une ère industrielle (Si tout se passe bien: pas d'accidents, pas de problèmes avec les déchets, etc.), on a tout son temps pour mettre au point les énergies nouvelles et éviter le recours aux surgénérateurs. Dans un premier temps, la haute technocratie nucléaire a fait croire à l'opinion publique et au gouvernement que la France disposait d'assez d'uranium (d'où le programme Messmer). Cet engagement massif dans le nucléaire étant acquis, la seconde partie du plan des nucléocrates a été lancée: retraitement (La Hague) et surgénérateur (Creys-Malville), afin de parer à la faiblesse des réserves d'uranium de la France. Depuis peu, avec le retard qui convient sur les Etat-Unis, certains milieux technocratiques découvrent que: - le traitement et la surgénération sont hors de prix - les découvertes de gisements d'uranium se multiplient, en même temps que la demande baisse considérablement à cause de la forte réduction des programmes nucléaires. Tout cela explique l'espèce de valse-hésitation actuelle du pouvoir sur les orientations à donner au programme nucléaire français. Nous allons, dans ce numéro, présenter le dossier de l'uranium, en insistant sur un point négligé par la technocratie: le travail dans les mines d'uranium est dangereux pour la santé, et le prix de l'uranium dépend du soin que l'on met à protéger la santé des travailleurs (et même des populations voisines des mines). (suite)
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Remarques 1. Nous avions, dans une de nos premières Gazettes (N°03 «L'uranium et son approvisionnement», novembre 1976) indiqué que les réserves mondiales d'uranium étaient minces et disparaîtraient rapidement en raison de l'accroissement de la demande. A l'époque, les informations disponibles avaient pour source principale le lobby minier qui avait tout intérêt à faire monter les cours et qui cherchait à obtenir des subventions. Dans ce numéro, nous nous livrons à une étude plus large et en ce qui concerne les réserves métropolitaines, on peut dire que ce que nous écrivions en 76 reste vrai pour l'essentiel: les réserves restent relativement faibles au regard des besoins importants du programme français. Pour le reste du monde, les prévisions d'installation de centrales sont en chute libre[1], de nouveaux gisements sont découverts[2], le prix de l'uranium est en baisse[3]. Si bien que ce que nous disions il y a trois ans et demi reste sans doute vrai pour la France, mais ne l'est plus à l'échelle mondiale. 2. La notion de réserve est relative aux efforts de prospection minière. Il va de soi que les compagnies ne doivent investir que pour garantir la satisfaction de la demande future escomptée. Compte tenu des délais techniques entre la découverte d'un gisement et son entrée en exploitation, elles n'ont pas intérêt à étendre leur «horizon» au-delà de 20 ans. De là cette impression que les ressources seraient épuisées dans 20 ans, alors qu'il ne s'agit que des réserves prouvées et estimées (il en était déjà ainsi dans le secteur pétrolier en 1920!). 1. Prévisions pour 1985 de la Communauté européenne, moins la France: 150.000 MWe en 1973 et seulement 40.000 MWe en 1978. 2. De décembre 1977 à décembre 1979, l'estimation des «ressources non spéculatives» (voir plus loin la définition de ce terme) a augmenté de 25%. 3. D'avril 1979 à la mi-80, le prix «spot» de la livre d'oxyde d'uranium est passé de 43 dollars à 28 dollars (5 dollars en 1973!) p.2
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Introduction L'uranium naturel, ou plus précisément
son isotope 235, restera pendant longtemps encore le matériau fissile
par excellence, c'est-à-dire le combustible de base des réacteurs
nucléaires:
* http://www.francenuc.org/fr_mat/uranium_f4.htm Calendrier prévisionnel Une industrie nucléaire en expansion
doit soigneusement planifier les différentes opérations qui
jalonnent le cycle du combustible. Chacun sait que la fin du cycle fait
défaut puisque les techniques de retraitement et de conditionnement
des déchets radioactifs n'ont pas atteint un degré de développement
en rapport avec le parc des centrales en service, en construction et en
projet.
La répartition des investissements Au 1.1.1977, les investissements pour le cycle
du combustible représentaient environ 25% du total pour un réacteur
(réf. 4). Si cette proportion est restée inchangée
(en fait, vu l'accroissement du coût des usines de retraitement et
de conditionnement des déchets, elle a plutôt tendance à
augmenter), et compte tenu de la hausse générale du prix
du nucléaire, les investissements pour le cycle avoisinent aujourd'hui
1.300 millions de francs pour 1.300MWe.
4. En théorie, une partie de ces 0,8% devrait être récupérée par retraitement et réenrichissement. En pratique, on sait comment fonctionne La Hague... (suite)
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Le besoins des réacteurs Un réacteur PWR de 1.300 MWe, avec un
facteur de charge de 60%, consomme chaque année 850 kg d'uranium
235, c'est-à-dire, compte tenu des pertes à l'enrichissement
(taux de rejet 0,25%) et au déchargement (0,8% d'uranium 235 non
brûlé)[4], qu'il consomme chaque année 250 tonnes
d'uranium naturel (voir encart sur le contenu énergétique
de l'uranium). Sa première charge demande 650 tonnes d'uranium naturel.
Si on ajoute à cela la constitution d'un stock équivalent
à 2 ans de fonctionnement, on constate que la capacité de
production d'uranium requise pour la mise en service d'un réacteur
est de quatre à cinq fois supérieure à celle qui suffira
(annuellement) à son exploitation ultérieure. Cette contrainte
est d'autant plus pesante que la croissance du parc nucléaire est
rapide.
Les moyens mis en oeuvre Nous avons vu qu'il faut chaque année
découvrir les quantités que consommera le programme quinze
ans plus tard. Si l'obstination prévaut, il faut s'attendre à
devoir alimenter 70.000 MWe dans 15 ans, ce qui correspond grosso-modo
chaque année à la quantité d'uranium que consommeraient
deux réacteurs de 1.300 MWe pendant les 30 ans de service escomptés,
16.000 tonnes d'uranium (un peu moins que l'estimation officielle pour
le gisement de Lodève).
Remarque:
Annexe: quelques considérations volumétriques
Références:
p.3
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L'idée la plus répandue sur cette question est que l'uranium est un élément très dilué dans les roches terrestres et l'eau de mer et que les zones où on peut le trouver sous forme exploitable sont peu nombreuses. Les programmes nucléaires en cours amèneraient alors à l'épuisement des réserves dès l'an 2000, argument principal pour justifier le développement de la filière des surgénérateurs. Or seule une lecture superficielle ou une interprétation tendancieuse des données géologiques et des résultats des prospections et évaluations peut expliquer cette réputation de rareté et l'invocation à la pénurie qui l'accompagne. En fait, les gisements potentiellement exploitables d'uranium permettent sans doute d'alimenter un développement substantiel de l'énergie nucléaire pendant au moins un siècle, sans surgénération, ainsi qu'on peut le déduire de la fréquence des horizons géologiques favorables. La pénurie qui menace a donc une origine plus politique que physique, affirmation que l'on tempérera après un examen de la place de l'industrie de l'uranium dans le cycle nucléaire, les contraintes de rythme étant en ce domaine très fortes. Les chiffres accessibles dans les rapports officiels de l'AIEA et de l'OCDE sont à diviser en trois rubriques: - les réserves ou «ressources raisonnablement assurées» d'uranium récupérable aux coûts limites de 80 et 130 dollars/kg; - les «ressources supplémentaires estimées» aux mêmes coûts limites - les ressources «spéculatives» Les deux premières nourrissent la prospective officielle et justifient en partie la flambée des cours depuis 1973 - flambée stoppée depuis plus d'un an. Les dernières servent d'assurance implicite: on peut foncer, l'intendance suivra. Voici résumées en un tableau les données sur la question:
Réserves auxquelles il faut ajouter celles où l'uranium apparaît comme produit associé à un autre minéral (c'est le cas d'une grande partie des réserves d'Afrique du Sud où, sous produit des stériles de minerais d'or, elles ont cependant toujours été comptabilisées avec les réserves spécifiques), réserves dont on chiffre ci-dessous les «prouvées» et «estimées»:
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Le caractère très politique de ces chiffres est frappant: l'uranium prouvé et estimé est aux trois quarts sous contrôle américain, la presque totalité du reste étant en Afrique du Sud! A l'Asie est attribué un potentiel ridiculement bas et l'Amérique latine semble terre vierge pour les prospecteurs... N'est-ce pourtant pas au Mexique qu'on «viendrait » de repérer un potentiel dépassant le demi-million de tonnes? Les incohérences africaines méritent quelques détails complémentaires: - le Zaïre n'aurait que 3.500 tonnes de réserves «prouvées» et «estimées», alors que de son territoire ont été extraites 25.600 tonnes, lorsqu'il s'appelait Congo belge - la République Centrafricaine s'apprêterait à produire 1.000 à 1.500 tonnes avec des réserves limitées à 16.000 t, malgré plus de 20 millions de dollars américains investis dans la prospection jusqu'en 1977, chiffre équivalent à l'effort du CEA au Niger où plus de 210.000 tonnes d'uranium sont officiellement découvertes[5] - aucune donnée concernant la Namibie qui exporte pourtant plus de 1.000 tonnes par an à partir de la mine de Rössing. etc. Les ressources ultimes de la croûte terrestre appartiennent pour longtemps encore au domaine de l'économie-fiction: - il faudrait extraire et broyer 90.000 t de granite/jour pour produire 230 t d'uranium/an, c'est-à-dire une recharge pour un réacteur PWR de 1.200 MWe; - la concentration de l'uranium dans l'eau de mer est de 3 milliardièmes, ce qui, en clair, signifie qu'il faudrait traiter plus de 350.000 mètres cubes d'eau pour extraire 1 kg d'uranium... au prix minimum estimé de 800 dollars, ce qui paraît relativement optimiste. Plutôt que de rêver à ces ressources ultimes, il vaut mieux remarquer que l'on est en train de découvrir, au Canada et en Australie en particulier, des gisements à teneur en uranium plus élevée que celle des gisements jusqu'ici exploités. Le gisement de Jabiluka, dans le nord de l'Australie, renferme à lui seul plus d'uranium que ce qui a été extrait du sol des Etats-Unis entre 1948 et 1970. Si pénurie d'uranium il y a, ce sera en fait une pénurie en France. En effet, à moins que les prix de l'uranium ne connaissent une nouvelle et forte hausse (liée par exemple à une relance des programmes nucléaires au niveau mondial), la plupart des gisements dernièrement découverts sont d'un coût d'exploitation prohibitif par rapport à ceux existant en Australie, au Canada et dans de nombreux pays du tiers monde. Si le prix de l'uranium continuait à baisser, la France, en l'an 2000, se trouvera: - soit dans une situation de dépendance[6] pour l'uranium, - soit en situation de crise financière pour avoir voulu développer la filière surgénératrice, - soit probablement dans les deux situations à la fois... Par contre, une relance à l'échelle mondiale des programmes nucléaires (suite au Nième choc pétrolier, à l'élection de Reagan...) provoquerait une nouvelle tension sur le marché de l'uranium. Un approvisionnement du programme français à 50% à partir des ressources métropolitaines pourraient être envisagé et les sociétés minières françaises seraient en position dominante sur le marché mondial en même temps que la course internationale au contrôle des ressources en uranium des pays du tiers monde tendrait à l'accroissement des tensions internationales, en particulier en Afrique. 5. La situation, créée par la déchéance de Bokassa, devrait retarder de plusieurs années la mise en production (instabilité très probable du nouveau régime en place). 6. Les 20.000 tonnes récemment découvertes en Gironde près de Coutras changent peu la situation: le minerai est de teneur relativement faible et de traitement difficile. Notons cependant l'augmentation sensible des réserves prouvées et estimées en France qui a suivi la reprise des efforts de prospection après 1974. p.4
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En 1978, la CGT révèle que de l'uranium de Namibie arrive secrètement en France dans les soutes des avions de l'UTA[7]. Le gouvernement français agit en violation d'une résolution de l'ONU, assimilant toute exportation de matières premières de la Namibie à un vol. Mais il s'agit ici de remplir le plus important contrat d'approvisionnement en uranium à long terme passé par une société française à l'étranger: 13.408 tonnes d'uranium livrables jusqu'en 1990, à la société Minatome, filiale de PUK et de Total. L'uranium namibien destiné à la France est déposé à l'aéroport de Marseille, tandis que la plaque tournante pour la distribution aux autres pays étrangers (car d'autres gouvernements sont impliqués: Allemagne, Angleterre, Pays-Bas) se situe à Roissy. Le Président du Niger s'est lui aussi acheté un Boeing 737 pour transporter dans les soutes 30 tonnes d'uranium, et les passagers au-dessus. A croire que les routes sont peu sûres là-bas! Il est vrai que depuis le coup d'Etat manqué de Bob Denard au Bénin, en 1977, certaines difficultés ont pu apparaître pour le transport des matières stratégiques par la voie naturelle que représentait ce pays... Mais le «club» des pirates a fait mieux encore. En 1944, à la Libération, un commando américain est intervenu en Allemagne dans la zone occupée par l'armée française, pour évacuer le stock de 10 tonnes d'uranium que les savants nazis avaient caché dans un champ de pommes de terre. Et ils firent encore mieux: aux alentours de 20 tonnes d'uranium, cachées par Joliot-Curie dans le midi de la France, disparurent mystérieusement à la même époque*. Il fallut attendre les années 50 pour que le CEA puisse reconstituer un stock équivalent. Mais les Français prirent leur revanche. Dès ses premiers contacts avec les dirigeants atomistes sud-africains, le CEA, représenté par M. Goldschmidt, directeur des relations internationales, négocia l'achat d'uranium contre la livraison d'armes et la formation de techniciens atomistes. 7. Voir «Bonne feuille» de la Gazette N°38 * Voir dans le même ordre d'idées le site resosol dédié à l'Histoire... |
En 1967, il fut à nouveau question d'acheter 1.000 à 2.000 tonnes d'uranium à l'Afrique du Sud, pour le prix de 12 millions de Rand. Les livraisons clandestines se faisaient en violation avec le traité d'Euratom, et l'affaire fut portée devant la cour de justice européenne. Il n'y eut pas de suite à cette plainte, peut-être parce que de nombreux autres intérêts étaient en jeu. L'Allemagne, par l'intermédiaire de M. Strauss, venait de conclure un contrat du même type avec l'Afrique du Sud, et les Belges ne faisaient pas meilleure figure. En effet, détail troublant, les industriels belges ont tenu jusqu'ici à transporter une partie du brut cuprifère zaïrois chez eux à Oboken, à le raffiner eux-mêmes et à le réexporter, le cas échéant chez des tiers. Recherches faites, il apparaît qu'au raffinage, ils obtiennent du cuivre, mais aussi d'autres «déjets», principalement de l'uranium et de l'or. C'est de ce centre que disparurent un beau jour de 1968, 200 tonnes de cet uranium, vers une destination «inconnue», que d'aucuns nommèrent Israël. Le commission européenne s'empara bien de cette dernière affaire, mais les faits ne furent rendus publics qu'en 1977, suite à une indiscrétion voulue d'un diplomate américain, M. Rosenthal. Parmi les autres sources d'approvisionnements clandestins en uranium, on peut citer le cas du Brésil. Dans le courant des années 60, son minerai radioactif était exporté vers l'Allemagne et traité à Hambourg. Il semble qu'une usine de La Rochelle ait accompli le même travail, par l'extraction simultanée de l'uranium et du thorium à partir de la monazite brésilienne. De nombreuses autres sources restent à découvrir. Mais la palme d'or dans ces activités revient certainement à notre glorieuse COGEMA. Cette société en effet dirige l'exploitation des mines du Niger, et a supervisé la vente par le Niger à la Libye de plusieurs centaines de tonnes d'uranium naturel. Or une bonne partie de cet uranium était destinée au Pakistan, qui est en train de construire une usine d'enrichissement par ultracentrifugation à Kahuta, non loin d'Islamabad. Le Pakistan veut la bombe atomique, et il suffit de 4 à 5 tonnes d'uranium naturel pour avoir la quantité d'uranium 235 nécessaire. La Libye fournit son aide financière. Signalons qu'il s'agit là d'une piraterie quasi-officielle. On a essayé de tenir l'affaire secrète, mais tout s'est passé d'Etat à Etat. p.5
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Hypothétiquement, les surgénérateurs réduiront d'un facteur 50 à 100 la consommation d'uranium. Contrairement aux réacteurs classiques, à neutrons «thermiques», qui consomment environ 1% de l'uranium par fission directe de l'isotope 235 et par transmutation de l'isotope 238 en Plutonium 239, puis fission (et qui pourraient en consommer jusqu'à 1,5% si on y recyclait le surplus de Pu 239 non fissionné pendant le premier cycle), les réacteurs à neutrons rapides dont la matière fissile de base est le plutonium, peuvent être rendus surgénérateurs en plutonium grâce à la disposition autour du coeur d'assemblages d'uranium 238 qui captureront les neutrons rapides excédentaires des réactions de fission et produire du Pu 239 pratiquement pur. D'où l'idée séduisante, à plus d'un égard, qu'avec ces nouvelles machines les épineux problèmes posés par les approvisionnements massifs en uranium auront disparu, puisqu'il suffira de compenser au fur et à mesure les quantités d'uranium qui auront été transmutées en plutonium. Les lecteurs de la Gazette savent que nombre de difficultés techniques insurmontées affectent l'industrie du retraitement et qu'en conséquence la production massive de plutonium à partir des combustibles usés des réacteurs classiques puis des surgénérateurs eux-mêmes n'est pas pour demain et ne sera sans doute pas compétitive avant après-demain. Faut-il alors penser que nos nucléocrates, victimes d'un complexe d'infériorité vis-à-vis des responsables de l'industrie aéronautique franco-anglaise veulent avec le Superphénix réaliser ce que ceux-là ont fait avec le Concorde: prouver qu'ils maîtrisent tout le cycle du combustible et en tirer ensuite profit dans des opérations réellement commerciales comme cela a pu être fait avec l'Airbus? Nous pensons que s'il y a là une part de ce qui motive les exécutants, chercheurs et ingénieurs surtout, les décideurs ont d'autres raisons plus impératives et des objectifs plus immédiats, outre celui de développer leur pouvoir. Avant d'expliquer en détails ces raisons et objectifs, nous devons remarquer que le problème des approvisionnements en Pu des militaires ne saurait actuellement être résolu sans le recours à de grandes quantités d'uranium naturel. Le lecteur s'en persuadera aisément en se souvenant que la production mondiale d'uranium (pays socialistes exclus) a été de 372.100 tonnes entre 1940 et 1972, dont largement plus de la moitié pour satisfaire les besoins militaires de trois Etats, les USA, le Royaume-Uni et la France. L'industrie nucléaire civile a bien profité (cours très bas) de tous les gisements mis en valeur d'abord pour la production d'uranium très enrichi ou bien de plutonium de qualité militaire. Mais son développement très rapide depuis 1972 a relégué au second plan le problème de l'approvisionnement des armes thermonucléaires et nucléaires en matière première, d'autant plus qu'une certaine stabilisation des besoins était intervenue vers la fin des années 60. Maintenant, la multiplication indéfinie des bombes tactiques et «miniatures» et la prolifération généralisée du fait de la banalisation universelle de la technologie des réacteurs et du combustible, vont se traduire à brève échéance par un regain de la demande d'uranium pour des fins militaires. Quelques chiffres permettront de mieux définir les enjeux:
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Ainsi, constituer une force stratégique (bombe thermonucléaire à uranium 235) de quelques dizaines de missiles ne pose aucun problème d'approvisionnement et le coût de l'uranium nécessaire n'intervient pratiquement pas. En revanche, équiper les forces tactiques des armées de terre, de l'air et la marine de certaines bombes atomiques miniaturisées au plutonium (plusieurs milliers dans le cadre d'une défense européenne) demande plusieurs milliers, voire dizaines de milliers de tonnes d'uranium, car il reste inconcevable qu'un pays développé se contente longtemps de mauvaises bombes produites avec le plutonium des réacteurs civils. Dans cette perspective, le surgénérateur permettrait des économies considérables d'uranium naturel (indépendamment de toute considération de prix, car construire des surgénérateurs pour faire des bombes atomiques n'est pas forcément ce qu'il y a de moins coûteux). Le plutonium recherché, formé dans la couverture (ou manteau) du surgénérateur, est d'extraction plus facile. En effet, contrairement au combustible de son coeur, très irradié et actuellement impossible à retraiter industriellement, la couverture d'un surgénérateur de type Superphénix n'est guère plus active (c'est-à-dire chargée en produits de fission) que le combustible d'un réacteur plutonigène militaire. Mieux, le plutonium y est relativement concentré, ce qui diminue d'autant les volumes à retraiter, moyennant quelques précautions à cause du risque de criticité. La surgénération implique que l'on retraite à la fois le coeur (qui fournira environ 90% du plutonium récupéré) et la couverture (qui en fournira 10%). Si on abandonne la surgénération, c'est-à-dire si l'on renonce à retraiter le coeur, le réacteur à neutrons rapides (ex-surgénérateur) est effectivement très intéressant pour les militaires. L'armée a d'ailleurs manifesté son vif intérêt pour cette utilisation des (ex-)surgénérateurs. Citons le général d'armée aérienne (cadre de réserve) Jean Thiry: «La France sait faire des armes atomiques de tous modèles et de toutes puissances. Elle pourra, pour des coûts relativement faibles, en fabriquer de grandes quantités, dès que les surgénérateurs lui fourniront en abondance le plutonium nécessaire. Quelle chance pour l'Europe et pour la France, enfin capables par elles-mêmes de pratiquer cette dissuasion nucléaire élargie, garante de sa sécurité! Et quel ciment pour l'union de l'Europe que cette complémentarité dans l'union et la coopération entre les forces classiques de nos voisins, notamment de l'Allemagne, et notre puissance nucléaire!» p.6
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Comme toute activité minière, l'exploitation des gisements d'uranium provoque une contamination du milieu, d'abord sur le lieu même du travail et ensuite, suivant la configuration locale et les procédés mis en oeuvre, de l'environnement. Outre les nuisances classiquement attachées aux mines et carrières, tirs d'explosif, transports lourds, bouleversement hydrologique et saccage du paysage, émission de poussières, accidents du travail, l'extraction et le traitement du minerai d'uranium sont la source d'une pollution radioactive et chimique importante, aérienne par le radon et ses dérivés en suspension dans l'atmosphère, aquatique par le radium, le thorium et l'uranium et des sols par les retombées des poussières radioactives. Ce sont les problèmes posés par les pollutions radioactives qui constituent l'essentiel de ce chapitre, aussi bien sur le site même que plus loin dans les zones contaminées de façon plus insidieuse et cachée. Nous examinerons successivement: - le radon - le radium et l'eau en particulier, dans le cas de Limoges. Une annexe indique également comment sont déterminées les normes des valeurs admises, sujet que nous avons déjà évoqué dans les Gazettes N°32 et N°33/34. Le radon
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Dès le XVIe siècle, le célèbre médecin Paracelse montrait que les mineurs de fond des mines du «Schneeberg», en Allemagne, mouraient presque tous d'une maladie pulmonaire qu'il désigna comme un «mala metallorum», sans en comprendre l'origine (réf. 5). Ce n'est qu'en 1940 que les chercheurs Evan et Goodman comprirent la relation entre cancer du poumon et radioactivité de l'air ambiant due au radon, et fixèrent les premières normes pour limiter les risques d'irradiation des mineurs et des employés de laboratoire (réf. 6). C'est aussi le début d'une longue lutte pour la fixation des normes entre ceux qui estiment nécessaire de mieux protéger les mineurs et les populations, et les exploitants miniers ainsi que les tenants du nucléaire qui veulent éviter toute restriction dans l'exploitation de l'uranium. En 1959, la Commission Internationale de Protection Radiologique (C.I.P.R.) établit un compromis entre ces deux tendances et fixe une nouvelle norme tendant à limiter la teneur en radon dans l'atmosphère des mines et de leur environnement. La réaction des pronucléaires ne se fait pas attendre: l'Agence Internationale pour l'Energie Atomique (A.I.E.A.), Euratom et la France dénoncent la norme CIPR. (Il faut savoir que pour les autres radioéléments, les normes CIPR ont fait loi en la matière) et adoptent un nouveau seuil maximum, 10 fois moins contraignant que celui fixé au niveau international. Dans les mines françaises, on ira encore plus loin, puisque, par une subtile interprétation de la loi, on adoptera en fait une norme 20 fois moins contraignante que celle de la CIPR[8] (réf. 7). 8. La norme CIPR estime qu'un mineur ne doit pas respirer un air qui en moyenne annuelle contiendrait plus de 30 picocuries par litre d'air, alors qu'en France, ce seuil est situé à 600 picocuries. p.7
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La raison en sera donnée dans un document datant de 1973 (réf. 8) élaboré par les services de radioprotection du CEA français: l'adoption des normes CIPR limiterait le volume de l'uranium exploitable à 20% des réserves mondiales connues. Ce pour des raisons économiques (augmentation notable du coût de la radioprotection, donc du coût de l'uranium), mais surtout face à des obstacles technologiques: impossibilité de confiner le radon, qui est un gaz rare, donc non combinable chimiquement; la meilleure solution pour limiter la teneur en radon dans l'atmosphère est de disposer d'une forte ventilation, mais celle-ci serait déjà poussée à son.maxi-mum dans les mines actuellement exploitées. La révélation de deux enquêtes épidémiologiques, menées auprès de mineurs américains (réf. 9) d'une part, et de mineurs tchécoslovaques (réf. 10) d'autre part, qui établissent la relation entre la concentration en radon de l'atmosphère des mines d'uranium et le décès par cancer du poumon de plusieurs centaines de mineurs, amènent les services de radioprotection de plusieurs pays à réviser leurs positions. L'extrême nocivité des niveaux de contamination maximum adoptés antérieurement est démontrée. Les USA et quelques autres pays (pas la France, ni Euratom) trouvent un compromis entre la norme CIPR et celle qu'ils avaient auparavant rehaussée, en utilisant un nouveau système de mesure (la contamination de l'air n'est plus calculée en picocuries de radon par litre d'air, mais en Working Level, unité qui prend en compte l'énergie potentielle dégagée par les rayonnements alpha des descendants à vie courte du radon). Le principal avantage de cette réforme est qu'elle rabaisse quand même la dose maximale admissible d'un facteur 2 à 3 par rapport à celle anciennement mise en vigueur. Mais il est prouvé que d'une part ce seuil nouvellement défini est encore très nuisible à la santé des personnes exposées, et que d'autre part les prélèvements et les méthodes de calcul des niveaux de contamination ne sont pas fiables et permettent encore toutes manipulations de la part de l'organisme chargé du contrôle. Ainsi, un document du CEA (réf. 11) montre que les doses reçues par les mineurs ont jusqu'ici toutes les chances d'avoir été systématiquement sous-évaluées (d'un facteur de 2,5 en moyenne pour 16 mesures comparatives). L'interprétation de données que nous avons pu obtenir du CEA, relatives à la contamination des mineurs est particulièrement inquiétante (réf. 12). Plusieurs contacts avec des mineurs confirment malheureusement nos craintes. Dans les statistiques médicales portant sur la ville de Razès (réf. 13), siège de la division minière uranifère de la Crouzille, en Limousin, on constate un quasi-doublement des cas de cancer par rapport à la moyenne nationale... En ce qui concerne les populations vivant à proximité des sièges miniers et des usines de traitement, les niveaux de radioactivité auxquelles elles pourraient être exposées causent aussi de fortes inquiétudes[9] (réf. 14). Jusqu'à maintenant, les exploitants miniers (Cogema et sociétés privées), ainsi que les organismes de contrôle tels que le CEA ou le Service Central de Protection contre les Rayonnements Ionisants (S.C.P.R.I.), nient le problème et couvrent du secret les résultats de leurs prélèvements. Le niveau d'in¬conscience de la Cogema est tel qu'on pourrait le qualifier de criminel quand cette société se permet par deux fois de couper la ventilation au fond de la mine de Lodève (Hérault) (réf. 15) dans le but de briser la grève que menaient les mineurs sur leurs lieux de travail: sans ventilation, le radon et ses produits de désintégration s'accumulent dans la mine jusqu'à atteindre des niveaux extrêmement nocifs. Les informations rapportées ici peuyent paraître incomplètes et à bien des égards trop qualitatives. Il faut savoir que si quelques portes se sont ouvertes au départ pour la réalisation de ce dossier, les responsables du CEA les ont vite refermées, interdisant tout contact avec le Service Technique d'Etude et de Prévention des Pollutions Atmosphériques (S.T.E.P.P.A.) du CEA de Fontenay-aux-Roses. (suite)
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suite:
Devant un tel blocus de l'information, il est indispensable qu'une commission d'enquête impartiale démocratiquement constituée et contrôlée s'empare du dossier, approfondisse les enquêtes et établisse les responsabilités, car il ne s'agit pas de prendre en charge les mineurs et les populations affectées par la pollution due aux mines, mais d'apporter quelques éléments qui leur permettent d'agir en connaissance de cause pour l'amélioration de leurs conditions de vie ou de travail. Références
Le radium et l'eau:
Nous avons pu disposer d'un certain nombre
de bulletins mensuels du SCPI[10] avant que leur diffusion vers
le public ait été acquise suite aux pressions exercées
par les représentants des associations écologistes au sein
du Conseil d'Information Nucléaire.
9. Dans des cours de ferme, ou au milieu de villages, le CEA a installé des cheminées d'aération pour les galeries souterraines, qui rejettent continuellement de l'air contaminé souvent très au-delà des normes actuellement appliquées. Les normes CIPR pour les populations sont parfois dépassées à plusieurs kilomètres des zones d'extraction. 10. Nos données sont incomplètes mais suffisantes pour se rendre compte de l'importance des problèmes et de la carence des autorités chargées du contrôle et de la prévention des nuisances. p.8
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Ces documents mettent en évidence de notables et préoccupantes pollutions aquatiques autour des mines d'uranium et des usines de traitement et de conversion (Malvesi). Le cas de Limoges est exemplaire puisque le développement nucléaire français a démarré à partir de l'uranium du Limousin, région de l'hexagone qui reste encore aujourd'hui la principale productrice. Nous avons analysé les résultats des mesures de radioactivité à proximité des centres nucléaires, soit en Limousin, les eaux du Vincou, de la Gartempe, les étangs de la Crouzille et du Gouillet, les eaux potables de Limoges, et dernièrement celles de Bellac, toutes polluées par les effluents radioactifs des mines d'uranium et de l'usine de traitement du minerai de Bessines. On constate malheureusement que le secret qui pèse sur ces publications est à l'échelle des graves problèmes qu'elles révèlent, et à l'échelle aussi de l'inadaptation des contrôles effectués par le SCPRI: - absence d'examen d'un certain nombre de contaminants radioactifs dangereux (seul trois radioéléments sont pris en compte sur les 13 rejetés par les mines) - arrêt de certaines mesures lorsque les résultats deviennent trop inquiétants. Ainsi, depuis début 1976, on ne mesure plus la radioactivité alpha totale dans les eaux potables de Limoges. Il est vrai que lors de la dernière mesure, en dé¬cembre 1975, on avait atteint un maximum affolant - effaçage des résultats les plus compromettants. Pour l'étang de la Crouzille, principal réservoir d'eau potable de la ville de Limoges, la teneur en radium n'est jamais indiquée dans le rapport détaillé faisant état des résultats bruts des mesures. Le SCPRI se contente de faire des moyennes de cette teneur dans son rapport d'activité, mais à partir de quelles mesures alors? L'étang de la Crouzille est souvent en état de dépassement de norme. N'est-ce pas alors un moyen d'éviter qu'il y ait trop de distorsions entre les résultats des mesures sur l'étang et ceux des mesures qu'effectue le même SCPRI à Limoges, dans les eaux de distributions? - pas d'étude sur la contamination de la chaîne alimentaire - pas de contrôle de l'air dont on sait pourtant combien elle est inquiétante - méthode de mesures inadaptées, d'où sous-estimation des résultats - relevés effectués à des périodes fixes mensuellement, donc connues de la Compagnie Générale des Matières Nucléaires (COGEMA), filiale du Commissariat à 1'Energie Atomique (CEA). Celle-ci peut ainsi, tout à loisir, diminuer la charge polluante lors de périodes de contrôle, et évacuer ce qui n'est pas avouable entre deux contrôles - moyennes mensuelles de l'état de contamination, effectuées à partir d'une ou deux uniques mesures en général, et quatre seulement pour Limoges - tendance à baisser certaines moyennes (par rapport aux rares résultats bruts disponibles) - nombre de points de prélèvements extrêmement faible - etc. (suite)
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Que constate-t-on cependant à la lecture des résultats du SCPRI? 1. Les eaux du Vincou sont très gravement polluées. 2. Celles de la Gartempe sont très atteintes. (Elles alimentent le district de Bellac en eau potable). 3. Sur les trois réservoirs d'eau potable de Limoges, le plus important, celui de la Crouzille, est très sévèrement pollué par la mine du Fanay et les anciennes mines de Sagnes et d'Henriette. L'étang du Gouillet est maintenant pollué par une autre mine d'uranium, celui de la Mazelle va être contaminé par la future mine de Bonnac la Côte. Le nouveau réservoir en construction, celui du Mazeaud, risque d'être pollué par la mine de St Léger qui deviendra bientôt opérationnelle. 4. La pollution ne cesse de croître depuis la date des premiers relevés, à notre disposition (janvier 1972) jusqu'à la fin 78. La contamination des eaux potables de Limoges par le radium a progressé de près de 30% au cours de cette période, celle par l'uranium de plus de 250%, entre le début 72 et la fin 75, celle par la radioactivité alpha totale a progressé de plus de 200%. Depuis ce type de mesure ne se fait plus! Le procédé de piégeage de l'uranium et du radium, que le CEA tente de mettre au point depuis le début des années 1960, et qu'il dit utiliser dans les Monts d'Ambazac depuis le début 1978, n'est malheureusement toujours pas au point, comme l'indiquent les taux de pollution en aval des mines et de l'usine de traitement d'uranium de Bessines. La production d'uranium, qui était de 560 tonnes par an en 1972, passera à 1.000 tonnes par an en 1980. Les nouvelles mines qui résultent de cette augmentation de la production vont polluer les autres réservoirs d'eau potable et se rapprocher dangereusement de Limoges (moins de 10 km pour la mine de Bonnac). Les risques de contamination de l'air par le radon vont encore augmenter. La situation dans le Limousin n'a rien d'exceptionnel, ainsi qu'en témoignent les chiffres concernant la contamination de la Besbre, rivière déversoir de l'usine de traitement du minerai des Monts du Forez ou ceux des exutoires naturels de l'usine de conversion de Malvési, Lac, Canal du Tauran, Canal de Cadariège[11]. 11. Les «experts» qui prônent l'extraction de l'uranium de l'eau de mer devraient commencer par récupérer ce que charrient à profusion nos rivières polluées. Qui promet le plus peut le moins s'il ne leur paraît pas absurde d'exploiter un gisement à trois milliardièmes de concentration, il doit être hautement rentable de traiter des eaux cent mille à dix millions de fois plus chargées! p.9
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Arrivés à ce point du dossier, on peut s'attendre à ce que l'information soit distribuée au compte-gouttes et les méthodes de décision particulièrement régaliennes. Ainsi en est-il, en effet, et pas seulement en France, on s'en doute. La pénurie de données est soigneusement entretenue et le secret recouvre les tractations en cours et la planification des approvisionnements. Nous ne pouvons donc que présenter quelques mesures symptomatiques destinées à empêcher toute diffusion d'information sur le sujet et exposer les principes du simu¬lacre de concertation préalable à l'octroi de permis exclusifs de prospection aux compagnies minières. Nous développons ci-après deux points: - la loi du secret, - la procédure publique: le régime spécial fait aux mines d'uranium. La loi du secret Jusqu'au début des années 50,
le secret le plus absolu régnait sur les caractéristiques
géologiques des gisements d'uranium, leur mode de prospection, le
traitement de leur minerai et le tonnage produit. L'initiative américaine,
le programme «Atom for peace», permit enfin,
lors des conférences de Genève de 1955 et 1968, d'obtenir
des informations assez précises sur des sujets jusque là
demeurés dans l'obscurité. On put dès lors avoir une
idée de la production des différentes zones minières,
mise à part celle du Congo belge qui resta et reste toujours secrète.
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Le cas de la France n'est pas isolé. En 1978, le Parlement sud-africain adoptait un amendement à la loi nationale sur l'énergie nucléaire, amendement qui interdit de publier des informations sur les réserves en uranium et même le lieu où elles se trouvent sans une autorisation expresse de la commission à l'énergie atomique. Cet amendement rend également illégal le fait de rendre public le prix payé pour le concentré, à l'intérieur du pays et à l'étranger, ainsi que les conditions de la vente ou de l'achat et même l'identité des parties contractantes. il est ainsi rigoureusement impossible de faire état d'une vente d'uranium sud-africain à l'étranger et de donner des indications sur les réserves du pays. Au Canada, où l'on reste étrangement discret sur les ressources du Québec, le gouvernement a adopté en septembre 1976 un décret réglementant «la sécurité de l'information sur l'uranium» particulièrement abusif pour le respect des libertés, ceci afin de protéger ses actions et celles des sociétés canadiennes au sein du Cartel de l'uranium: «Une personne ayant en sa possession ou sous sa surveillance un document, une note, ou toute autre pièce écrite ou imprimée relative de quelque façon à des conversations, discussions, ou réunions, tenues au cours des années 1972, 1973, 1974 et 1975 et auxquelles ont pris part cette personne ou une autre personne ou un gouvernement, une société de la Couronne, une agence ou tout autre organisation concernant la production, l'importation, l'exportation, le transport, le traitement, la possession, la propriété, l'utilisation ou la vente de l'uranium, de ses dérivés ou de ses composés, ne doit, en aucune façon: a) diffuser cette note, ce document ou cette pièce ni en révéler le contenu à une personne, un gouvernement, une société de la Couronne, un organisme ou une organisation quels qu'ils soient, sauf: (i) Si une loi du Canada l'y oblige, ou (ii) Si le ministre de l'Energie, des Mines et des ressources y consent; ni: b) négliger de se prémunir ou de prendre des mesures appropriées contre sa diffusion illégale ou la révélation de son contenu.» Comparer alors le secret qui pèse sur les ressources pétrolières avec celui attaché aux réserves en uranium serait particulièrement fallacieux. Les premières ont déjà fait, de longue date, l'objet d'un partage d'influence entre multinationales et entre Etats, même si l'équilibre est constamment remis en cause. Les secondes, qui s'intègrent directement aux grands projets de complexes militaro-industriels du siècle en cours, sont à l'heure du partage, et personne ne sait ce qu'il en ressortira. En témoigne ainsi le secret le plus absolu que fait régner la société Elf Aquitaine (ou même le B.R.G.M.) sur ses activités en matière de prospection minière d'uranium, entamées pourtant depuis la fin des années 60, et où elle est devenue un des principaux investisseurs français. Même ses rapports d'activité annuels, destinés à informer les actionnaires, gardent le silence dans ce domaine alors qu'ils sont assez prolixes sur les recherches pétrolières, ce qui ne signifie pas que l'ensemble des questions pétrolières échappe à la politique du secret, bien au contraire. p.10
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I - Signification de la procédure publique Parmi les diverses procédures légales
qui se suivent, de la prospection à l'exploitation de gisements
miniers, seules deux permettent la prise en considération des données
écologiques et leur présentation au public, ceci en application
de la loi sur la protection de la nature, ce sont:
La notice d'impact, procédure très
simplifiée de l'étude d'impact, qui accompagnera le dossier
de demande de permis exclusif de recherche, ne tient souvent qu'en une
ou deux pages et ne prend en compte que les effets sur la nature et l'environnement
des travaux de prospection. Dans ce genre de notice, le demandeur du permis
évite d'envisager les problèmes d'environnement qui pourraient
se poser si les gisements découverts étaient par la suite
exploités. Pourtant, le permis de recherche exclusif donne droit
à la société qui l'instruit à l'obtention d'un
permis exclusif d'exploitation, si la demande est déposée
dans les temps et si la zone définie s'inscrit dans le périmètre
de prospection. Il n'y a ni étude ni notice d'impact obligatoire
pour l'enquête publique préalable à l'octroi de ce
permis
d'exploitation. Si pour des raisons de protection de l'environnement cet
octroi était refusé, dans ces conditions, la société
demenderesse serait en droit d'exiger des indemnités qui s'éleveraient
alors à plusieurs millions de francs (remboursement des frais de
recherche au minimum).
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De plus, la réalisation de l'étude d'impact est confiée à la société minière. Celle-ci cherchera donc par tous les moyens à minimiser ou à éviter d'exposer devant le public les réels problèmes que pose l'exploitation minière. En résumé, les documents mis à la disposition du public au cours des différentes procédures ne permettent pas à celui-ci et à ses représentants élus de prendre une décision en connaissance de cause, ni de mettre en question les projets miniers. II -Pour que la concertation ne soit pas un leurre Si l'on veut qu'une décision soit prise
d'une manière réellement démocratique, il est indispensable
d'effectuer, préalablement à l'octroi d'un permis de recherche,
un bilan écologique et socio-économique qui prenne en compte
l'ensemble des répercussions des recherches et des exploitations
minières à venir, et des alternatives possibles. Pour des
raisons d'objectivité, cette étude doit être réalisée
par un organisme indépendant placé sous le contrôle
d'une commission démocratiquement constituée. Il est ainsi
indispensable d'obtenir la pleine participation du public, des élus,
des associations et des groupes socio-professionnels devant lesquels les
travaux seront ensuite présentés. Cette étude peut
alors être un document de base pour une prise de décision
de l'ensemble des personnes concernées.
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