LaG@zette Nucléaire sur le Net!
N°283, mars 2017

HOMMAGE À BELLA BELBEOCH
Adieu à l’amie Bella Belbeoch
Texte de Jean-Claude Zerbib, son collègue et ami


      Bella Belbeoch, née Goldsztein en 1928, ingénieur-docteur, a travaillé au Centre d’études nucléaires de Saclay (Commissariat à l’énergie atomique - CEA) de 1956 à 1986. Elle est décédée le 23 septembre 2016, à Paris.
     Après avoir obtenu son diplôme d’ingénieur ESPI, Bella a passé, en juin 1958, sa thèse à la Faculté préparée sous la direction du Pr André Guinier, au laboratoire de radiographie du CNAM. Entrée au CEA, elle y a poursuivi des travaux de recherche, au moyen de rayons X, sur les propriétés des réseaux cristallins. Elle a travaillé notamment sur l’oxyde d’uranium (UO2) et la diffusion des rayons X, après irradiation par des neutrons, sur des monocristaux d’oxyde de béryllium (BeO). Puis de 1969  à 1986 au département de Physique du solide et Résonance magnétique.
     Mais avant cela, quel chemin parcouru par cette jeune femme, née en France, de parents immigrés nés en Pologne, qui avaient acquis la nationalité française en 1930.

Bella, une adolescence dans une période très mouvementée
     Le 20 août 1941, son père, Menachym, ouvrier tailleur à Paris, est arrêté dans le 11e arrondissement lors de la première des rafles menées entre le 20 et le 24 août, une rafle inattendue, organisée par la Préfecture de police et la Gestapo.
     Cette rafle ne visait que les hommes, aussi des témoignages de femmes éclairent sur la stratégie franco-allemande qui a permis ces arrestations. Comme les 4.230 hommes -(dont 1.500 français) appréhendés ce jour-là et les jours suivants, le père de Bella est enfermé au camp de Drancy, plaque tournante de la déportation des Juifs, où, comme un grand nombre de ses compagnons d’infortune (le poète Max Jacob est mort à Drancy, cinq jours après son incarcération), les conditions très dures du séjour, le manque d’hygiène et les privations dégradent son état de santé.
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     Menachym ne pèse plus que 36 kg quand il est libéré pour raison médicale, début décembre 1941, après un séjour de deux mois et demi à Drancy. Il rejoint alors clandestinement la zone Sud. Comme une trentaine de décès survinrent dans le camp de Drancy entre octobre et novembre 1941, il est vraisemblable que la Préfecture de Police ait voulu se débarrasser des détenus les plus mal en point. En ce décembre 1941, certains grands malades furent transférés à l’hôpital Tenon, puis à l’hôpital Rothschild (Mémorial 2011), avant d’être réincarcérés, à peine rétablis.
     La mère de Bella, qui échappe de peu à la "rafle du Vel’ d’Hiv" des 16 et 17 juillet 1942 (13152 juifs arrêtés dont 4115 enfants de moins de 16 ans), parvient à franchir la ligne de démarcation avec son plus jeune fils.
     Bella, âgée de 14 ans, avait quitté Paris début juillet 1942, quelques jours avant cette grande rafle. Elle passa la ligne de démarcation dans un train spécial d’écoliers. Les compartiments de sa voiture furent contrôlés par deux soldats allemands. L’un d’eux scruta son visage et sa carte d’écolière… avant de partir. Elle était sauvée et toute la famille s’est ainsi retrouvée, l’été 1942, dans un hameau de l’Indre, près de Saint-Benoît-du-Sault.
     Bella sera très reconnaissante envers tous ceux qui l’ont protégée, notamment lors des jours dangereux de la débâcle allemande, comme cette jeune professeure de mathématiques, cette directrice d’école ou les parents de son amie Andrée, qui la cachèrent. De vrais "Justes parmi les Nations".
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Un adieu aux Justes qui l’ont aidée
     Pour être sûre que, tous ceux qui l’avaient aidée, reçoivent ses ultimes remerciements, elle avait rédigé, deux mois avant son décès, cet adieu en guise de faire-part :
     Merci à l’Auvergnat de la rue de la Fontaine au bois,
     Merci à la surveillante de l’EPS du collège Edgar Quinet,
     Merci aux habitants du Joux et de Roussines, aux parents d’Andrée à la Souterraine qui m’ont assuré la sécurité et où j’ai vécu dans une atmosphère chaleureuse jusqu’au 6 juin 1944,
     Merci à la professeure de mathématiques qui m’a procuré une carte d’identité vierge de la mairie de Pionnat,
    Merci aux maquisards de Georges Guingoin dont les coups de main ont occupé la milice à plein temps, les empêchant d’accomplir leur sale besogne,
     Merci à tous les Justes parmi les Nations.
   J’espère qu’en France il y aura toujours des personnes solidaires des persécutés.  Bella, 16 juillet 2016
     Si mes échanges avec Bella n’avaient porté depuis 1968 que sur les effets des rayonnements ionisants et sur le risque nucléaire, en mars 2016, suite à un courrier envoyé en février 2016 sur les victimes juives de Pologne, durant et après la Shoah, et une discussion sur les origines du Yiddish, elle m’avait envoyé quelques pages d’un texte autobiographique, écrit en 2014 à l’intention de sa famille. J’ai pu ainsi découvrir son extraordinaire parcours, celui de ses parents et les souffrances insoutenables de ses proches.
     Mais, dans les pages qu’elle m’avait adressées, il n’y avait rien sur l’Auvergnat de la rue de la Fontaine au bois, ni sur la surveillante de l’EPS du collège Edgar Quinet. C’est son fils, Olivier, qui m’a donné les clés pour comprendre l’au-revoir de la mi-juillet 2016:
   L’Auvergnat de la rue de la Fontaine au bois… C’était un habitué du café situé rue de la Fontaine-au-bois, celui où le père de Bella prenait son café tous les matins, avant d’aller travailler.
     C’est lui qui l’avait prévenu de l'imminence de la rafle concernant les juifs non-nés français (sic). Les deux gendarmes français qui vinrent chez lui à six heures du matin sont entrés et ont dit qu’il devait y avoir une erreur dans les papiers, parce que le nom n’était pas écrit de la même manière… peut-être une façon de prévenir qu’une rafle était en cours. Quelques heures plus tard c’est un gendarme accompagné d’un Allemand qui est venu. Alors qu’ils repartaient bredouilles, la concierge les a arrêtés pour leur dire qu’ils trouveraient M. Goldzstein au café… et c’est comme cela qu’il a été arrêté. Au titre des actions de la concierge et de ses proches, une question reste en suspend:
     "Est-ce son mari qui avait gravé une croix gammée sur un pavé de la cour, juste au pied de l'escalier des Goldzstein, quelques jours après l’entrée des Allemands dans Paris?"
    Une concierge qui a probablement dénoncé également Albert, le frère de Menachym. Un fait milite pour cette hypothèse, car, lorsque Albert est revenu en août 44, avec une Sten à la main, reprendre possession de l’appartement pillé, elle s’est évanouie…  Quant aux meubles de la famille Goldsztein, retrouvés chez elle, c’était pour les mettre à l’abri disait-elle…
     L’Auvergnat était venu prévenir la mère de Bella, peu avant le début de la rafle du "Vel d’Hiv" et l’a amenée, comme si c’était sa femme, ainsi que son fils Charlot, en cachant son étoile jaune, pour sortir de la souricière. Il les a amenés à Jaurès prendre un car pour Vierzon.
     Pas d’autres informations sur ce courageux Auvergnat: un anonyme resté anonyme.
     Un Juste parmi les Nations… anonyme.
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La surveillante de l’EPS du collège Edgar Quinet…
      Quand son père a été arrêté, Bella en avait parlé à cette surveillante qui l’avait aussitôt inscrite comme "fille de prisonnier de guerre" afin qu’elle puisse toucher une aide financière. Bella l’avait prévenue quand son père avait été libéré de Drancy, mais la surveillante lui a dit : "Votre père va avoir besoin de cet argent. Personne ne sait qu’il a été libéré alors, il est toujours prisonnier de guerre". C’est cet argent qui a probablement été utile à Menachym pour partir rapidement en zone libre, avant que des soldats allemands ne viennent le chercher chez lui, en représailles d’un attentat.

Le sort cruel de la famille de Bella durant la 2e guerre mondiale
     Si les proches de Bella ont été sauvés, il n’en a pas été de même pour sa famille restée en Pologne. C’est notamment le cas des deux frères de sa mère, encore présents dans un pays découpé en août 1939 par le pacte germano-soviétique. Pour l’un deux, Yankel, qui vivait au niveau de cette nouvelle frontière, la mère de Bella reçut un jour une carte disant: "Il a eu les pieds gelés", ce qui signifiait qu’il était mort en Russie.
     Son autre frère, Boutché, selon le récit de Mendel, un ami de la famille rescapé de la Shoah, a connu une mort atroce, dévoré vivant par les chiens des gardiens du camp de Treblinka, le plus important centre d’extermination après celui d'Auschwitz. Chacun de ces deux frères avait six enfants. Ils ont tous été assassinés, avec leurs mères, dans le camp d’extermination nazi de Treblinka.
     Ces crimes n’étaient hélas pas exceptionnels. Ce sont les juifs polonais qui subirent le plus lourd tribut durant la Shoah: près de trois millions de victimes. En 1939, l’estimation officielle de la population juive en Pologne était de 3,351 millions. En 1945, il ne restait plus qu’environ 400.000 personnes en vie, dont notamment 55.000 sur le sol polonais et 202.000 polonais, transplantés vers l’Est en 1939 et revenus de Russie à partir du printemps 1946. Mais ces derniers ne furent pas les bienvenus.
     La capitulation de l’Allemagne nazie ne met pas fin à l’antisémitisme meurtrier en Pologne, seul pays d’Europe qui connut des pogroms après la fin de la guerre. Le premier pogrom a lieu à Cracovie en août 1945 lorsque, de retour, les juifs voulurent récupérer leurs maisons et leurs biens. Puis ces exactions s’étendirent à toute la Pologne. Ces pogroms reprirent en avril puis le 4 juillet 1946 à Kielce où il y eut 104 juifs morts par violence, dont 51 ce seul jour de juillet. Ces violences se poursuivirent en 1946. Pendant les deux premières années de "paix", les spécialistes estiment que 1.500 juifs périrent des mains des Polonais.
     La famille Goldsztein apprit pour sa part, fin 1947, qu’un petit-neveu de la mère de Bella qui, avec sa mère, avait survécu en Pologne après la Shoah, avait été assassiné, chez lui. La mère, Bronia, s'était absentée de son domicile afin d'effectuer des démarches en vue de leur départ en Israël et, une fois revenue, elle avait découvert chez elle, son petit garçon mort. Un groupe de polonais antisémites était venu et avait massacré tous les juifs survivants du lieu. Elle n’a pu supporter plus longtemps le décès par violences de son enfant et a mis fin à ses jours...
     En 1953, puis en 1968, des campagnes antisémites, conduites en Pologne, entraînèrent des vagues d’émigration des rescapés de la Shoah. Après 1968, les juifs n’étaient plus qu’environ vingt mille en Pologne et moins de dix mille aujourd’hui. Mais, en 2013, des cimetières étaient encore profanés avec l’inscription "Juifs dehors", taguée sur des pierres tombales.
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Les travaux de Bella en cristallographie
     Lors de son doctorat en faculté, Bella Belbeoch réalisait ses recherches au moyen d’un vieux générateur à rayons X qui n’avait probablement jamais connu le moindre contrôle réglementaire. Le faisceau de rayonnement délivré par ce générateur se transformait en un arrosoir à rayons X sous le plan de travail. Irradiée au niveau du bassin, Bella, qui se croyait enceinte, avait connu en fait une stérilité de plusieurs mois. Ce fut probablement un évènement initiateur de ses inquiétudes sur les effets des rayonnements, dont elle mesura l’impact sur son propre corps.
     Bella était toujours préoccupée des risques présentés par les déchets radioactifs qui s’accumulaient en France mais aussi et surtout, après l’accident de Three Mile Island (28.03.1979), des risques d’accident grave pouvant survenir dans les installations nucléaires. En 1988, c’est notamment grâce à Bella et Roger que l’étude scientifico-policière de Jaurès Medvedev, sur la catastrophe survenue dans la région de Kychtym, a pu être accessible en France [Medvedev 1988]. Aussi les victimes de la catastrophe de Tchernobyl, puis celles de Fukushima, ne cesseront de l’angoisser. Elle reviendra, à multiples reprises, dans ses écrits, sur ces deux catastrophes. Elle en évoquera les aspects sanitaires et environnementaux, en dénonçant les nombreux bilans réducteurs, voire négationnistes, diffusés par des organisations internationales comme l’AIEA ou l’UNSCEAR.

La catastrophe de Tchernobyl
    Ce qu’elle a écrit dans le journal Écologie, le 1er mai 1986, le jour même où «le nuage de Tchernobyl», encore anonyme, survolait la France, a été pour moi, mais après plusieurs années de recul, véritablement visionnaire:
     «Il faut s’attendre, dans les jours qui viennent, à un complot international des experts officiels pour minimiser l’évaluation des victimes que causera cette catastrophe. La poursuite des programmes civils et militaires impose à l’ensemble des États une complicité tacite qui dépasse les conflits idéologiques ou économiques
    Bella voyait bien plus loin que tous et sa capacité d’analyse, comme son intuition, lui permettaient de percevoir l’essentiel, dans la brume des informations contradictoires. Ce même 1er mai 1986, la mission de l’Agence internationale à l’énergie atomique (AIEA) à Tchernobyl, donnait la première raison à ses prévisions, en brossant un tableau rassurant des suites de la catastrophe: «Le réacteur est à l’arrêt (sic)… Les entreprises, les fermes collectives et institutions d’État fonctionnent normalement… L’état de l’air au-dessus de la région de Kiev et de la ville de Kiev elle-même n’est pas préoccupant
    Qui oserait écrire, après qu’une voiture a percuté un mur à cent km à l’heure et s’être enflammée, que le véhicule est à l’arrêt? C’est pourtant ce que la mission de l’AIEA avait déclaré, à propos d’un réacteur qui avait explosé, et dont le graphite a brûlé dix jours durant: Le réacteur est à l’arrêt...
     Le secrétaire de l’AIEA, Hans Blix qui s’était rendu le 7 mai 1986 à Tchernobyl à l’invitation des Soviétiques, déclarait avec un indécent cynisme: «Tchernobyl n’a pas causé plus de morts que le match de football de Heysel, il y a un an».
     Le 9 mai H.Blix avait précisé: «Par chance, la majeure partie de la population se trouvait à domicile au moment de l’explosion…et il n’a pas plu sur la région durant les heures critiques…».
     Comme il était 1h 24 du matin, il n’y avait effectivement pas grand monde dans les rues. Quant aux heures critiques, s’agissant de la contamination environnementale, elles ont duré, pour la première phase, dix jours durant lesquels le graphite qui entourait le cœur du réacteur a brûlé, soit 240 heures, sans parler de l’énorme intensité du rayonnement émis par le combustible du réacteur mis à nu. Pour ce qui concerne la pluie, là aussi le mensonge est grossier, car c’est justement elle qui a provoqué des contaminations très importantes, dites en "peau de léopard", touchant des territoires situés jusqu’à 200 km de Tchernobyl.
   La journaliste ukrainienne Alla Yarochinskaya, devenue en 1989 députée au Soviet suprême d’URSS, rend compte d’un document secret, daté du 10 mai 1986, dans lequel il est précisé que "des avions sont utilisés pour protéger la ville de Kiev des précipitations atmosphériques, c’est-à-dire que l’on a dispersé dans les nuages des substances chimiques afin de faire tomber la pluie sur les régions rurales environnant la Centrale…". La pluie est donc bien tombée et de façon provoquée, en Ukraine et en Belarus. L’objectif de cette pluie, artificiellement déclenchée, était justement de "lessiver" le nuage afin de réduire au maximum la charge radioactive qu’il véhiculait, lors de son survol de la ville de Kiev (environ 1,9 million d’habitants en 1986).
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     Le 28 août 1986, M. Morris Rosen, directeur de la division de la sûreté nucléaire de l’AIEA, déclarait, lors d’une conférence à Vienne (du 25 au 29 août 1986): «Même s’il y avait un accident de ce type tous les ans (sic), je considérerais le nucléaire comme une énergie intéressante
     Le 16 janvier 1987, Moscou, dépêche de l’AFP): «(...) La zone située entre 10 et 30 km autour de la centrale pourra commencer à être repeuplée de ses habitants cette année, a indiqué dans une conférence de presse M. Hans Blix, directeur général de l’AIEA, qui vient de passer une semaine en Ukraine avec deux de ses adjoints, MM. Morris Rosen et Léonard Konstantinov
     Or, trente ans après la catastrophe, cette zone de 30 km de rayon (2.800 km²), totalement entourée d’un réseau de barbelés, est toujours interdite. Seules, les trois mille personnes qui travaillent sur le site, sont autorisées à y pénétrer. Environ, un millier de personnes ont choisi de revenir vivre illégalement dans cette zone interdite, en quasi-autarcie: les Samosioly (ceux qui se sont installés d’eux-mêmes).
    Bella devait relever ces citations et bien d’autres, totalement cyniques et mensongères, de hauts responsables de la caste nucléaire internationale, notamment dans ses articles:"Les scandaleuses perles de Morris Rosen", "Les perles des directeurs de l'AIEA" [Belbeoch B. 1988].

Tchernobyl, les bilans
     On doit le premier bilan technique et les évaluations des impacts sanitaires de l’explosion du réacteur N°4 de Tchernobyl, à la délégation soviétique, présidée par Valeri Legassov. Ce bilan, présenté à la conférence de Vienne d’août 1986, a fourni une analyse détaillée et minutée de l’accident et de ses conséquences dans un volumineux rapport (370 pages), dont une annexe (N°7) de 70 pages, portant sur les problèmes médicaux et biologiques.
     En se fondant sur les bases, toujours actuelles, de la CIPR, les experts soviétiques faisaient une prévision de 30.000 à 40.000 morts supplémentaires par cancer (dont plus de 80% dus au césium 137) parmi les 75 millions d'habitants des régions concernées.
     Des pressions importantes s’exercèrent alors sur les experts soviétiques, par l’AIEA, par la CIPR (Dan Beninson, son Président) et par des représentants de divers pays, afin qu’ils revoient à la baisse leurs prévisions. La conférence s’est alors poursuivie à huis clos et finalement, le communiqué de l’AIEA réduisit la prévision pour le long terme de 40.000 à 4.000 victimes.
     L’annexe N°7, relative aux estimations des experts soviétiques sur l’impact sanitaire de la catastrophe, ne fut pas jointe aux "Actes du congrès". Jusqu’à cette date, une telle censure ne s’était encore jamais vue dans un congrès international.
     Mais l’exemple se reproduira plus tard, avec l'OMS qui organisa à Genève, en novembre 1995, une conférence internationale sur "Les conséquences de Tchernobyl et d'autres accidents radiologiques sur la santé", en présence de 700 médecins et experts, en ne publiant que partiellement les actes de ce colloque.
     Seuls les congressistes présents à Vienne ont pu disposer du texte de l’annexe 7, rédigé en langue anglaise, et distribué par la délégation soviétique. Bella a donné un premier bilan de la catastrophe sur la base de cette fameuse "Annexe" censurée et en a permis sa diffusion.

Le suivi de la catastrophe de Tchernobyl par Bella
    Par la suite, Bella publia de nombreux bilans, dans la "Gazette nucléaire" et dans les "Lettres d’information du Comité Stop-Nogent-sur-Seine", sur la situation sanitaire et environnementale des habitants et des territoires de Belarus, d’Ukraine et des régions de Russie, contaminés par les nuages de Tchernobyl (voir notamment la Gazette N°157/158, d’avril 1997).
    Dans une lettre qui était adressée à Bella, ainsi qu’à trois autres personnes, le Professeur Vassili Nesterenko, avait donné le récit de ce qu’il avait fait depuis l’annonce de la catastrophe, et son analyse de la chaîne des erreurs des expérimentateurs, qui a conduit à la catastrophe.
     À l’aube du 1er mai 1986, il avait survolé en hélicoptère, avec Legassov et deux pilotes, le réacteur en ruine. Les débits de dose de rayonnements gamma et neutroniques étaient si intenses que seuls Nesterenko et Legassov survécurent à ce vol. Les deux pilotes moururent peu de temps après, suite à l’exposition reçue durant ces survols, au-dessus et autour du réacteur en feu. Plusieurs pilotes d'hélicoptères connurent le même sort que ce premier équipage.
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      Les décès survenus chez tous les intervenants sur ce site se comptent par dizaines de milliers, dans la vingtaine d’années qui suivirent la catastrophe. La grande majorité de ces décès sont restés anonymes, car comme le rappelle Marc Molitor: « …dès l'origine, le Politburo soviétique avait strictement interdit aux médecins d'associer n'importe quelle pathologie, sauf les très aiguës, aux retombées de Tchernobyl, et que les relevés des doses de radioactivité ont disparu» [Molitor 2008].
  Sur les 830.000 liquidateurs, intervenus sur le site après la ruine du réacteur, 112.000 à 125.000 sont décédés avant 2005, soit environ 15% des intervenants [Yablokov 2015] pages (208-233).

Les premiers cancers thyroïdiens des enfants
     En juin 1986, j’avais écrit un texte, distribué à Saclay, dans lequel je soulignais notamment le risque de cancer de la thyroïde des enfants suite aux rejets d’iodes. J’avais essuyé les sarcasmes des experts du CEA et de l’Institut de protection et de sûreté nucléaire (IPSN devenu IRSN en 2002) en particulier. Ils disaient que je sous-estimais à la fois la dose et le délai de survenance.
     J’avais cité pourtant mes références: 10.842 enfants exposés (1 à 15 ans d’âge lors de l’exposition), 4 ans de latence pour la survenue du premier cancer et des doses relativement faibles, 90 milligrays en moyenne à la thyroïde (de 43 à 168 mGy). Bella avait fait partie de ceux qui partageaient mes craintes et qui m’avaient soutenu. La Gazette a d’ailleurs publié ce texte.
     C’est elle qui m’avait signalé la lettre du courageux médecin Keith Baverstock de l’OMS, qui bravant des interdits, avait rendu publiques en septembre 1992, les données accumulées par les médecins Belarus sur ces cancers thyroïdiens: de deux à trois cancers survenant annuellement en Belarus, avant 1986, le nombre de cas était progressivement passé à 55 en 1991. Et ce n’était que le début de l’épidémie qui s’est développée également en Ukraine et dans les territoires Russes proches de  l’Ukraine.
     Une réalité qui s’est difficilement imposée au niveau des instances internationales, bien que les effets délétères sur la thyroïde des enfants, induits par les iodes radioactifs rejetés par le réacteur en ruine, ne pouvaient plus être contestés. Bella et Roger soulignent cependant que dans les conclusions de son rapport UNSCEAR 2000, la Commission de l’ONU écrit : "...il y a eu environ 1.800 cas de cancers de la thyroïde chez des enfants exposés au moment de l’accident et si cette tendance se poursuit, il pourrait y avoir plus de cas dans les prochaines décades"… Avant de rajouter le commentaire suivant: «Pour la grande majorité de la population, il est improbable qu’elle soit l’objet de conséquences sanitaires sérieuses qui résulteraient d’une irradiation due à l’accident de Tchernobyl».
     En 2006, un bilan sur les cancers est publié par le CIRC, vingt ans après la catastrophe. Entre 1986 et 2002, 4.837 cancers de la thyroïde (données issues des registres de cancers de l’Ukraine, de Belarus et de Russie, 2006), ont été diagnostiqués chez les enfants âgés de moins de 17 ans en 1986 [Cardis 2006].
     Pour la période 1991-2005, le nombre de cancers diagnostiqués est, selon l’UNSCEAR, la Commission spécialisée de l’ONU, de 6.848 cas [UNSCEAR 2008].
     En utilisant les données du Registre des cancers de Belarus, un épidémiologiste du Roswell Park Cancer Institute de New York a montré que, par rapport à 1980-86, l’incidence des cancers chez les femmes, avait été augmentée d’un facteur 12 entre 1997 et 2001. Cette étude montre également que l’incidence des cancers de la thyroïde qui était de 0,15 pour 100.000 (0,15.10-4) chez les filles de moins de 14 ans est passée à 43,84.10-4 (facteur 292). Pour les mêmes périodes, chez les garçons du même âge, l’incidence est passée de 0,08.10-4 à 18,84.10-4 (facteur 235). La grande sensibilité des enfants était mise en évidence chez les moins de 14 ans et tout particulièrement chez les moins de 6 ans.
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   Comme le précise Bella, toutes ces atteintes thyroïdiennes auraient pu être évitées si les autorités soviétiques avaient écouté le Pr. Vassili Nesterenko, directeur de l’institut de physique nucléaire [Belbeoch B. 2008]. Il avait réclamé, dès les premiers jours de la catastrophe, une prophylaxie générale de la population par distribution d’iode stable. Cela lui a été refusé et les autorités l’ont accusé de vouloir semer la panique. Il avait également demandé, sans prendre en compte les répercussions politiques de ses recommandations, l’extension de la zone d’évacuation de 30 à 100 km, ce qui aurait inclus des villages des districts fortement contaminés bordant la zone déjà évacuée. Cela aussi a été refusé et lui a finalement valu d’être destitué de son poste de directeur de l’Institut. Il est mort, à 74 ans, le 25 août 2008 à Minsk, après une opération de l'estomac [Kempf 2008].

Les atteintes des enfants contaminés
     La Biélorussie, devenue Belarus en août 1992, a été et est toujours le pays le plus touché par les retombées de Tchernobyl. Ses 9,5 millions d’habitants (nombre stable depuis 2009), sont répartis dans six régions diversement touchées par la contamination des sols.
     Au début des années 1990, près de 2,2 millions de Belarus (sur 10,0 millions), soit 22% de la population, dont 500.000 enfants, vivaient sur des sols encore contaminés à plus de 37.000 Bq/m² de césium 137, avec des zones supérieures à 0,5 million de Bq/m², habitées par plus de 100.000 personnes. Mais les organismes internationaux rechignent toujours à reconnaître les conséquences de ces contaminations sur les enfants.
     Le Pr Bandajevsky a pourtant montré qu’il y avait un lien entre la charge corporelle en césium des enfants et leurs nombreuses pathologies (troubles du système cardiovasculaire, atteintes thyroïdiennes même chez les enfants nés après avril 1986, cataractes, troubles du métabolisme, retards de puberté, baisse des défenses immunitaires, malformation des fœtus en lien avec la charge en césium 137 du placenta, etc.). Les données recueillies ont montré notamment des anomalies cardiologiques (découverts avec sa femme Galina, pédiatre et cardiologue) et de la vision. Le Pr Bandajevsky, en dégageant dans la population suivie, quatre groupes d’enfants en fonction de leur charge pondérale, a montré que le taux d’anomalies augmentait linéairement avec la charge corporelle radioactive des enfants en césium 137.
     En 1987, à l’initiative du physicien Andreï Sakharov, de l’écrivain Alès Adamovitch et du champion du monde d’échecs Anatoly Karpov, l’Institut Belarus "BELRAD" est créé. Il a développé l’usage d’additif alimentaire à base de pectine de pomme qui permet la "décorporation" du césium 137. De 1996 à 2007 plus de 160.000 enfants Belarus ont reçu ces additifs qui ont réduit de 30 à 40% la charge en césium après 18 à 25 jours de cure. Dans une de ses dernières lettres, Vassily Nesterenko décrit les résultats obtenus chez des enfants de plusieurs écoles et décrit les consignes de prévention alimentaire qui permettent de réduire la charge en césium 137 des enfants (écrémage du lait, macération au sel et au vinaigre de la viande avant cuisson).
     Comme le précise Bella, l’institut BELRAD s’est équipé de plusieurs unités mobiles et effectue sur des enfants des mesures par spectrométrie gamma de la charge en césium 137 incorporé via la nourriture, en se déplaçant dans les villages contaminés. Ce sont des spectromètres simplifiés qui enregistrent les émissions gamma du césium 137 et du potassium 40 présents dans l’organisme des enfants. À partir de 1996, l’institut de médecine de Gomel travaille de conserve avec l’institut BELRAD, riche de près de 200.000 données spectrométriques sur la charge corporelle en césium 137 des personnes vivant dans des zones contaminées.

L’affaire Youri Bandajevsky en Belarus
     Bella a décrit les travaux de Bandajevsky en insistant sur le fait que la région de Vitebsk, qui est la moins touchée par les contaminations des six régions de Belarus, est également celle où l’on observe l’incidence la plus faible des malformations et cardiopathies. Ainsi Vitebsk, «étalon interne» de la Belarus, montre s’il en était besoin, que les atteintes sanitaires des enfants augmentent bien avec le taux de contamination corporelle en césium 137 (exprimé en Bq/kg), le seul radionucléide des retombées toujours mesurable, car son activité dans les sols n’a diminué en 2016, que de moitié.
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     Ces atteintes, produites par une contamination chronique au césium 137, provoquent des effets encore inconnus, car avant Tchernobyl, il n’y avait pas eu de telles charges radioactives, observées chez des enfants chroniquement exposés, qui se comptent en centaines de milliers. Après avoir mis plusieurs années pour admettre la survenue des cancers thyroïdiens, les experts internationaux admettent que camper sur les seuls effets mesurés chez les survivants des bombardements nucléaires est une erreur et s’intéressent aux effets des faibles doses chroniques.   Nous avions déjà observé cette obstination, pour les rescapés d’Hiroshima et Nagasaki, où seule la mortalité par cancers était analysée. Il a fallu attendre cinquante ans pour que les experts s’intéressent aux atteintes cardiovasculaires mortelles, lesquelles ont doublé le nombre de victimes, décédées des effets des rayonnements, dans les années qui suivirent les deux explosions nucléaires.
     Avec le GSIEN, Bella s’est mobilisée pour la défense du Pr Y. Bandajevsky qui a montré cette dépendance linéaire des altérations de la fonction cardiaque avec la charge corporelle en césium 137 des enfants. Il a été arrêté à son domicile le 13 juillet 1999, sous le coup d’un décret présidentiel contre le terrorisme. Lors de son arrestation, la police a notamment confisqué à son domicile, ses dossiers scientifiques et son ordinateur. [Belbeoch R. 2001] (page 104). Il est alors destitué de son poste de recteur de l’Institut de médecine de Gomel [Tchertkoff W. 2006] (page 227).
     Ces problèmes sont survenus en fait, après qu’il ait adressé un rapport au Président Loukachenko, en avril 1999, dans lequel il critiquait le Ministère de la santé pour la mauvaise gestion de son budget de 1998.
   Son procès s’est ouvert le 19 février 2001 et le 18 juin 2001 le Tribunal militaire, malgré le manque de preuve, l’a condamné à huit ans de détention. Une mobilisation internationale prend corps pour assurer sa défense. Amnesty international considère Y. Bandajevsky comme un "prisonnier de conscience" et demande sa liberté immédiate et inconditionnelle. Le Parlement Européen apporte son soutien au professeur en lui attribuant un Passeport pour la liberté. Après avoir été enfermé cinq années en isolement, dans la prison de Minsk, il est soumis fin mai 2004 à une assignation à résidence avec travail obligatoire (ouvrier agricole dans une ferme dans la région de Grodno). Le 5 août 2005, une liberté conditionnelle lui est accordée.
   Comme le souligne Vladimir Tchertkoff, c’est le fait d’avoir touché au thème de l’argent, en dénonçant l’usage inapproprié de fonds publics pour Tchernobyl, qui est à l’origine de ses ennuis.

Le sinistre tourisme de catastrophe
     Informés des premières initiatives annoncées en février 1991, Bella et Roger avaient réagi dès le début contre ce tourisme du malheur. Il ne s’agissait à l’époque que de traverser en bus deux villages avec une vue du sarcophage.
     Dix ans plus tard, plusieurs agences se sont spécialisées dans ce tourisme de la peur nucléaire, d’un voyeurisme malsain. Elles proposent des visites d’un ou deux jours, dans la zone interdite.
     À partir de 150$ il est possible de prendre des photos de la ville abandonnée de Pripyat avec son petit parc d’attractions et sa grande roue jaune ou dans des maisons abandonnées, pour des vues d’intérieurs avec un décor de mise en scène (lits d’enfants abandonnés, poupées disposées pour troubler, masques à gaz ou jouets jonchant les sols de salles de classe, etc.)

6. Les déchets radioactifs
     Avec le risque d’accident grave, la gestion des déchets radioactifs, y compris ceux présentés comme étant de faible activité, comme l’uranium appauvri, produit lors des opérations d’enrichissement de l’uranium 235 à partir d’uranium naturel utilisé dans les combustibles de réacteurs a toujours préoccupé Bella et Roger.
     Le cas de l’uranium de retraitement appauvri ajoute aux trois isotopes naturels de l’uranium naturel (234, 235 et 238) les uraniums 236, 232 et ses descendants. Mais les propriétés chimiques et radioactives de tous ces isotopes, naturels ou artificiels, sont identiques et leurs toxicités voisines [Belbeoch B. et R. 2001]. Bella et Roger montrent que les tirs de missiles anti-char, qui utilisent, sous la forme d’une "flèche" perforante, une masse propulsée d’uranium appauvri (0,3 à 1 kg), produisent par vaporisation de l’uranium, des aérosols qui provoquent une forte contamination de la zone touchée. Ils montrent que cette pollution n’est pas négligeable et les conséquences sanitaires observées dans plusieurs armées avaient pris le nom de syndrome de la guerre du Golfe. Ces armes ont très largement été utilisées et Greenpeace a évalué à 300 tonnes le poids total d’uranium utilisé durant la guerre du Golfe.
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     Bella soutient cependant qu’il est faux de penser que seul l’uranium de retraitement appauvri, à usage militaire, est dangereux car il contient de l’uranium 236. Sa toxicité n’est pas très différente de celle des autres isotopes, mais c’est tout l’uranium appauvri qui pose problème. La toxicité chimique de l’uranium (majoritaire devant le risque radiologique), qui est celle d’un métal lourd, présente un risque de cancer du rein, mis en évidence chez les mineurs d’uranium en France [Vacquier 2008]. C’est la raison de sa critique argumentée contre l’entreposage de 199.900 tonnes d’oxydes d’uranium appauvri à Bessines [Belbeoch B. 2004].

Centrale du Blayais, décembre 1999, le presque-accident grave
   Le soir du 27 décembre 1999, la centrale nucléaire du Blayais, en Gironde, perd en quelques heures la maîtrise de trois de ses quatre réacteurs, sous le double effet de la tempête "Martin" et d'une inondation par les eaux de la Garonne.
     Des vagues de plus de 5,3 mètres ont submergé les digues qui devaient protéger la centrale, entraînant l’inondation d’une bonne partie des bâtiments réacteurs 1 et 2 (entrée de 90.000 m3 d'eau) et mettant hors d’usage des dispositifs utilisés en cas d’accident, car une des deux voies du système d’eau brute de la Garonne a été noyée. Cette voie alimente le système d’injection d'eau de sécurité dans le réacteur (circuit RIS) et le système d’aspersion de l’enceinte du réacteur (circuit EAS), matériels de secours qui n’ont heureusement pas été nécessaires pendant les intempéries. L'inondation des sous-sols des bâtiments-réacteurs 1 et 2, a également mis hors d'usage des équipements électriques en sous-sol.
     Pour les sites en bord de mer, la protection contre le risque d'inondation doit prendre en compte la crue maximale dite "crue majorée de sécurité", une crue qui correspond à la conjonction d'une marée maximale (coefficient 120) avec la "surcote millénaire".
     La construction du premier réacteur de la centrale, Blayais-1, a commencé en 1976 sur une plateforme de 4,5 m. Bella a montré que ce choix était loin d'être "conservatif", dans la mesure où des vagues de 5,3 m ont été observées, ce 27 décembre 1999. Pourtant, comme a pu le vérifier Bella, la marée de coefficient 77, était faible et bien loin d’avoir atteint le niveau maximal connu (118-119). Bella a mené l'enquête et a analysé dans le détail cet incident sans précédent: dix heures pour récupérer le refroidissement normal du réacteur N°1.
     Elle rappelle que la transparence a encore des progrès à faire: c’est un article publié le 5 janvier 2000, par le journal Sud-ouest qui a révélé la gravité de l’incident avec un titre rétrospectivement alarmiste "Très près de l’accident majeur" et dans le sous-titre «le scénario catastrophe a été évité de justesse».
   En raison, d'une part de la dégradation notable de la fiabilité de matériels importants pour la sûreté, et d'autre part de l'indisponibilité totale de plusieurs systèmes de sauvegarde, l'incident, d'abord classé au niveau 1 de l'échelle INÈS, a été reclassé au niveau 2 par l'Autorité de sûreté le 29 décembre au matin.
   La conjonction de la tempête, d’erreurs de conception (Digue de hauteur insuffisante ) minimisant le risque d’inondation dès la construction de la centrale, aggravées par la non-réalisation par EDF des travaux de rehausse de la digue et de remise en état pourtant demandés depuis par l’ASN (repoussés à la Visite décennale 2002) auraient pu conduire à une situation bien plus grave [Belbeoch B. 2000], car les routes autour de la centrale étaient impraticables.
     Des défaillances qui ont affaibli le niveau de sûreté de deux des quatre réacteurs, mais qui auraient pu être gravissimes: perte de l'alimentation électrique conjuguée avec celle de la source d'eau froide, c'est le scénario catastrophe de Fukushima, évité au Blayais par la perte d'une seule voie d'eau.

L’analyse critique des défauts métallurgiques des pièces massives de réacteur
     Les préoccupations de Bella Belbeoch portaient sur la résilience (tenue aux chocs mécaniques et thermiques) des cuves et générateurs de vapeur (GV) des réacteurs français. Elle analysait depuis plus de trente ans leurs anomalies et adressait aux Autorités de sûreté ses analyses détaillées. Les retours étaient rares, voire inexistants.
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      En 2004, Bella et Roger Belbeoch, son époux décédé fin 2011, ont quitté le Groupement de Scientifiques pour l’Information sur l’Energie Nucléaire (GSIEN), car ils doutaient de l’utilité qu’il y avait à débattre avec les instances du nucléaire. Ils ont cependant poursuivi leurs combats critiques pour une plus grande prise en charge des anomalies métallurgiques qui mettaient en péril, selon eux, la robustesse des cuves et générateurs de vapeur (GV).

La fragilité des cuves des premiers réacteurs à eau légère français
     L'acier des cuves de six réacteurs de la première génération (appelée palier CP0), deux réacteurs de la centrale de Fessenheim et quatre autres de celle du Bugey, contient des zones ségrégées dont des hétérogénéités riches en phosphore, appelées "veines sombres" qui sont pour Bella des zones de fragilité très préoccupantes, préoccupations ravivées neuf mois après la catastrophe de Fukushima.
     En situation accidentelle, l’exploitant peut être contraint à refroidir, en urgence, le cœur du réacteur. Ce déversement d’eau froide, sous pression, dans une cuve, peut provoquer un choc thermique dommageable pouvant conduire, selon Bella, à la rupture. L’IRSN avait d’ailleurs également recommandé à EDF, dans son Avis du 15/12/2009, qu’un bilan, conduit par EDF afin d’évaluer "l'influence des zones de ségrégations majeures et des veines sombres sur la fragilisation soit réalisé".
     Fin 2011, dans son article, relatif à la cuve du réacteur "Fessenheim N°1" [Belbeoch B. 2011], Bella décrit les modifications de propriétés des aciers, influencées par certaines impuretés (cuivre, nickel, phosphore) et par les flux importants de neutrons issus du cœur et reçus par la cuve, durant ses années de fonctionnement. Ces modifications conduisent à une augmentation de la fragilité de la cuve en cas de choc thermique violent. Son analyse a été adressée au chef de la Division de Strasbourg de l'Autorité de Sûreté Nucléaire.

Quand les défauts constatés sont camouflés
     Les péripéties actuelles d’AREVA, relatives à la falsification de dossiers de contrôle des GV fabriqués en France, dans "Creusot Forge", ou d’anomalies sur des fonds de cuve ou des GV forgés par une firme Japonaise (JCFC), rendent plus actuelles, encore aujourd’hui, les préoccupations de Bella:
     Le 3 mai 2016, l’ASN estimait qu’il y avait 400 dossiers de fabrication prioritaires, dits "dossiers barrés", relatifs à des pièces massives produites depuis 1965 (une cinquantaine est encore en service) où des anomalies ont été détectées. Elles portent sur des falsifications de dossiers désignées de manière très feutrée, comme étant des incohérences, des modifications ou des omissions découvertes dans les dossiers de fabrication.
     Les 87 cas d’anomalies déclarés à l’ASN, concernent 24 réacteurs et un équipement en cours de fabrication : sur ces 87 cas, 23 présentent, selon l’ASN, des anomalies potentiellement majeures pour la sûreté. Les fonds de générateurs de vapeur de dix-huit réacteurs affichent des taux de carbone supérieurs aux normes. C’est ainsi que l’ASN a "suspendu" le certificat d’épreuve du générateur de vapeur du réacteur Fessenheim N°2, car une virole basse qui constitue ce GV aurait dû être rebutée. Ce réacteur est mis à l’arrêt en juin 2016. Douze réacteurs équipés de fonds d'acier, forgés au Japon par JCFC, ont également été mis à l'arrêt pour conduire des contrôles.

C’est avant l’accident qu’il faut agir, Bella et Roger
     Les résistances que Bella et Roger rencontraient pour faire entendre leurs critiques, les ont conduit à opter pour une démarche plus radicale que des analyses critiques techniquement argumentées et adressées, sans retour, aux Autorités de sûreté Françaises: celle de militer pour l’arrêt du nucléaire. Tous leurs écrits restent des références.
     Les dernières malfaçons camouflées par des rapports de contrôle AREVA falsifiés avaient accru les inquiétudes de Bella et ses visions de catastrophes à venir en France.
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     Bella ne croyait plus aux possibilités d’infléchir des décisions au moyen d’une critique technique, quelle que soit sa pertinence. Aussi partageait-elle pleinement la conviction de Roger: «Sortir du nucléaire, c’est possible, avant la catastrophe. C’est avant l’accident qu’il faut agir. Après, il n’y a plus qu’à subir

Bibliographie

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