6 septembre 2022 • IRSN

Dossier Ukraine

IRSN - Note d’information
Description de la centrale nucléaire de
Zaporizhzhya et de son environnement


La centrale nucléaire de Zaporizhzya, exploitée par le personnel ukrainien d’Energoatom [exploitant nucléaire d’Ukraine], est sous contrôle des forces russes depuis le 4 mars 2022. Elle a récemment fait l’objet de plusieurs bombardements, suscitant une forte inquiétude sur les conséquences possibles :

• 5 août : bombardement d’un transformateur 330 kV ayant conduit à l’arrêt automatique du réacteur n°3 et au démarrage de ses groupes électrogènes de secours ;

• 5 août : bombardement et endommagement d’une station de production d’azote ;

• 6 août : bombardement à proximité du site d’entreposage à sec du combustible usé ;

• 11 août : bombardements endommageant des équipements de lutte contre les incendies, une station de pompage d’effluents non radioactifs et des capteurs de mesures de radioactivité ;

• 22 août : bombardement à proximité de la centrale thermique entrainant des dommages sur la ligne électrique d’interconnexion avec la centrale nucléaire ;

• 23 août : bombardement entre la centrale nucléaire et la ville voisine d’Energodar, entrainant des incendies de végétation proches de la centrale ;

• 25 août : bombardement au nord de la centrale thermique voisine de la centrale nucléaire, entrainant des incendies de végétation et une déconnexion temporaire de la centrale nucléaire du réseau électrique ; des diesels de secours auraient démarré ;

• 25 août : bombardement d’une galerie d’accès du réacteur n°2 (liaison avec le bâtiment d’exploitation n°1), endommageant des conduites d’eau et des liaisons électriques ;

• 28 août : bombardement du bâtiment d’exploitation n°1 entrainant une perforation du toit et des dommages dans les équipements présents ;

• 1er septembre : bombardement du site ayant conduit à la coupure d’une ligne électrique 750 kV, à l’arrêt du réacteur n°5 et au démarrage des diesels de secours du réacteur n°2,

• 5 septembre : bombardement à proximité de la centrale thermique ayant conduit l’exploitant à couper la dernière ligne électrique connectant la centrale au réseau électrique Ukrainien.

A ce jour, aucun de ces bombardements n’a entrainé de rejets radioactifs sur le site. Aucune augmentation de radioactivité n’a été détectée par les réseaux de surveillance de l’environnement implantés à proximité de la centrale. Les équipes du site sont intervenues à chaque fois pour rétablir, dans la mesure du possible, la situation.

Afin de faciliter la compréhension des conséquences des événements récurrents se produisant sur le site de la centrale nucléaire de Zaporizhzya, la présente note resitue la centrale dans son environnement, décrit le site et rappelle les principaux enjeux liés à sa sûreté dans le contexte actuel.

Figure 1 – Vue d’ensemble de la centrale nucléaire de Zaporizhzhya et de son environnement

Le site de Zaporizhzya et son environnement (figure 1)

Le site de Zaporizhzya est localisé sur la rive gauche du Dniepr au niveau du réservoir de Kakhovka limité à son aval par le barrage et la centrale hydroélectrique de Kakhovka et à son amont par le barrage et la centrale hydroélectrique de Dnipro. Les ponts permettant de traverser le Dniepr en amont ou en aval sont à plus de deux heures de route de la centrale.

La Figure 1 présente le réseau électrique dans la région de la centrale de Zaporizhzya. Quatre lignes électriques de 750_kV et 2 lignes de 330_kV permettent de connecter cette dernière au réseau électrique.

Les systèmes de la centrale sont alimentés par le réseau 750 kV en fonctionnement. En cas de défaillance du réseau électrique 750 kV (Figure 3), les réacteurs 1 et 2 peuvent être alimentés par une ligne 150 kV via le poste électrique de la centrale thermique1 et les réacteurs 3, 4, 5 et 6 par deux lignes 330 kV via le même poste électrique. Des connexions entre les réacteurs permettent un secours mutuel des alimentations électriques de leurs systèmes de sauvegarde.

Fin août, seule une ligne 750 kV (vers le Nord) et une ligne 330 kV semblaient disponibles. Début septembre, seule la ligne 330 kV serait disponible. La situation apparait très évolutive.

Enfin, la figure 1 montre la localisation des balises de surveillance de l’environnement, qu’elles appartiennent à l’exploitant de la centrale ou au réseau national de surveillance ukrainien. Les données issues de ces réseaux sont généralement accessibles en temps quasi-réel soit grâce au réseau IRMIS de l’AIEA soit à celui de la Commission européenne (EURDEP).

Figure 2 - Plan des installations de la centrale nucléaire de Zaporizhzhya

Installations présentes sur le site de la centrale de Zaporizhzhya (figure 2)

La figure 2 présente un plan détaillé du site de la centrale de Zaporizhzhya. Celui-ci comporte six réacteurs de type VVER_1000 [REP] de conception russe. Chacun des cœurs de réacteurs est protégé par une enceinte de confinement qui abrite également la piscine de désactivation du combustible usé. Après quelques années, le combustible usé est transféré de la piscine de désactivation vers des containers entreposés à l’extérieur dans une zone dédiée (entreposage à sec).

Le site comporte par ailleurs de nombreuses installations liées à l’exploitation de la centrale : traitements chimiques de l’eau des circuits, gestion et entreposage des effluents radioactifs (bâtiments spéciaux), conditionnement et entreposage des déchets radioactifs solides, centre de formation, laboratoires ....


Osama Hajjaj (Jordanie)

Principaux enjeux en termes de sûreté

Perte des prises d’eau

Pour assurer le refroidissement des installations, un bassin de rétention a été construit avec un canal d’amenée et un canal de rejet pour l’alimentation de la partie conventionnelle de la centrale nucléaire. Chaque réacteur dispose d’une prise d’eau sur le canal d’amenée.

En cas de défaillance de la prise d’eau (par exemple, si le niveau d’eau du bassin de rétention était trop bas), les réacteurs seraient mis à l’arrêt et le refroidissement des cœurs et des piscines d’entreposage de combustible usé serait assuré par un circuit relié à un bassin équipé de systèmes d’aspersion (Figure 2). Un appoint d’eau à ce bassin est nécessaire pour compenser les pertes d’eau par évaporation.

Figure 3 – Cartographie des lignes électriques connectées aux centrales nucléaire et thermique de Zaporizhzhya

Perte d’alimentation électrique de la centrale

A ce jour, l’alimentation électrique de la centrale nucléaire de Zaporizhzya est particulièrement fragilisée. En cas de perte totale du réseau électrique externe, un ou plusieurs réacteurs en fonctionnement pourraient continuer à produire l’électricité nécessaire aux six réacteurs de la centrale de Zaporizhzhya, sous réserve de réussir un « transitoire d’ilotage »2. La fiabilité de cette disposition, qui n’est pas une disposition d’exploitation courante, est limitée. Ce n’est de plus pas une solution pérenne.

Chaque réacteur dispose de trois groupes électrogènes de secours (6,6 kV). Un seul groupe électrogène est suffisant pour maintenir le réacteur dans un état sûr. En outre, deux groupes électrogènes, protégés contre les agressions et les actes de malveillance (bunkerisés), sont également présents sur le site. Les stocks de carburant alimentant les diesels pourraient permettre leur fonctionnement pendant sept à dix jours, délai au-delà duquel un ravitaillement devient nécessaire.

L’état des stocks de carburant n’est toutefois pas connu. [Dans son rapport du 5 septembre 2022, l’’AIEA indique une réserve de « 2250 tonnes de fuel disponible pour l’ensemble du site », soit un peu plus de 2500_m3 (source, AIEA).]

En cas de perte totale du réseau à la centrale de Zaporijia, la note d’information de l’IRSN du 22 mars 2022, n’occultait pas « les risques de défaillance intrinsèque de certains groupes électrogènes dont le fonctionnement long terme dépasserait vraisemblablement le cadre de leurs tests périodiques (sans doute quelques heures) et pourrait générer des problèmes non connus de l’exploitant.

La défaillance de plusieurs groupes électrogènes de secours ne pourrait donc pas être exclue avant épuisement des réserves de carburant ».

Source, IRSN

Enjeux radiologiques en cas d’accident

La centrale nucléaire de Zaporizhzya présente des enjeux radiologiques majeurs en cas d’accident.

Le refroidissement du combustible des cœurs des réacteurs ou placés dans les piscines de désactivation doit être assuré de manière continue : une défaillance prolongée du refroidissement (perte des prises d’eau et/ou perte de l’alimentation électrique) conduirait à un accident de fusion du combustible et à des rejets radioactifs dans l’environnement ; l’ampleur des rejets dépendrait de l’étanchéité des enceintes de confinement et de la disponibilité d’un moyen d’évacuation de la chaleur dans les enceintes ;

Le site d’entreposage à sec de combustible usé (dans des containers) est vulnérable en cas de bombardement : les containers sont des structures en acier et béton robustes mais leur endommagement conduirait à une dispersion de matière radioactive, avec des conséquences à l’extérieur du site dont l’ampleur dépendrait des dommages subis par les containers ;

D’autres parties de l’installation contenant des matières radioactives sont également vulnérables en cas de bombardement (entreposage de déchets solides, d’effluents radioactifs liquides ou gazeux) ; les effets seraient néanmoins limités au site en lui-même.

Dans les deux derniers cas, il y aurait un rejet radioactif immédiat. Dans le premier cas, le rejet serait différé, ce qui permettrait d’alerter les populations pour évacuation, mise à l’abri ou prise de pastilles d’iode.

Dans tous les cas, les balises de mesures de radioactivité de l’environnement permettront la détection des rejets.

Enjeux humains, organisationnels et logistiques

La centrale est occupée par les troupes russes depuis début mars. Il semble qu’une forte contrainte soit exercée sur les équipes de l’opérateur ukrainien Energoatom qui continuent à exploiter la centrale. Cet état de stress des équipes, depuis environ 6 mois, augmente fortement le risque d’une erreur humaine susceptible de provoquer un incident ou accident nucléaire. Les inspecteurs de l’autorité de sûreté ukrainienne ne pouvant plus assurer leur mission sur site, il n’est pas possible de savoir si les règles d’exploitation, notamment les essais périodiques et les opérations de maintenance sont correctement appliquées. Les approvisionnements de la centrale en équipements de toutes natures, pour l’exploitation (consommables tels du bore) ou les opérations de maintenance, sont certainement très perturbés.

En outre, du fait des communications limitées, les centres techniques de crise nécessaires en cas d’accident nucléaire ne sont pas pleinement opérationnels. Les moyens logistiques qui seraient indispensables pour gérer les situations accidentelles ne sont plus garantis.

Pour l’IRSN, la situation de la centrale nucléaire de Zaporizhzya et des équipes qui en ont la responsabilité est actuellement très dégradée : la mission de l’AIEA pourrait permettre d’avoir des informations utiles sur l’état des installations et les conditions d’exploitation.

Notes

1. Cette centrale thermique est actuellement à l’arrêt.

2. Après le transitoire d’ilotage, l’alimentation électrique d’un réacteur est assurée directement par son alternateur principal et non plus par le réseau électrique externe.


unidivers.fr

IRSN, 6/09/22