Brennilis, la vitrine du démantèlement au long cours |
« "EDF et le CEA, les grandes entreprises et l'ensemble des intervenants
ont déclaré leur intention de faire de cette opération une
vitrine. Il faut y veiller." Ainsi s'exprimait en 1995
Christian Frémont, alors Préfet du Finistère »
[brennilis.com].
Le démantèlement immédiat
prend naissance, dans le discours.
Dénommé dans le jargon atomique EL4, Brennilis est un réacteur de faible puissance (70 MWe - 250 MWth), unique prototype expérimental de la filière française à eau lourde (EL). Lancée avec la premier réacteur français, la pile Zoé (150 kWth), poursuivie avec les réacteurs de recherche EL2 (2,8 MWth) et EL3 (18 MWth), la filière est en démantèlement.
Brennilis a été mise en service industrielle en 1968 (première divergence le 23/12/66) à 1985 conjointement par le CEA et EDF. Résumé des principales opérations effectuées après son arrêt : « Les opérations de cessation définitive d'exploitation et de mise à l'arrêt définitif ont débuté en 1985 pour s'achever fin 1992. Elles ont consisté en l'évacuation de tous les combustibles irradiés, le retrait du tritium de l'eau lourde, la vidange et le séchage des circuits et le conditionnement des déchets ».
« Dans le cadre du décret n°96-978 du 31 octobre 1996, de première opérations de démantèlement ont été menées de 1997 à 2007 : des circuits ont été obturés, certains circuits d’eau lourde et de dioxyde de carbone ont été démantelés, ainsi que des composants électromécaniques ; plusieurs bâtiments non-nucléaires ont également été déconstruits » [ASN, 16/05/24].
La suite avec l’Observatoire du démantèlement de la centrale de Brennilis (équivalent à la CLI) :
« En février 2006, un décret autorisant le démantèlement complet est publié. Pièce constituante du dossier de demande d'autorisation pourtant déposée en juillet 2003, l'étude d'impact n'a été rendue accessible au public qu'après cette publication intervenue en catimini. L'Observatoire n'a été informé ni de la sortie du décret, ni de la mise à disposition de l'étude d'impact » [brennilis.com].
En 2007, « Saisi par le Réseau Sortir du nucléaire, le Conseil d’État a annulé le décret gouvernemental du 9 février 2006 autorisant le démantèlement complet de la centrale nucléaire de Brennilis dans le Finistère. (...) La plus haute juridiction administrative a estimé que l’exploitant de la centrale EDF n’avait pas respecté la procédure d’information publique, comme l’y oblige une directive européenne de 1985 » [Sortir du nucléaire, 1/06/07].
Faim de démantèlement
En l’an 2000, EDF publiait en interne un document : « Démantèlement des centrales nucléaires de première génération : pour une stratégie plus offensive ». Extrait du paragraphe sur Brennilis : « Par lettre du 5 octobre 1999 aux Ministres concernés, CEA et EDF ont annoncé leur volonté de poursuivre le démantèlement par le niveau 3 et indiqué que celui-ci sera achevé dans 15 à 20 ans. En pratique, EDF et CEA se donnent l’objectif d’achever le démantèlement vers 2015 ».
Le CEA ne s’est pas trop mouillé dans cet engagement volontaire, un mois plus tard il bottera en touche : « Par lettre du 6 décembre 1999, CEA a déposé une demande de changement d’exploitant nucléaire au profit d’EDF qui l’accepte. (...) Concrètement, le pilotage de la maîtrise d’ouvrage conjointe est assuré par EDF depuis novembre 99, date de la signature du protocole correspondant, entre EDF et CEA » [EDF, juin 2000 (Archive GSIEN)]. Le décret concrétisant le changement d’exploitant sera publié en l’an 2000.
L’annulation du décret de 2006 va retarder la mise en œuvre du programme de démantèlement mais EDF y croit encore. Dans une présentation interne, « Brennilis : où en sommes-nous ? 13h de l’info le 16 octobre 2007 », l’entreprise évoque « l’aspect réglementaire » de « la gestion de l’évènement », l’annulation du décret de 2006 « Juridiquement inattaquable ». La dépose d’un nouveau dossier est prévue à « mi-2008 » afin d’obtenir l’autorisation de démantèlement complet pour « mi-2009 ». Le slide n° 46 présente « Les principaux jalons » de ce démantèlement complet (Cf. ci-dessous), la réhabilitation du site étant désormais prévue en 2020 [EDF, 2007 (Archive GSIEN)].
Il faudra toutefois attendre 2011 pour la parution d’un nouveau décret qui autorisera uniquement des opérations de démantèlement partiel (niveau 2) de la centrale.
Ce n’est qu’en 2023 qu’un énième décret autorise le démantèlement complet de l’installation ce qui permet « d’engager le démantèlement du bloc réacteur, la démolition de l’enceinte et la réhabilitation du site attendue en 2040 » [EDF - Comptes consolidés 2023].
Sans aléas ou revirement stratégique induisant de nouveaux retards, le démantèlement s’étalerait sur 43 années, après 17 ans d’exploitation commerciale...
Coup de bambou
En 2012, la Cour des comptes indique le coût de construction de la centrale de Brennilis : « 249 M€2010 » soit 309 M€2023. Sur la base de l’estimation (à la louche) de la commission PEON ajustée en 1991, soit 15% du coût de construction, le coût du démantèlement de la centrale bretonne devait donc être inférieur à 50 M€2023 (estimation ajustée six années après l’arrêt de la centrale). Ce sera vingt fois plus cher, sans aléas d’ici à 2040...
Comme nous l’avons vu, le devis du démantèlement a évolué, en euros de 2023, de 228 M€ en 2001 à « environ 1,0 milliard d'euros » de « coûts à terminaison » en 2023 selon EDF [EDF - Comptes consolidés 2023].
Contaminations sans fin
Dans la Décision n° 2009-DC-0169, l’ASN signale la présence sur le site de Brennilis de « 25 fûts (...) de déchets présentant une activité en émetteurs alpha comprise entre 50 et 370 Bq/g » [ASN, 22/12/19]. S’il y a des alpha c’est qu’il y a eu des fuites au niveau des gaines de combustible durant l’exploitation.
En effet, des ruptures de gaines sont évoquées au chapitre « Incidents au cours de l’exploitation » de la Pièce 2 du dossier de l’Étude d’impact de mars 2009. Extrait : « La première période a été marquée par un arrêt de longue durée pour le remplacement des échangeurs de chaleur (1968-1970) et la réparation de jonctions sur les tubes de force (1970-1971). Outre les fuites observées pendant cette première période, ayant donné lieu à de longues réparations, on peut citer, quant à leurs conséquences éventuelles sur la contamination des circuits (...) 11 ruptures de gaine de 1971 à 1981 (...) conduisant à l'arrêt du réacteur dans 8 cas et au déchargement de 84 grappes en défaut à la date du 10 octobre 1984. Ces incidents n'ont pas conduit à une contamination significative du circuit CO2 en produits de fission ; ils ont néanmoins nécessité des contrôles et des mesures particulières pour l'entreposage du combustible » [Archive GSIEN]. Avec des contrôles et mesures particulières de radioprotection ?
Quant à la notion de contamination significative, il faut se remettre dans le contexte de l’époque où le CEA et EDF exploitaient l’atome avec des normes de radioprotection bien plus élevées qu’aujourd’hui. Les ruptures de gaines provoquent la contamination en produits de fissions mais également en émetteurs alpha du circuits primaires et de l’installation.
En mars 2006, la Criirad a retrouvé de tels radioéléments « sur des mousses aquatiques prélevées par Sortir du Nucléaire Cornouaille, (...) dans l’ancien chenal de rejet de la station de traitement des effluents ». Les analyses « ont révélé :
une contamination par des radionucléides artificiels (césium 137, cobalt 60) à des niveaux nettement supérieurs à ceux publiés antérieurement par l’IRSN et l’ACRO, ainsi que la présence d’argent 108m.
la présence à des taux anormalement élevés de radionucléides appartenant à la chaîne de l’uranium 235 et présentant une très forte radiotoxicité ».
En novembre 2006, l’ACRO et le CEA confirme « la présence dans les terres-sédiments du chenal de rejet :
d’actinium 227-thorium 227 (223 Bq/kg) (…)
d’argent 108m (39 Bq/kg)
d’isotopes du plutonium (1,2 Bq/kg sec pour le Pu 239-240) et d’américium 241 (13 Bq/kg sec) » (émetteurs alpha) [Criirad, 22/09/07].
Les fuites de combustible ont provoqué la contamination des installations puis de l’environnement. Et celles du personnel qui a exploité et qui démantèle la centrale ?
Au sujet de l’inventaire radiologique de Brennilis, le Groupe permanent d’experts (auprès de l’ASN) pour le démantèlement fait état de la présence de « produits de fission résultant de ruptures de gaines d’assemblages combustibles survenues pendant l’exploitation de la centrale ». Le GPDEM estime que l’exploitant « EDF devrait préciser la manière dont il traitera les risques associés à la présence éventuelle d’émetteurs alpha ».
L’assainissement du site pourrait révéler des surprises comme le souligne le GPDEM : « Dans des secteurs identifiés, les sols du site sont contaminés par des substances radioactives ou chimiques ; ces contaminations sont aujourd’hui caractérisées. Le groupe permanent souligne que les travaux réalisés en la matière ne concernent pas les zones situées sous les bâtiments » [ASN - Avis GPDEM, 11/03/21]
En 1988, la Gazette n° 90/91 avait évoqué l’augmentation des rejets de tritium dans l’environnement après l’arrêt de la centrale avec notamment la contamination de la rivière Ellez. « Avant l'arrêt définitif de juillet 1985, les valeurs relevées dans les bulletins du SCPRI sont généralement inférieures à 15 Bq/l » alors que les bulletins mensuels du SCPRI en 1986 et 1987 donnent des valeurs comprises entre 360 et 820 Bq/l. Concernant les rejets radioactifs gazeux, dont le tritium, « Cette centrale était carrément hors normes » comme en a témoigné le professeur Pellerin (Libération, 11/08/87), le chef du SCPRI à l’époque.
Si l’on retrouvait autant de tritium dans l’environnement, c’est que les installations en étaient imprégnées et « Quand les syndicats s’alarment des décès prématurés chez les personnes ayant travaillé sur les circuits tritiés lors de l’exploitation de la centrale et réclament qu’un bilan officiel soit publié, la direction répond de façon évasive. Et pour cause ! Des anciens techniciens de la centrale viennent de faire le bilan eux-mêmes et ont constaté que "la moitié des intervenants sur l’eau lourde sont décédés rapidement après leur mise à la retraite" » [Sortir du nucléaire, 1/05/07].