Décembre 2024 •

Démantèlement des réacteurs à neutrons rapides
refroidis au sodium


En exploitation chaotique de 1986 à 1997, la centrale de Creys-Malville ou Superfuitix, est le prototype industriel de la filière des réacteurs à neutrons rapides refroidi au sodium développée par le CEA. Débuté avec le réacteur expérimental Rapsodie puis avec le prototype Phénix, la filière n’a pas tenu les promesses mirifiques escomptées par ses concepteurs.

Lors du démantèlement, la neutralisation du fluide caloporteur, le sodium radioactif, est complexe du fait de l’inflammabilité du sodium au contact de la moindre humidité. Les masses de sodium en jeu sont de 37 tonnes pour Rapsodie, 1485 t pour Phénix, et 5900 t pour Superphénix.

Réacteur Rapsodie

« Il a fonctionné de 1967 à 1978. Un défaut d’étanchéité de la cuve [double enveloppe] du réacteur a conduit à son arrêt définitif en 1983. Des opérations de démantèlement ont été entreprises [depuis 1987] par la suite, mais ont été, en partie, arrêtées consécutivement à un accident mortel survenu en 1994, lors du lavage d’un réservoir de sodium [Cf. encadré page suivante].

Le cœur est actuellement déchargé de son combustible; celui-ci a été évacué de l’installation. Par ailleurs, une grande partie des fluides et des composants radioactifs ont été éliminés, et la cuve du réacteur est confinée. La piscine du réacteur a été vidée, partiellement assainie et démantelée, et les déchets contenant du sodium, évacués ».

Le décret de démantèlement partiel (niveau 2) n’est promulgué qu’en 2021, 38 années après l’arrêt définitif, afin d’encadrer « les opérations de traitement du sodium du réacteur ». En 2023, « la préparation de l’opération de traitement du sodium encore en rétention sur l’installation » était en cours [Rapport ASN, 2023].

En 2014, la Cour des comptes constatait une hausse du devis de démantèlement de « 77,4% » entre 2001 et 2012. Il s’établissait alors à 238,6 M€2012 soit 285 M€2023, une note conséquente pour un réacteur de faible puissance thermique (40 MWth). La Cour estime la « fin de démantèlement » en « 2050 », 72 années après son arrêt définitif [CComptes, 2014]. Pour comparaison, la puissance de Phénix est d’environ 600 MWth, et celle de Superphénix de 3000 MWth.

Accident de Rapsodie

La Gazette avait évoqué dans son N° 137/138 l’accident de Rapsodie qui a provoqué la mort d’un ingénieur à la veille de son départ à la retraite et blessé sérieusement quatre techniciens le 31 mars 2014. L’opération mal préparée du traitement d’un résidu d'une centaine de litres de sodium contaminé restant dans un réservoir a été à l’origine de l’explosion qui a soufflé une dalle de 300 m2.

Réacteur Phénix

Il a été exploité de 1974 à 2009 (première divergence en 1973). Le coût restant à charge de son démantèlement à fin 2018 était estimé par la Cour des comptes à « 1260 M€2018 » soit environ 1,4 Md€2023.

Le démantèlement de Phénix va s’étirer dans le temps et nécessiter la construction de plusieurs installation afin de traiter le sodium contaminé des circuits primaire (865 t) et secondaire (440 t) ainsi que celui de la cuve du barillet (180 t). Le terme source du sodium utilisé dans Phénix est présenté dans le tableau ci-après.

Le point avec l’IRSN : « L’état final sera atteint après le déroulement des principales étapes suivantes :

  • les opérations de préparation à la mise à l’arrêt définitif de l’installation (OPMAD) : engagées dès 2010 dans le cadre du référentiel de sûreté actuellement en vigueur, elles seront poursuivies après la publication du décret d’autorisation de mise à l’arrêt définitif et de démantèlement de l’installation (décret de MAD/DEM [promulgué en 2016]) ; il s’agit principalement du retrait, puis de l’évacuation des éléments combustibles du réacteur, des protections neutroniques latérales du cœur, ainsi que des composants amovibles du bloc du réacteur (échangeurs intermédiaires, pompes du circuit primaires...) ; ces opérations devraient être achevées à l’horizon 2029 ;

  • le traitement du sodium dit « coulable » et le traitement des équipements ayant été en contact avec du sodium (objets sodés issus de la centrale Phénix ou d’autres installations du CEA) dans des infrastructures créées à cet effet : il s’agit principalement :

des opérations de piégeage du césium contenu dans le sodium du circuit primaire du réacteur Phénix, d’hydrolyse du sodium dans la future installation NOAH et de neutralisation chimique de la soude produite dans la future installation INES dont les effluents neutralisés seront rejetés, après contrôles, dans le Rhône ;

des opérations de lavage d’objets sodés dans la future installation ELA et des opérations de carbonatation des « pièges à césium » dans le futur atelier SHADE ;

de l’entreposage de déchets sodés dans les futurs entreposages « EROS » ;

  • le démantèlement des structures du bloc réacteur : il s’agit principalement de la carbonatation des résidus de sodium déposés dans la cuve du réacteur, du démantèlement sous eau des structures activées qui y sont implantées, puis du démantèlement de la cuve et du barillet de stockage des éléments combustibles.

À l’issue de l’ensemble de ces opérations, dont l’achèvement est prévu à l’horizon 2040, les infrastructures des installations NOAH et ELA, créées dans le périmètre de l’INB n°71 pour les besoins du démantèlement à l’extérieur des bâtiments existants, seront déconstruites. Une fois les opérations d’assainissement réalisées, le CEA pourra alors demander l’autorisation de procéder à la radiation de l’INB n°71 de la liste des installations nucléaires de base » [IRSN, 12/11/14].

Le rapport annuel de l’ASN 2023 indique que « la construction de l’installation NOAH, qui assurera une partie du traitement du sodium de Phénix et d’autres installations du CEA, a progressé en 2023 avec la poursuite des essais de fonctionnement, préalables à la mise en service prévue en 2028 » [Rapport ASN, 2023]. Un long chemin reste à parcourir avant le déclassement de l’ensemble des installations, vers 2050 peut-être (date fixée dans le décret de démantèlement).

Réacteur Superphénix

En 2013, EDF envisageait la « démolition des derniers bâtiments après l’assainissement de la centrale, la vérification de l’absence totale de contamination et le déclassement des locaux antérieurement classés nucléaires » aux environs de « 2024-2028 » [EDF - La déconstruction des centrales nucléaires EDF, avril 2013 (Archive GSIEN)].

Point en 2023 sur le démantèlement avec EDF : « la centrale a obtenu son décret de démantèlement en 2006. Les principales étapes suivantes ont été réalisées : évacuation du combustible, démantèlement de la salle des machines, vidange des circuits, transformation et élimination du sodium utilisé pour le refroidissement dans tous les circuits, mise en eau de la cuve, ouverture, retrait et découpe des bouchons de la cuve. La découpe du bouchon couvercle cœur (pièce de plusieurs centaines de tonnes) est en cours. Les prochaines étapes concernent le démantèlement des internes de cuve (fin prévue à horizon 2026), le démantèlement électromécanique dans le bâtiment réacteur, puis l’assainissement (le déclassement de l'installation est prévu à horizon 2034) ».

Le coût du démantèlement est astronomique, « (environ 2,1 milliards d'euros de coût à terminaison pour un réacteur), en raison du traitement du sodium, très délicat à éliminer, et de la taille des installations, en particulier celle du réacteur (sa cuve est 20 fois plus grande que celle d’un REP 1 300 MW) » [EDF - Comptes consolidés 2023].

Centrale Phénix

Terme source du sodium au 1er janvier 2010

(Produits d’activation, de fission et transuraniens)

Isotope

Activité massique (MBq/t)

Période (an)

Primaire

Barillet

Secondaire

22Na

8500

2125

/

2,6

137Cs

2000

500

/

30

3H

6000

1500

700

12,3

Alpha

2

2

/

a

54Mn

170

42

/

0,9

60Co

3

0,8

/

5,3

55Fe

60

15

/

2,76

63Ni

20

5

/

98,7

a : 239Pu : 24 100 ans ; 241Am : 432,6 ans

Source : CEA Plan de démantèlement de la centrale Phénix Pièce 3, 2010 (lien Actu-environnement)


Implantées à Creys-Malville, les installations sont composées du réacteur (INB 91) et de l’APEC (INB 141) l’Atelier pour l’entreposage des combustibles. D’après le Dossier de presse 2017 de la centrale, l’APEC « comprend un ensemble d’équipements et plus particulièrement un bâtiment d’entreposage en eau, un bâtiment d’entreposage à sec et le bâtiment de stockage des colis de béton sodé issus du traitement du sodium.

Les assemblages combustibles partiellement usagés déchargés du cœur du réacteur sont entreposés dans le bâtiment d’entreposage en eau (piscine). Leur déchargement est terminé depuis mars 2003.

Les assemblages combustibles neufs (déjà fabriqués au moment de la décision d’arrêt de la centrale), dont EDF est propriétaire, sont également entreposés dans la piscine de l’APEC.

L’APEC accueille également des éléments acier et certains déchets nucléaires radioactifs issus du démantèlement. Cet entreposage temporaire doit permettre la décroissance radioactive de ces éléments avant leur évacuation vers les filières de stockage spécialisées.

(...)

L’exploitation de l’APEC est autorisée, par décret, jusqu’au 31 décembre 2035. L’APEC est exclu du périmètre de déconstruction du site. La surveillance de ses installations sera poursuivie, même après la fin de la déconstruction du réacteur » [EDF, 2017].

Le sodium extrait de Superphénix et transformé en colis de béton sodé est entreposé dans un « bâtiment de 140 mètres de long, 30 mètres de large, d'une hauteur de 20 mètres » [EDF, Brochure non datée (Archive GSIEN)].

Selon EDF, la gestion du sodium a été une lourde opération mobilisant « pendant plusieurs années plus de 50 personnes, jour et nuit » lors des opérations de mise à l’arrêt définitif.

« Le 22 avril 2009, ont débuté les premiers essais de l'installation de traitement du sodium (baptisée TNA). Cette installation inédite, conçue spécifiquement pour les besoins, a été construite dans l'ancienne salle des machines de la centrale vidée de ses turbines et de ses alternateurs. Jusqu'au 10 octobre 2014, TNA n'a cessé de transformer lentement, méthodiquement, les 5900 tonnes de sodium en soude, puis a injecté cette dernière dans du béton pour fabriquer en bout de ligne des blocs de béton sodé de 1m3.

(...)

Au total, un peu plus de 37 500 blocs de béton sodé ont ainsi été fabriqués et entreposés sur le site, dans un bâtiment construit pour les y accueillir », le bâtiment HB inclus dans le périmètre de l’APEC [EDF, Le sodium de Creys-Malville, une aventure qui s’achève..., 2014 (Archive GSIEN)].

Une aventure qui ne s’achève pas vraiment avec le transfert du terme source du sodium du réacteur vers l’’APEC, l’INB mitoyenne. Dans son Rapport annuel d’information 2023, la centrale indique la « quantité entreposé au 31/12/2023 » de déchets radioactifs « en attente de conditionnement ». EDF répertorie « 63 853 » tonnes de  « blocs bétons entreposés dans le bâtiment HB », des déchets radioactifs qui n’entrent dans aucune des différentes catégories de déchets (niveau d’activité et période radioactive) [EDF - Rapport TSN Creys-Malville 2023].

Or ces déchets étaient pourtant classés TFA en 2018 par EDF : « Les blocs de béton, de très faible activité, sont entreposés sur le site pendant 30 ans environ, où ils attendront un niveau d’activité proche de la radioactivité naturelle » [EDF - Rapport TSN Creys-Malville 2017 (Archive GSIEN)].

Le Rapport annuel 2011 d’EDF indiquait que « l’expédition vers un site de stockage agréé est différée d’une trentaine d’années » pour les « blocs de béton sodé issus du traitement du sodium » [EDF - Rapport TSN Creys-Malville 2011 (lien AIEA)].

Sans connaître l’activité des radioéléments présents dans le sodium traité, il est difficile de se prononcer sur la durée d’entreposage sur le site de la centrale. Si le terme source est du même ordre de grandeur que celui du sodium de Phénix, même en 2050, l’activité radioactive des blocs sodés sera sans commune mesure avec la radioactivité naturelle tant en termes de niveau que de radioéléments.

En 2014, la Cour des comptes estimait à « 2046 » la « Fin de démantèlement » de l’APEC. Il faudra attendre la construction des nouvelles piscines centralisées à La Hague afin d’accueillir le combustible irradié de Superphénix et d’un centre de stockage adapté aux fluides de refroidissement du réacteur (5900 t de sodium) transformé en plus de 63 000 tonnes de blocs sodés [CComptes, 2014].

Avec un « Coefficient de charge » de « 7,9% » selon l’AIEA, Superphénix n’a pas démontré une grande aptitude à produire des kilowattheures [PRIS AIEA]. Elle semble plus efficace pour décupler la masse de déchets nucléaires...

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