Décembre 2024 •

Réaction à Chooz sur la notion de démantèlement immédiat


Chooz A est un REP de 305 MWe mis en service en 1967 dans les Ardennes (première divergence le 18/10/66). La « Fiche presse 2024 » d’EDF du réacteur en démantèlement indique que « Dès la mise à l’arrêt du réacteur en 1991, EDF a mené les premières opérations de démantèlement. (...) Il reste maintenant le retrait et la découpe de la cuve. Cette dernière opération devrait s’achever en 2026 » [EDF, 2024].

« La découpe de la cuve elle-même aura lieu à partir de 2025, pour se terminer en 2026 » mais EDF « à identifier un risque de décalage supplémentaire de 14 mois sur le planning global » de démantèlement de la cuve » [EDF - Comptes consolidés 2023].

Si le planning est respecté, il aura fallu environ 35 ans pour terminer le démantèlement. Mais du temps va passer avant la réhabilitation complète de ce site très contaminé.

C’est le démantèlement de réacteur le plus avancé du parc EDF. « Il présente quelques difficultés techniques particulières liées à sa construction dans une caverne ; certaines opérations sont plus complexes, telle l’extraction de gros composants comme les générateurs de vapeur. Le démantèlement de la cuve de Chooz A est en cours depuis 2014 et se poursuit dans des conditions satisfaisantes » [Rapport de l’ASN 2023].

Quelques difficultés de radioprotection doivent continuer à poser certains problèmes notamment à cause de la présence d’émetteurs alpha (Pu, Am, etc.). En effet, peu après son démarrage, des incidents ont provoqué une contamination durable de toute l’installation. On a eu Chooz (se prononce chaud) comme l’a conté la Gazette en janvier 2003 « En décembre 1967, EDF avait identifié la destruction des structures internes du réacteur, et il y avait eu le blocage d’une barre de contrôle (le 20/12/1967). Malgré cela, le réacteur a redémarré en janvier 1968 et il y a eu le blocage d’une deuxième barre de contrôle (le 30/01/1968).

Le réacteur est alors déchargé et expertisé, et on se rend compte que la quasi-totalité des assemblages combustibles retiennent des corps étrangers (débris métalliques). Le tiers des assemblages présente des traces de contacts avec les barres de contrôle. Un tube constituant l’un des assemblages a été écrasé par une barre de contrôle provoquant une sérieuse rupture de gaine qui contamine tout le circuit primaire. Des débris métalliques sont également découverts dans les boîtes à eau des quatre générateurs de vapeur (GV) et dans les tuyauteries du circuit primaire. Les dégâts occasionnés par le martelage des débris métalliques sur deux des quatre GV très importants. Lors des réparations, un programme d’enlèvement des débris sera mis en place pour éviter d’autres blocages de barres de contrôle et des ruptures de gaine par usure. (...) La centrale de Chooz A redémarrera en 1970 après plus de deux ans de réparation » [Gazette 203/204].

Le Dossier d’enquête publique de la demande d’autorisation de démantèlement (mars 2006) s’attarde sur le « Cas particulier de la contamination alpha : l’analyse de l’historique montre que des ruptures de gaines ont eu lieu pendant l’exploitation. La masse d’UO2 déposée en cuve est évaluée à 1 kg environ. Celle déposée dans le circuit primaire hors cuve est estimée à environ 300 g. Une présence « d’alpha » a été détectés dans la cheminée de rejet (évènement ponctuel en octobre 1999) » [Archive GSIEN].

Contamination durable

En 2014, l’ASN réalisera une inspection avec pour « objectif de contrôler les dispositions mises en œuvre pour la maîtrise du risque alpha dans le cadre du chantier de dépoussiérage des cavernes » faisant offices de bâtiments réacteur et combustible. L’ASN demandera à l’exploitant de « faire appliquer strictement le protocole médical alpha qui fait partie intégrante du processus alpha en faisant réaliser de manière systématique des mouchages en fin de poste pour les agents d’exploitation », le mouchage alpha servant à dépister une éventuelle contamination interne en émetteurs alpha. « Lors de leurs investigations de terrain, les inspecteurs ont pu constater que ces mouchages n’étaient pas systématiques. Le chef d’entité a indiqué que ces mouchages se faisaient uniquement sur la base du volontariat, y compris pour les personnels pénétrant quotidiennement dans la zone de chantier du dépoussiérage des cavernes » [ASN, 22/09/14].

En 2024, lors d’une autre inspection, l’ASN s’est intéressée « à la gestion des chantiers notamment sous protocole « alpha » et à la surveillance des prestataires intervenant sur le site. (...) Une visite des installations a eu lieu sur le chantier de découpe d’une tuyauterie primaire (TP) en cours dans la caverne » du réacteur sous « protocole alpha ». Pendant la visite du chantier, « une balise aérosol mobile située au niveau de la passerelle s’est déclenchée, enregistrant une valeur de contamination de 1,3558 Bq/m3. Ce déclenchement de balise a conduit l’ensemble des personnes présentes dans la caverne HR à évacuer la zone et à réaliser un mouchage de contrôle » : « le personnel EDF et les inspecteurs [de l’ASN] présents sur ce chantier se sont retrouvés contaminés interne en particules alpha » [ASN, 8/03/24].

Allongement des délais et des coûts

Entre 2003 et 2023, l’estimation de coût a évolué de 312 à 600 M€ en euros constants de 2023.

Côté retards, l’IRSN publiait en 2013 un planning très optimiste de démantèlement de la cuve en trois années (2013/2015) alors que les travaux pourraient durer une douzaine d’années sans nouveaux aléas. De manière assez burlesque, L’IRSN prévoyait la « réhabilitation » en « 2022 » avec le « comblement des ouvrage souterrains » (Cf. planning ci-contre) [IRSN, 28/01/13]. Le fameux retour à l’herbe.

On aurait presque pu y croire, un court instant, pour qu’aussitôt cette fable se dissipe et s’évanouisse à la lecture d’un document d’EDF de 2004 sur le démantèlement de cette centrale. L’IRSN doit pourtant être au courant que la colline hébergeant la caverne du réacteur est imbibée de radionucléides, notamment du tritium, et que la réhabilitation se fera attendre.

Comme l’explique le document d’EDF, le démantèlement se fait en trois étapes, la fin du démantèlement de la cuve et l’assainissement de la caverne n’étant que la première étape. « Aucun travaux n’est réalisé au titre de la deuxième étape. Il s’agit simplement d’une phase d’attente avant l’atteinte d’un niveau radiologique des eaux des drains de rocher acceptable, durant laquelle il y aura simplement une surveillance ».

« Les travaux de l’étape 3 ne pourront débuter que lorsque le niveau radiologique des eaux des drains de rocher sera acceptable.

En première approche, en considérant la décroissance des radioéléments présents dans les eaux de rocher, le seuil de potabilité de l’eau serait atteint dans les années 2030- 2040. L’étape 2 ne devrait donc pas durer plus d’une quinzaine d’années. L’échéance raisonnable pour l’atteinte de la fin de l’étape 3 se situe donc à l’horizon 2050 au plus tard », l’éventuel retour à l’herbe [EDF – Démantèlement de la Centrale Nucléaire des Ardennes : Document justifiant l’état choisi et indiquant les étapes du démantèlement ultérieur – Octobre 2004].

Dans son rapport comptable de 2023, EDF indique qu’un « accord de collaboration a été signé avec le CNRS le 7 septembre 2022 pour la réutilisation des cavernes à des fins de recherche fondamentale sur les Neutrinos. La fin de la reconfiguration de la caverne est prévue en 2033 en vue de son transfert au CNRS. Le déclassement de l’installation devrait être obtenu fin 2035 », le conditionnel étant de mise [EDF – Comptes consolidés 2023]. En espérant que tritium et neutrinos fassent bon ménage.

Chooz A aura été en exploitation pendant 24 années (moins deux années de réparation). Dans l’immédiat, ce que l’on peut dire c’est qu’il faudrait compter 44 ans voire 59 ans, de manière plus raisonnable, entre l’arrêt de production le démantèlement complet avec réhabilitation du site.