La G@zette Nucléaire sur le Net! 
N°17
un site: LE PELLERIN

I - Pour commencer
     Depuis le lancement du programme Mesmer, la Gazette Nucléaire essaie de montrer en quoi celui-ci est inadapté, aussi bien du point de vue économique que du point de vue technique:
     - difficultés techniques qui se multiplient (cf. les nombreux numéros de la Gazette consacrés à Fessenheim - faire une recherche depuis la page d'accueil de la Gazette)
     - insuffisance des ressources en uranium, multipliée par la situation du retraitement (GazettesN°3, N°12, N°14 - a et b, etc.)
     - prix du kWh en hausse constante (Gazette N°15/16 - a et b)
     - inquiétudes de toutes natures sur le surgénérateur qui pourtant devait être au coeur de la logique du programme.
     On constate dans le monde entier un recul, voir l'arrêt des programmes initiaux; apparemment, seule la France semble vouloir s'entêter.
     Rien de nouveau pour les lecteurs de la Gazette mais, dans ce numéro, nous voudrions aborder un autre aspect du nucléaire: la façon dont se passent les affaires au niveau local. Jusqu'ici, en effet, il n'y a pas eu trop de difficultés pour disposer de sites, soit que ceux-ci existaient déjà, soit que l'affaire ait été rondement menée à une époque où les interrogations n'étaient le fait que d'une très faible minorité. Or, actuellement, se développent un peu partout des mouvements qui demandent des comptes et qui sont de moins en moins facilement abusés par les discours officiels.
     Nous avons pensé qu'il serait intéressant d'essayer de décrire et si possible d'analyser les comportements des divers partenaires en présence en montrant que l'on aboutit à une situation bloquée dont on peut hélas tout craindre. Il est clair qu'il deviendra de plus en plus difficile d'imposer une installation nucléaire à une population qui n'en veut pas. Nous avons choisi d'étudier le site du Pellerin qui est dans une situation intermédiaire entre des sites où les constructions sont en cours et des sites pour lesquels la Déclaration d'Utilité Publique (D.U P.) n'est pas encore demandée (voir Gazette 15/16).
     Nous avons choisi ce site plus particulièrement[1] car:
     - il y a dissonance à l'intérieur même de la technocratie qui s'occupe du nucléaire, la direction d'EDF pousse en effet pour obtenir ce site alors que les services de sûreté y sont opposés;
     - l'opposition des populations est ferme et décidée, on le verra en particulier avec les événements qui se sont déroulés lors de l'enquête publique
     - un certain nombre de «notables» ont été particulièrement impliqués.
     De plus, les événements qui se produisent éventuellement sur ce site sont importants; ce site joue en effet un peu le rôle de test pour les nucléocrates[2]. Il apparaît que ce sera l'occasion de savoir:
     - quel rôle réel peuvent jouer les organismes de sûreté - et en particulier ne doit-on les considérer que comme des «cautions»?
     - quelles actions le «pouvoir» est-il prêt à entreprendre pour imposer une installation à une population qui la refuse?
     Nous voulons, par avance, dénoncer la violence institutionnelle qui s'installe sur ce projet de site.
suite:
II - Où l'on voit une centrale se promener
     Le choix d'un site pour l'implantation d'une centrale nucléaire est conditionné par des critères de nature scientifique: géologie, sismisité, hydraulogie, etc., et aussi par des critères de nature politico-économique: sociologie[3] de la population, appartenance politique des élus, etc.
     On est loin du choix prétendument objectif affiché, on constate de plus en plus que les seconds critères prennent le pas sur les premiers (Flamanville n'est sûrement pas un site très «économique» par exemple, et pourtant il a été accepté). Nous allons voir une illustration de ce phénomène dans le cas du Pellerin.
     Pour des raisons techniques (déficit de production dans l'Ouest de la France) et sur la demande de certains députés bretons, EDF recherche des sites en Bretagne, un certain nombre d'entre eux sont envisagés: ERDEVEN (Morbihan), PLOGOFF (Finistère), puis on se déplace: INGRANDES (Maine-et-Loire), CORSEPT (Loire-Atlantique), BRETIGNOLLES (Vendée). Tous ces sites durent être remisés dans le catalogue, à la suite de divers mouvements de la population. En effet, celle-ci, tout d'abord réservée, devint rapidement hostile et le manifesta:
     - 15.000 personnes à ERDEVEN, Pâques 1975
     - referendum à INGRANDES: votants 73% - pour l'implantation: 22% - contre: 66% - sans opinion: 12%
     - BRETIGNOLLES: subtilisation de plans, menace de plainte et finalement
abandon du site.
     Devant ce phénomène, les élus bretons qui étaient en général demandeurs d'installation, firent marche arrière. Que s'était-il passé?
     Tout d'abord la création d'un certain nombre de mouvements, particulièrement actifs - le CRIN[4] par exemple à Etdeven - qui allèrent porter la contestation dans les réunions et dans les débats publics organisés par EDF. C'est au cours de telles réunions que, en particulier, des scientifiques s'opposèrent aux déclarations faites par des gens prétenduement qualifiés. De nombreuses interrogations surgirent ainsi dans la population qui se transformèrent en refus quand il apparut clairement que les dossiers présentés étaient creux.
1. Et aussi parce que nous disposions de relativement plus d'informations que pour les autres sites. Dans la mesure où nous disposerons de suffisamment d'autres données, nous tenterons de faire des comparaisons avec d'autres sites...
2. Terme commode, titre du livre de l'intéressant ouvrage «Les Nucléocrates», Philippe Simonnot, Presse Universitaire de Grenoble.
3. Il est en général plus facile de faire accepter une centrale dans une zone déjà industrialisée que dans une zone rurale. Le taux de chômage local est également pris en compte...
4. Comité Régional d'Information Nucléaire.
5. Pourquoi Liré et non pas le village voisin? Il fut répondu au maire qui posait la question que son village était plus prestigieux que le voisin car il avait vu naître Joachim du Bellay. Ajoutons que le village voisin s'appelle Bousillé!...
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     Devant cette hostilité grandissante, les promoteurs du programme changent de tactique et essaient un autre site: LIRE (Maine et Loire)[5], en brusquant un peu les choses: des sondages sont entrepris très vite. Malheureusement un des camions de sondage prend feu... sans que les gendarmes locaux chargés de l'enquête puissent découvrir les auteurs du forfait! .. Un referendum est organisé et c'est «non» avec 84% des votants (60% des inscrits). Devant cette nouvelle manifestation d'hostilité, nouveau recul.
     Mais la logique du programme tout électrique-tout nucléaire réclame décidément un site dans la région...
     Aussi une autre implantation est proposée: PELLERIN, et là on va poursuivre avec entêtement, y compris, nous le verrons plus loin, malgré l'hostilité de la population et des services de sécurité nucléaire. Pourquoi ce durcissement de l'attitude? On peut avancer deux raisons:
     - les échecs successifs rendaient de plus en plus difficile le choix d'un site et l'abandon de tout projet dans cette région pouvait entraîner des phénomènes analogues ailleurs,
     - pour le site du Pellerin, on se trouve dans le cas rarissime où un parlementaire local s'engage à fond pour le projet, nous voulons parler du sénateur CHAUTY sans lequel le site aurait probablement été abandonné. Nous verrons plus loin les agissements de ce notable[6].
     A partir de là, vont se développer un certain nombre d'actions:
     - de propagande
     - d'autorité - en particulier avec l'enquête d'utilité publique
et face à cela, une réaction de plus en plus hostile de la population.
     De plus le site choisi étant décidément mauvais, on a pu dire même: «l'un des plus mauvais du monde», on constate que les services de sécurité nucléaire se mettent eux aussi à contester et à être très réticents, voire hostiles.

III - Les manoeuvres d'amarrage (ou d'échouage?) de la Centrale
     Puisque la décision d'amarrer la centrale au Pellerin existe[7], il va falloir se donner les moyens de la faire accepter à la population. Pour cela tout le monde va s'y mettre. EDF, bien sûr, le sénateur Chauty naturellement, et aussi le préfet qui a un rôle important, même s'il reste en grande partie caché.
     Pour commencer, le ministre de l'industrie de l'époque se déplace en personne pour visiter le site. M. d'Ornano pensait peut-être ainsi que population, administration, autorités locales, etc., seraient  suffisamment  impressionnées pour que la décision soit considérée comme définitive.
     Les réunions contradictoires ou non sont multipliées, le sénateur est souvent sollicité, mais hélas, nous le verrons plus loin, les résultats escomptés sont loin d'être obtenus, à tel point d'ailleurs que le préfet, M. Mestre, déconseille assez fermement, semble-t-il, à M. Chauty de continuer.  Nous  verrons  plus  loin comment la population locale a réagi.
     Voyons d'abord comment on essaie de «l'informer». Pour bien faire les choses EDF passe un contrat avec une société spécialisée dans la «communication», la SEGESTE[8]. Voyons quels sont les propositions qui sont faites:
La situation
     Un important «temps mort» s'ouvre actuellement[9].
     Pendant cette période, la contestation va s'organiser et sans doute se développer.
     Il faut occuper le terrain et soutenir les «silencieux».
     Il faut mettre à profit cette période pour étre opérationnels avec envergure dès la déclaration d'utilité publique.
Les actions à entreprendre
     1. Auprès des personnes favorables:
     - Objectif: dynamiser leur sentiment pronucléaire en les informant de façon privilégiée.
     - Moyens: 1.1. visite d'un représentant d'EDF à leur domicile,
     1.2. remise d'un dossier documentaire,
     1.3. invitation à des réunions d'information à Nantes (conférences, films, présentation de la maquette, visite du dispatching...),
     1.4. invitation à une visite de centrale nucléaire.

suite:
     2. auprès de la population sans opinion bien arrêtée:
     - Objectif: éviter que cette population ne bascule dans le camp des antinucléaires irréductibles.
     - Moyens:  2.1. diffusion auprès des abonnés  EDF des 12  communes concernées d'un bulletin d'information mensuel,
     2.2. diffuser de façon identique la brochure «25 questions, 25 réponses» sur Le Pellerin dès sa parution,
     2.3. réactiver le service d'information (B.P. 793 et répondeur téléphonique éventuellement). Une carte-réponse T sera jointe au prochain bulletin,
     2.4. proposer à la population des visites de centrale.
     3. contre les opposants actifs
     - Objectif: bloquer leur recrutement et leur audience en tentant de les discréditer.
     - Moyens: 3.1. contrôle permanent des «rumeurs» alarmistes,
     3.2. sans tourner en dérision la «philosophie écologiste», montrer dans le bulletin mensuel:
     3.2.1. que le nucléaire est un passage obligé pour maintenir le niveau et la qualité de la vie de tous,
     3.2.2. que des efforts sont accomplis en création d'énergies nouvelles,
     3.2.3. que le nucléaire est parmi les sources d'énergie les moins polluantes.
     4. auprès des milieux dirigeants et des élus du département:
     - Objectif: inviter les responsables à réclamer avec plus de vigueur une centrale indispensable à l'avenir de la Basse-Loire.
     - Moyens: 4.1. diffuser le «Rapport Paumier» avec comme perspective la création d'un comité économique chargé d'exploiter ce rapport et de se présenter comme le défenseur et le coordinateur des retombées économiques de la centrale;
     4.2. Constituer un dossier économique local et régional et le présenter à tous les notables et à la presse.
     Un vaste programme auquel il faut ajouter toutes actions spécialisées dirigées vers tel ou tel corps de «notable»(médecin, enseignants, etc.). Pour les amateurs, nous recommandons aussi la lecture de l'annexe 1, texte originaire de la même société, la SEGESTE, et qui indique comment organiser un service d'information téléphonique... sa lecture amène à se demander si on n'en est pas à créer une action psychologique de nature militaire sur des territoires occupés!
     Cette politique offensive de mise en condition est systématiquement appliquée:
     - de la documentation orientée est largement diffusée. Le fichier des abonnés EDF a-t-il été utilisé pour diffuser une lettre du sénateur Chauty?
     - les visites de centrales, avec repas et voyages payés, se multiplient.
     - on fait miroiter les effets bénéfiques de la manne «Patente».
     - on diffuse ici comme ailleurs les plaquettes pour les jeunes, dossiers TEN-3J-SEN[10].
     Tous les moyens sont bons... ou considérés comme tels (voir sujet de géographique du certificat d'étude primaire de juin 1977, déjà paru dans un encart de la Gazette n°12).
 
 


6. Qui fut battu aux élections municipales... et se console à la commission des finances du Sénat...
7. On  aimerait d'ailleurs savoir par qui l'«échouage» a été décidé, est-ce seulement par EDF?
8. Société d'étude et de gestion de programme de communication, 18 rue Vignan, 75009 Paris.
9. L'étude en question a été faite juste après la D.U.P. (voir plus loin).
10. Alors qu'il semble se produire actuellement un regain dans la diffusion de ces plaquettes, nous tenons à signaler que des «contre-commentaires» sont toujours disponibles au GSIEN.
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     La chambre de commerce de Nantes fournit son appui et, avec l'aide logistique d'EDF, organise quelques séances d'information.
     La coupure d'électricité du 11 novembre 1976, qui plongea la Bretagne dans le noir, est également utilisée. M. Vulser de la Production Transfert d'EDF s'en sert pour affirmer la nécessité de la Centrale du Pellerin. Or cette coupure est due:
     - à une erreur de programmation du plan de délestage du réseau qui avait cru que le film le «Jour le plus long» était d'une durée courante, ce qui était loin d'être le cas,
     - aux appareils de chauffage électrique des résidences secondaires qui faisaient un appel important de puissance... et oui, l'électricité ne se stocke pas!
     L'utilisation maladroite de cet incident donna l'impression qu'il y avait quelque chose de louche et que l'on se moquait du monde. C'est d'ailleurs l'un des paradoxes de la situation, que nous verrons plus loin, plus la volonté de convaincre se faisait insistante, plus la méfiance se développait.
     Toujours décidés à brusquer les choses, les nucléocrates déposent la demande de déclaration d'utilité publique, ce qui provoque, nous le verrons après, la cassure dans la technocratie en place opposée au site de longue date.

IV - Une parodie d'Enquête d'Utilité Publique
     La procédure d'enquête d'utilité publique est formellement une procédure démocratique. Un projet est soumis à la population pour qu'elle fasse part de ses observations, au besoin qu'elle manifeste son opposition. Dans certains cas, il est tenu compte de ces avis: des projets ont été rejetés de cette manière: des tronçons  d'autoroute,  une  raffinerie «balladeuse» en Bourgogne, etc., sans compter de multiples projets mineurs. Mais lorsqu'il s'agit de projets jugés importants par le pouvoir, la procédure est totalement détournée de son objet. C'est ce qui se produit dans le cas des implantations  de centrales nucléaires:
     - Il n'est absolument pas tenu compte de l'avis des populations. Par exemple, à Brand et Saint-Louis, la centrale a été déclarée d'utilité publique, malgré l'opposition massive de la population: 30.000  habitants  avaient  signé  une pétition opposée à la centrale.
     - dans de nombreux cas - Flamanville, Creys-Malville - les travaux sont commencés sur le site avant que la centrale ne soit déclarée d'utilité publique.
     - à ce jour, aucune enquête n'a abouti au rejet d'un site: la procédure n'a actuellement plus aucune crédibilité auprès des populations. Celles-ci ont l'impression que les jeux sont faits d'avance, que les dés sont pipés, qu'il s'agit d'une mascarade.
     Nous sommes conscients que se trouve posé ici le vieux conflit entre l'intérêt général - l'approvisionnement en énergie du pays - et les inconvénients que doivent supporter des populations locales. Comment trancher? Certainement pas comme cela se fait actuellement:
     - il s'agit de convaincre et non d'intoxiquer,
     - il faut étudier les alternatives et non prétendre faussement qu'elles n'existent pas. Sans alternatives, on ne peut parler de choix,
     - il faut mettre en place de réelles procédures de consultation. Que l'on s'inspire des procédures anglo-saxonnes, et notamment de «Hearing». Que l'on organise un débat, réellement contradictoire, et public,
     - il faut enfin trancher. Mais il ne peut être admis d'aller à l'encontre de l'opposition d'une population qui s'est démocratiquement et massivement exprimée comme c'est le cas pour le projet du Pellerin.
     Dans le cas du Pellerin, l'enquête d'utilité publique a battu tous les records de la parodie.
     Le dossier fait apparaître des omissions qui - même si elles ne touchent pas forcément à des sujets très graves - montrent à l'évidence une volonté de minimiser et sous-estimer les problèmes pour mieux «faire passer le projet».
     Par ailleurs, on constate que nombre d'études ne sont pas encore effectuées - pour des raisons diverses - de sorte que, sur des quantités de sujets, le dossier est pour le moins succinct et la forme conditionnelle est d'un usage très fréquent. 

suite:
     Il semble heureusement que les organismes publics chargés de contrôler les dossiers ne se trompent pas trop sur les raisons: c'est ce qui ressort par exemple d'une lettre de l'Agence du Bassin Seine-Normandie à EDF, de mars 77, qui compare la pratique des USA à la nôtre:
     «On constate que pratiquement les mêmes points sont développés; par contre l'application des directives du Ministère de la Qualité de la Vie, telle qu'elles est faite en réalité, ne laisse pas de provoquer quelques inquiétudes en particulier sur les points suivants:
     - délai d'établissement du dossier
     En fait, la décision de réaliser la centraIe est prise, et parfois même les travaux de construction sont entrepris, avant l'achèvement des études.
     - moyens d'étude
     La réalisation d'une étude exhaustive, telle qu'elle est définie dans le dossier type, demande des moyens importants, qui entraîneront des dépenses considérables, aussi bien sur le plan des moyens matériels que sur le plan du personnel
     Il faut donc, d'ores et déjà, prévoir les ressources financières de la politique de prévision des impacts sur l'environnement et simultanément  envisager la constitution d'équipes de recherche nombreuses et bien étoffées. On peut se demander à cet égard si le niveau actuel des disponibilités financières et humaines est suffisant.
     Autrement dit, il y a lieu de réfléchir sur les possibilités de réalisation effective, avec un niveau de précision suffisant, de la politique demandée par le Ministère de la Qualité de la Vie, compte-tenu des moyens actuels. L'étude effectuée par WAPORA constitue déjà une base de réflexion, puisqu'elle montre que les Américains n'ont pas hésité à mettre en harmonie leurs souhaits et leurs moyens d'action.»

Et en conclusion:
     «En définitive, quatre ans d"études du site précèdent l'autorisation de création. La construction elle-même durant six ans, ce sont dix ans qui s'écoulent entre le début du projet et son couplage au réservoir. On ne peut que comparer cette situation à celle de la France, où la phase d'études préliminaires est voisine d'un an.»
     Ce n'est évidemment pas cette Agence Seine-Normandie qui s'occupe du site du Pellerin, mais comme la pratique d'EDF est la même pour tous les sites (et tous les dossiers se ressemblent), ces remarques ont valeur de généralité. Ce qui est inquiétant, c'est que malgré ces graves réflexions, les avis sont généralement favorables et on n'a pas encore vu beaucoup de sites rejetés par les Pouvoirs Publics!
     Pour illustrer ces remarques, nous allons donner maintenant  un certain nombre d'exemples, qu'on pourrait qualifier de «pris au hasard» dans la mesure où une analyse fine et systématique du dossier reste à faire. Ces exemples sont tirés de diverses pièces du dossier soumis à l'enquête publique et donc que la population a pu consulter sur place. Certains commentaires sont tirés d'une plaquette réalisée par les «coordinations des comités de défense de la Basse Loire - Le Pellerin, Cheix - En - Retz».

a) Sécurité
     «Dans l'état actuel des reconnaissances du site, il n'est pas possible de définir si tous les ouvrages de sécurité et particulièrement les circuits d'eau de réfrigération des systèmes auxiliaires de sécurité pourront être antisismiques sur toute leur longueur de la Loire aux tranches.»
     Or, on sait que le danger est bien réel (ce que ne conteste d'ailleurs pas EDF, qui en tient compte pour le reste). Rappelons par exemple que:
     «la région Pays nantais - Pays de Retz est l'une des régions les plus affectées par les séismes dans l'ensemble du massif armoricain. C'est aussi une des régions les plus riches en failles ou en fractures anciennes, qui «jouent» périodiquement. 

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     L'un de ces séismes, celui du 4 juin 1955, avait son épicentre dans le massif gneissique (variété de schiste) de Frossay au sud-est de Paimboeuf, à 10 km à peine du site du Pellerin, avec une intensité 7 dans l'échelle de Richter (M. Gautier, professeur de géographie à l'université de Rennes).

b) Géologie
     Les sondages n'ayant pu êtr« effectués, comme nous l'avons vu plus haut, on ne s'étonnera pas du style employé par EDF: conditionnels, «peut-être», «impossible de dire», etc. Ce qui donne par exemple ceci:
     «Les observations locales laissent à penser que les caractéristiques du site sont compatibles avec  l'implantation d'une centrale nucléaire.
     Il ressort des premières observations effectuées, qui devront être confirmées par une campagne de reconnaissance, que l'on est en présence d'un sous-sol convenable permettant l'implantation d'une centrale nucléaire.»

c) Climatologie
     L'étude d'impact dit ceci, à propos de la représentativité des mesures de la station de Nantes:
     «La station météorologique de Nantes est située à l'aérodrome de Nantes-Château Bougon, à mi-chemin entre Nantes et le lac de Grand Lieu.
     La proximité de cette station par rapport au site (15 km de distance environ) laisse présumer, en première approximation, que les mesures effectuées à Nantes sont assez représentatives des conditions météorologiques du site.
     Toutefois, ces mesures satisfaisantes au stade actuel des études devront être ultérieurement affinées par des mesures sur le site lui-même.»
     Or nous savons que dans les études qui ont servi à rédiger ce dossier, figurait explicitement une réserve due à l'existence et la localisation du lac par rapport au site et à la station. Cette précision a curieusement disparu.

d) Système de réfrigération
     «Il est intéressant de noter que la maquette exposée à la préfecture de Nantes présentait 4 tours de réfrigération basses, à tirage forcé, c'est-à-dire relativement discrètes dans l'environnement. Cependant, c'est la solution des tours hautes, à tirage naturel, qui a été retenue!»
     D'autre part, on constate dans le dossier que certains aspects techniques sont loin d'être réglés (et pour cause puisque les études ne sont pas effectuées): par exemple, «dans l'état actuel des choses, on ne peut préciser de façon précise le débit d'appoint nécessaire au fonctionnement des circuits fermés de réfrigération».
     C'est ainsi que le «débit d'appoint» (débit d'eau prélevé dans la Loire) peut varier de 4 à 30 m3/s pour 4 tranches de 1.300 MW selon la solution retenue  les conséquences en sont évidemment très différentes sur l'environnement!

e) Echauffement de la Loire
     La Centrale consommerait donc, dans l'hypothèse maximale, 30 m3/s, soit 4 fois le débit d'eau pompé en Loire, en aval du Pellerin, pour les besoins de l'alimentation agricole et humaine.
     «Sur ces 30 m3, 27 seraient rejetés en Loire; la température du rejet à la sortie de l'émissaire ne figure pas dans le dossier; EDF considère en effet que l'eau rejetée diffusera spontanément dans le flux de la Loire, ce qui est contraire à toutes les observations. En effet, cette eau réchauffée ne se mélange pas immédiatement avec l'eau froide du milieu récepteur: étant plus légère, elle reste en surface (sauf en période estivale, où, étant donné sa concentration en sel, elle descendra au fond de la Loire d'où elle chassera les poissons fuyant l'augmentation de température de surface due au rayonnement solaire!), et ses caractéristiques physiques (viscosité...) ne lui permettent pas de diffuser latéralement dans le reste du fleuve. Aussi a-t-elle tendance à s'écouler sous forme d'une «plume» longitudinale le long de la rive, et il faut descendre plusieurs kilomètres en aval pour retrouver la température initiale de l'eau. Cette distance est évidemment fonction de la saison, du débit du fleuve... et du régime d'exploitation de la centrale.

suite:
     - Conséquence sur le plan écologique
     Tout réchauffement des eaux induit une diminution de la concentration en oxygène dissous.
     Plus une eau est polluée, plus elle a besoin d'oxygène pour la dégradation de la matière organique en suspension par les bactéries (auto-épuration).
     Le site du Pellerin étant situé en aval de la sortie des égoûts de l'agglomération de Nantes qui s'en vont directement à la Loire (il n'est pas évident que la ville de Nantes soit pourvue d'une station d'épuration avant la mise en route de ce projet), il s'ensuit une importante pollution bactérienne actuelle qui serait accentuée par divers processus.»

f) Panaches de réfrigérants atmosphériques
     «Des détails montrent que le dossier d'enquête a été établi à la hâte: les figures de panaches de vapeur issus des tours sont les mêmes en tirage forcé et en tirage naturel! C'est le même document qui a été photocopié deux fois. De  plus, on  retrouve exactement le même document dans le dossier d'enquête de la centrale de Belleville-sur-Loire.»
     Par ailleurs, il est dit dans le dossier que «bien que faite pour une tranche de 900 MW, la comparaison [tirage forcé-tirage naturel] reste valable pour les tranches de 1.300 MW du site du Pellerin.»
     Encore faudrait-il le démontrer! Il est vrai que toutes ces études reposent sur des calculs théoriques (mais au fait, ça n'est précisé nulle part, pas plus que la fiabilité de ces calculs!...) et que, dans ces conditions, on peut démontrer n'importe quoi.

g) Le problème du sel
     «Les études liées à la présence de réfrigérants atmosphériques alimentés en eaux saumâtres sont en cours à EDF». Voilà les brillants résultats sur lesquels les pouvoirs publics et la population ont à se prononcer! Or, ce problème du sel intervient de 2 manières:
     - Des gouttes d'eau salée sont entraînées dans l'atmosphère par les réfrigérants. On remarquera d'abord qu'après avoir reconnu que ces gouttes représentent 2,6 kg/s d'eau pour 1 tranche de 1.300 MW, le dossier indique «en conséquence, les risques de précipitation directe sont supprimés» (on n'est pas à une imprécision près...). Cette eau salée - bien qu'en quantité réduite - va donc apporter sur la végétation environnante des dépôts de sel (et d'autres produits toxiques issus des circuits de réfrigération) qui, cumulés, peuvent avoir une action. Que sait-on de ce problème? Nul doute que la population sera informée aussi du résultat de ces études...
     - «Les travaux d'aménagement et d'exploitation du lit de la Loire en ont profondément modifié les paramètres hydrologiques depuis une décennie. Ainsi l'extraction abusive de sable en amont de Nantes et l'approfondissement régulier du chenal de navigation entre Nantes et Saint-Nazaire ont pour conséquence une remontée progressive et régulière de la marée de salinité dans l'estuaire. Ainsi, en période d'étiage et par marée de vive eau (conditions limites), l'eau salée remonte-t-elle bien en avant du Pellerin. Si le projet du Pellerin devenait réalité, à l'époque de sa mise en exploitation (1985?), cette centrale fonctionnerait en «milieu marin» pendant les mois d'été. Toutefois, même en dehors des périodes d'étiage, le processus d'évaporation de l'eau induirait automatiquement une concentration en sel des eaux de refroidissement. Dans les conditions extrêmes citées précédemment,  cette concentration  pourrait  atteindre  plusieurs grammes par litre.
Il se trouve que le site projeté au Pellerin se situe juste en amont du débouché du canal de Buzay dans l'estuaire de la Loire.
     Ce canal fait communiquer, par l'intermédiaire du réseau hydrographique de l'Acheneau, du Tenu et du Falleron, l'estuaire de la Loire avec les marais de Bourgneuf-Mechecoul, qu'il est destiné à irriguer en période estivale, à la suite de travaux conduits par le Génie rural de 1958 à 1962 par l'Union syndicale des prés-marais (50.000 ha).
     En période d'été, au moment du pompage d'eau douce dans la Loire, c'est donc l'eau rejetée par la centrale, réchauffée et salée, s'écoulant le long de la rive sud de l'estuaire, qui serait pompée par la station de la Pommeraye (3.000 l/s) en remontant le cours de l'Acheneau!

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     Il va de soi que ce processus aurait pour conséquence une modification radicale de la végétation sous l'action du sel et interdirait toute amenée d'eau douce dans les prés-marais irrigués par celui-ci (marais de Buzay, Vue, l'Acheneau...) sous peine de transformer ces prairies herbagéres en prés salés et de provoquer ainsi la mort des bovins qui y sont élevés à l'année (comme on a déjà pu s'en rendre compte au cours de l'été 1976 dans l'île de la Maréchale). »

h) Rejets radioactifs liquides et gazeux
     Dans ce domaine, on peut faire par exemple 3 remarques:
     - Quand on reproche aux opposants leur «manque de compétence», on est en droit de s'étonner de trouver dans un dossier tout à fait officiel tel que celui-ci des «inexactitudes» sérieuses (pour ne pas dire plus):
     «L'action des divers rayonnements sur les organismes vivants se traduit par une dose absorbée par l'organisme humain qui représente une certaine énergie reçue par cet organisme. L'unité employée pour mesurer cette dose est le rem (sous multiple millirem). »
     En effet, l'unité en question est le rad et non le rem. Cette remarque n'est pas aussi minime qu'elle peut le paraître car il faut rappeler que ce qui se mesure effectivement, c'est la dose en rad tandis que le rem n'a rien de physique: il s'agit d'un  «équivalent  de  dose», notion toute théorique qui tente de traduire l'influence des rayonnements sur l'organisme. Cet «équivalent de dose» est le résultat d'un calcul qui tient compte de «coefficients» par définition empiriques et évolutifs au fil des années (voir GazettesN°5 et N°11).
     - Il est dit un peu plus loin que «à la limite même du site d'une centrale, la dose d'irradiation pour une personne y séjournant toute l'année est de l'ordre de 1 mrem/an» - Cette affirmation est étonnante à plusieurs titres: on «oublie» de préciser qu'il s'agit de la dose relative à l'organisme entier et de donner les valeurs correspondant aux diverses parties les plus sensibles de l'organisme. Par ailleurs, alors qu'il s'agit ici (semble-t-il) de l'influence de 4 tranches de 1.300 MW, ce résultat est nettement inférieur à celui qui était donné dans le dossier de Fessenheim (estimation faite pour 2 tranches de 900 MW seulement), pour un fonctionnement perturbé également (hypothèse de travail habituelle):
     - organisme entier: 2,352 mrem/an
     - thyroïde adulte: 3,918 mrem/an
     - thyroïde d'un nourrisson: 13,675 mrem/an
     - On nous dit dans le dossier qu'«une étude préliminaire a été effectuée par le C.E.A.» (dans le domaine radioécologique) et on nous précise:
     «Cette étude permet aussi de définir les différentes études complémentaires suivantes:
     - étude de l'extension vers l'amont du site des rejets radioactifs liquides sous l'effet de la marée,
     - étude du comportement des radio-éléments vis-à-vis des masses turbides de l'estuaire,
     - détermination du coefficient d'échange estuaire-mer,
     -constat radioécologique (point zéro).
     Ce constat est destiné, à partir des renseignements dégagés par les études, à déterminer l'impact des divers rejets radioactifs de la centrale sur les différents facteurs géographiques, humains, biologiques èt économiques, pour définir les voies de transfert préférentielles des radioéléments qui devront étre l'objet d'une surveillance particulière lorsque la centrale sera en service.»
     Comment peut-on oser déposer des dossiers présentant des lacunes aussi graves quand on sait la nature des problèmes qui peuvent se poser?

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Donnons-en des exemples:     «Le principe de tout rejet radioactif, comme celui de tout rejet d'effluent industriel quelconque, est basé sur le principe, supposé universel, de sa dilution dans le milieu récepteur.
     Or cette dilution présente des aléas variables suivant les cas, et son principe serait mis en défaut dans l'estuaire de la Loire par plusieurs facteurs:     - Le jeu de la marée. - Les conditions hydrodynamiques d'un estuaire sont très complexes et celui de la Loire n'échappe pas à cette règle; elles dépendent essentiellement du débit amont du fleuve, du coefficient de marée (donc de la saison), de la concentration du sel... et aussi des aménagements réalisés par l'homme.
     - Dans l'estuaire de la Loire, suivant la variabilité relative de ces pararnètres, une même tranche d'eau peut ainsi osciller pendant un temps variable jusqu'à 18 marées successives avant d'être rejetée au-delà du gdulet de Saint-Brévin - SaintNazaire.
     - Par ailleurs, la Loire en aval de Nantes présente une grande quantité de sédiments fins en suspension (le «bouchon vaseux») qui oscille également suivant ces paramètres entre le delta sous-marin et le port de Nantes. Il remonte d'ailleurs régulièrement vers l'amont au cours des ans du fait du recreusement régulier du lit du fleuve et il se situe ainsi de plus en plus souvent au niveau du Pellerin, voire en amont, alors qu'il se cantonnait en aval du Cordemais il y a quelques années. Ces particules de vase en suspension constituées d'argiles fines ont la particularité de «piéger»  (essentiellement par adsorption) une grande partie de ce que l'homme rejette dans les eaux. (Voir fiche technique 19 du GSIEN «La polution radioactive en milieu aquatique.»).
     Conclusion: les éléments rejetés dans l'estuaire supposés dilués plus ou moins rapidement peuvent séjourner plusieurs semaines voire plusieurs mois en suivant le mouvement du balancement des eaux. On peut ainsi retrouver dans le port de Nantes, voire à la prise d'eau potable de la ville de Nantes en amont du port (été 1975-76) ou sur les plages de la côte proche (Saint-Brévin) des polluants de toute sorte considérés comme «éliminés».
     Et que faut-il penser également de la possibilité que ces éléments radioactifs - ou du moins une partie - se déposent dans certaines zones critiques telles que les zones de sédimentation des vases ou la zone de la baie de Bourgneuf, connue pour ses huîtres?

i) Le bruit
     Nous apprenons, dans le dossier, que le bruit de fond est actuellement de 30 dBA et qu'avec la centrale, nous aurons 40 à 45 dBA. Bien entendu, on nous signale que cela est comparable au bruit du vent dans les arbres. Peut-être... On «oublie» seulement de préciser que les «fréquences» de ces bruits ne sont pas les mêmes et que, pour une même «intensité» de bruit, un bruit de machine est beaucoup plus désagréable que le vent dans les arbres!
Comment s'étonner alors des réactions de la population (voir plus loin) que ne convainct décidément pas les arguments du préfet:
     «Il ne s'agit plus cette fois du dossier EDF, mais du dossier des Mines, étoffé de toutes les appréciations, de toutes les enquêtes, de toutes les études et conclusions qui ressortent après deux ans d'interrogations. Un document par conséquent totalement objectif.»[11] (Ph. Mestres, Préfet de Nantes, cité par Ouest-France, 7.5.77).
     A ce stade, il est bon maintenant de parler de l'attitude des Services de Sécurité nucléaire et du conflit existant avec EDF à propos du site du Pellerin.


11. On frémit en pensant aux sous-entendus pour les documents EDF!
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V - L'opposition des Services de Sécurité Nucléaire
     Le conflit résulte en bonne partie de la carence - sans doute voulue - de la procédure de choix des sites. La Direction d'EDF dispose dans ce domaine d'une grande liberté de manoeuvre - à tous les sens du terme. C'est elle qui propose les sites. Actuellement, l'un de ses critères de choix important est trouver des notables pronucléaires sur lesquels elle pourra s'appuyer pour faire accepter le site. Celui-ci présente-t-il des inconvénients techniques? Qu'importe. On fera pression sur les divers services techniques de l'état pour qu'ils se montrent complaisants. On invoquera la raison d'état.
     La procédure de demande d'enquête d'utilité publique fut lancée en juillet 1976. Les services de sécurité furent questionnés et à la surprise générale leur avis fut très nettement  négatif. Alors commença un long conflit entre EDF et le SCSIN[12]. Ce dernier tenta de s'opposer et de bloquer la procédure, il ne put y parvenir.
     En effet la proçédure est telle que les services de sécurité n'interviennent de manière décisive qu'au stade ultime: lors de la parution du Décret d'Autorisation de construire, c'est-à-dire après que l'enquête d'utilité publique ait eu lieu, après que le Conseil d'Etat ait statué, etc.[13]. A ce stade, il est bien sûr trop tard pour bloquer. C'est du moins le raisonnement que semble tenir la Direction d'EDF.
     Pour quelles raisons les Services de Sécurité s'opposent-ils au choix du site du Pellerin?

a) le plus mauvais site du monde
     Pour apprécier les risques liés à l'implantation des centrales nucléaires, les Services de Sécurité prennent en compte divers éléments  probabilité d'accident, de rejets de produits radioactifs dans l'environnement, situation du site, densité de population, etc. Ils calculent avec cela ce que nous pourrions appeler un coefficient de danger.
     Pour Pellerin, le SCSIN a calculé que ce coefficient était de 7.3, alors qu'il est inférieur ou égal à 1 pour la quasi totalité des sites français actuels. Pourquoi un coefficient aussi élevé? Parce que le Pellerin est situé tout près de Nantes: il y a 437.955 hibitants dans un rayon de 20 km (chiffre calculé par le DSN[12]). Aux Etats- Unis les normes de sécurité imposent que les centrales PWR du même type et de la même puissance soient situées à plus de 35 km des villes de 100.000 habitants et plus.
     Par ailleurs, l'agglomération nantaise est située, par rapport à la centrale, sous les vents dominants pendant les 8 mois de l'année où le fonctionnement de celle-ci est maximal (période hivernale).
     Les vents charrieront des produits radioactifs (gaz rares, argon, xénon, krypton et vapeur d'eau tritiée) qui sont rejetés dans l'atmosphère torsque la centrale est en fonctionnement normal...
     «D'octobre a mars, du fait des conditions météo locales (fréquence des brouillards, occurrence du phénomène d'inversion de température, proximité de zones dépressionnaires entraînant une faible anémométrie), ceux-ci auront tendance à stagner dans la dépression alluviale de
la Loire, constituant ainsi un «plafond» d'irradiation  sur l'agglomération nantaise.»
     Si les risques d'accidents très graves sont très peu probables, il n'en est pas de même pour les rejets accidentels de produits radioactifs  dans l'environnement[14]. Dans le cas du Pellerin, de tels accidents pourraient avoir des conséquences très graves pour les populations. Il faudrait, dans certains cas, prévoir leur évacuation.

suite:
     Or qui sait évacuer rapidement une agglomération de 500.000 habitants? Nous serions curieux de savoir ce que prévoit le plan ORSEC-RAD à ce sujet. Comment faire pour éviter la panique compte tenu en particulier de la charge émotive du nucléaire dans la population?
     Nous donnons ci-dessous, à titre d'information, les courbes de population en fonction de la distance de la centrale:
courbes de population en fonction de la distance de la centrale
     Notons que parmi les 3 sites américains cités, deux ne seraient plus acceptés avec les actuels règlements: US Indian Point et Beaver Valley.
     Notons également que le site de Cattenom n'est guère plus brillant:
355.000 habitants dans un rayon de 20 km (ainsi que St-Alban St-Maurice: 187.000 habitants dans un rayon de 20 km toujours).
     Le SCSIN avait laissé entendre qu'il se battrait contre le choix de ces sites. Si le conflit reste à l'intérieur de la technocratie, on peut craindre que la voix de la raison ne soit guère entendue. De toutes façons, ce conflit doit être connu des populations concernées.
     Par ailleurs, il gêne considérablement les nucléocrates qui se plaignent constamment des empêcheurs de diverger en rond. Ces derniers sont toujours en train de réclamer de nouvelles mesures de sécurité
ce qui allonge les délais d'autorisation et de construction et augmente les prix, compromettant ainsi le bilan économique déjà peu reluisant. Dans ces conditions, il faut normaliser les constructions et les banaliser le plus possible, afin de faire disparaître le côté «aventure» de l'affaire. Le rêve est que l'industrie nucléaire soit considérée comme l'industrie chimique et soumise à aussi peu de contrôles. Ce n'est pas de nature à redonner confiance dans les services officiels chargés du contrôle!
     Et la population dans tout cela?

VI - De la méfiance, à l'hostilité
     Depuis l'annonce que le site du Pellerin était retenu pour l'implantation d'une centrale, les incidents ont été nombreux. D'abord méfiante, la population devient de plus en plus hostile et cette hostilité est en partie due à la façon dont elle est traitée. Elle a en effet l'impression:
     - que l'on veut l'intoxiquer (voir plus haut la propagande), voire l'acheter par tous ces voyages et ces repas organisés par EDF,
     - que dans le fond on la méprise, la considérant comme incapable de comprendre,
     - que l'on n'hésite pas à utiliser la répression et l'intimidation.


12. SCSIN: Service de Sécurité des Installations Nucléaires qui est issu du département de sûreté nucléaIre du CEA (D.S.N.). On l'appelle parfois le «Zinzin».
13. Voir annexe 2.
14. Que l'on se souvienne du nuage radioactif qui s'est échappé deux fois de suite, à quelques mois d'intervalle, des installations nucléaires de Pierrelatte. Et pourtant on peut penser qu'à la suite du premier rejet de sérieuses mesures ont dû être prises pour éviter le renouvellement de tels accidents fort gênants pour l'image de marque de l'industrie nucléaire:  elles ne permirent pas d'éviter ce second rejet!
 
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     Les arguments qui sont développés en faveur de la centrale trouvent peu d'échos, la politique énergétique globale, la lutte contre le chômage... ne sont pas convaincants et puis pourquoi faire du nucléaire alors qu'il existe déjà une raffinerie à Donges, un port charbonnier à Nantes et bientôt un terminal méthanier à Montoire (entre Nantes et St Nazaire), et que de plus il est possible de construire deux nouvelles tranches thermiques à Cordemais? Quant à créer des emplois, on sait rapidement que ce ne sera pas pour la main d'oeuvre locale.
     Il existe dans la région une forte tradition de syndicalisme agricole. Celui-ci, dès le début, s'interroge et très rapidement de nombreuses réunions sont organisées pour s'informer et ne pas se laisser imposer quelque chose que l'on ne connaît pas. Il se développe alors un climat grandement de méfiance qui se transforme en hostilité marquée lorsque le pouvoir veut brusquer les choses et décide l'enquête d'utilité publique. Le gros travail d'information joint à la tradition de lutte paysanne dans la région fait le reste.
     C'est en mai 1977 qu'un conseil interministériel, réuni à l'Elysée, décide de l'enquête pour le Pellerin et ce alors que la plupart des études préliminaires n'ont pas eu lieu[15], ainsi que nous l'avons vu. Très rapidement un mouvement de refus de de simulacre d'enquête se développe:
     - Les maires de 7 des 12 communes concernées par l'enquête refusent de collaborer avec l'administration et notamment d'afficher l'avis d'enquête. Le sous-Préfet de Nantes doit intervenir, l'afficher lui-même. A peine affiché, celui-i est arraché et brûlé par les conseillers municipaux.
     - Le jour de l'ouverture de l'enquête, les maires des communes du Pellerin et de Cheix, qui sont directement concernés par le projet car la centrale doit se construire sur leur territoire, interdisent l'accès de leur mairie au sous-Préfet. Celui-ci doit installer le dossier et le registre d'enquête dans une camionnette d'EDF, baptisée pour la circonstance «Mairie-annexe».
     - A la suite d'incidents divers - destruction de dossiers à Couéron et à Saint-Jean de Boiseau - deux autres camionnettes sont également aménagées en «Mairies-annexes».
     - Ces camionnettes, qui sont bien sûr gardées par la police, rentrent à Nantes le soir pour revenir le lendemain matin. De graves incidents, qui faillirent tourner mal, ont lieu quand les habitants de Cheix veulent interdire l'accès du territoire de leur commune à la camionnette qui rentre de Nantes.
     - La  population boycotte l'enquête. Elle exprime massivement et démocratiquement son opposition au projet. Les municipalités du Pellerin et de Cheix organisent, fin juin 1977, une consultation de la population: une pétition, rédigée par les élus municipaux, est présentée à la Mairie du Pellerin, la vraie. 80% des Pellerinois la signent, alors qu'à cette date il n'y a que 5 signatures sur le registre officiel (il y a 1.800 inscrits sur les listes électorales). A Cheix, cette pétition obtient les signatures de 95% des électeurs.
     - Une pétition refusant la centrale, et présentée par les Unions Départementales de la CFDT et de la CGT, recueille 30.000 signatures.
     - A la fin de l'enquête, les registres officiels ne comportent la signature que de 95 personnes approuvant le projet: 750 ont marqué leur opposition; parmi elles, une délégation du Congrès du Parti Socialiste qui s'est tenu à Nantes en juin 1977.
     - A la suite des incidents et en particulier de la destruction publique de dossiers, le préfet tenta l'intimidation en intentant un procès à des paysans. La condamnation, en juin 1977, de cinq d'entre eux fut perçue comme une injustice. Le choix délibéré de paysans travailleurs dans l'espoir qu'ils seraient considérés comme trop en pointe, fut un échec. La solidarité se manifesta, l'appui de personnalités scientifiques connues: Cousteau, Tazieff, Bombard,etc., entraîna dans la précipitation la tenue d'un autre procès en appel cinq jours seulement après le premier jugement. Voilà vraiment une justice rapide... saluons le fait, il est rare et traduit bien la reculade précipitée des «autorités».
suite:
     Il n'est pas surprenant qu'une enquête conduite d'une manière aussi invraisemblable se termine d'une maniere tout aussi invraisemblable. Bien que se jugeant incompétents (sic), les commissaires enquêteurs concluent à l'utilité du projet!
     «Sans avoir la compétence pour vérifier les études scientifiques et techniques qui ont abouti au projet soumis, la commission n'a pas trouvé de raisons valables de contester la réalisation du projet.» (extrait du rapport des commissaires enquêteurs).
     Ce qui fera dire à M. A. Chenard, maire de Nantes, que tout ceci n'est qu'une parodie d'enquête.
     «750 personnes ont exprimé un avis défavorable, 30.000 ont signé des pétitions d'opposition et... 35 personnes ont dit oui à la centrale. C'est ce que l'on pourrait appeler un «non» franc et massif. Comment une commission se déclarant consciente de sa responsabilité peut-elle dans ces conditions donner un avis favorable? Pour moi, la mauvaise foi des commissaires enquêteurs est évidente. Ils m'apparaissent comme étant aux ordres d'un gouvernement qui, désormais, tente d'opposer  le pouvoir administratif  au  pouvoir politique.»(Ouest-France du 30.8.77).
     Décidément, vraiment cette enquête dite d'Utilité Publique a été un modèle du genre:
     - études préliminaires indispensables pas effectuées,
     - enquête imposée contre l'avis des élus locaux,
     - enquête qui se déroule sous la protection de la police, en dehors des locaux communaux,
     - refus massif de la population,
     et malgré tout cela... AVIS FAVORABLE bien que sans fondement!
     Comment s'étonner dans ces conditions que des actions tous azimuths se développent et que tout ce qui de près ou de loin semble avoir un rapport avec le projet de centrale, éveille l'hostilité de façon quasi automatique, par exemple:
     - A la fin de l'année 1977, une station d'analyse d'eau à la Martinière a été détruite. Il n'était pourtant pas évident qu'elle avait été installée pour les besoins d'EDF. Elle n'est toujours pas remplacée: personne n'ose le faire.
     - Au début de 1978, un technicien a été envoyé par la Région d'équipement d'EDF de Tours, pour faire des relevés topographiques avec la «casquette» de l'IGN (Institut Géographique National). Il a été immédiatement repéré et, malgré les doutes, les habitants lui ont donné quelques minutes pour partir.
     - Pour étudier les retombées de sel provenant des futurs réfrigérants (l'eau de la Loire est saumâtre au Pellerin, surtout en été), plusieurs pluviomètres d'un type spécial ont été installés dans la région pour mesurer les retombées naturelles de sel. Ils étaient exploités par des agents EDF. Il semble que l'exploitation de ces appareils soit arrêtée depuis quelques mois, personne n'osant plus s'en charger.
     - Pour essayer sans doute d'y voir plus clair, la direction d'EDF finance même des travaux d'anthropologie sociale (sic) et là encore les «bons sauvages» ont éconduit le chercheur qui venait les étudier...
     Comme on le voit, la situation est assez tendue et le récent résultat des élections législatives le montre clairement:
     20 et 35% de voix pour les écologistes au Pellerin et à Cheix... un record du genre. Signalons que de plus un Groupement Foncier d'Achat a été constitué pour rendre difficile l'acquisition des terres (voir annexe 5) et qu'un «Comité de Surveillance»[16] diffus dans la population existe pour faire face à toutes les éventualités.
15. En novembre 1975, le préfet de Nantes prit un arrêté pour autoriser EDF à pénétrer dans les propriétés privées pour effectuer des sondages toujours pas réalisés. Il faut dire qu'en mai 1977, une tentative fut faite, la campagne était organisée, tout était prêt... y compris les deux escadrons de gendarmerie et leur cantonnement (des colonies de vacances). Mais les comités d'accueil paysan, également prévus, firent annuler toute l'opération.
16. Désignation EDF.
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     Aussi EDF est conduit à utiliser de curieux procédés pour se faire discrète et essayer malgré tout de développer son action. Par exemple, elle demande à certains de ses agents en retraite de faire ce qu'elle appelle des «missions d'information personnalisées», c'est-à-dire en fait de soutenir, par des contacts personnels, le moral quelque peu défaillant des rares pronucléaires de la région du Pellerin. C'est un de ces agents un peu spéciaux qui a été retenu quelques heures par des habitants du Pellerin, en janvier 1978. Des documents lui ont été confisqués:
     «Ces documents ont provoqué la colère des habitants du Pellerin. Parce qu'ils décrivent des installations et des projets de travaux que ne prévoyait pas l'enquête d'utilité publique et qu'ils définissent  un  plan de sensibilisation psychologique de la population pour faciliter l'implantation de la centrale.
     On y trouve aussi fichés un certain nombre d'habitants du Pellerin et des communes voisines. Certaines annotations pourraient prêter à sourire, telle que «écologistes de gauche», d'autres n'amusent pas, ainsi ce commerçant qualifié «d'antinucléaire primaire, alcoolique ou drogué». Ces documents ont sérieusement ébranlé les élus qui se sentent mis hors circuit par EDF.» (Ouest-France du 14 janvier 1978).
     Il semble que cette personne était aussi chargée de préparer l'achat des terrains nécessaires à la construction de la centrale...

VII - Alors?!...
     En faisant cette Gazette, nous avons voulu illustrer ce que nous répétons depuis le début de notre publication: il n'est pas possible de se réfugier dans la fuite en avant pour les promoteurs du programme sans utiliser des méthodes policières de plus en plus inquiétantes. Un débat national doit s'ouvrir, les populations concernées doivent pouvoir choisir en tout état de cause si elles acceptent ou non l'implantation d'une installation dangereuse,  nucléaire ou non d'ailleurs.
     La situation tendue qui existe actuellement dans la région de l'éventuel site du Pellerin montre aussi que le débat sur le nucléaire est pour un grand nombre l'occasion de remettre en cause pas mal de choses: la croissance, le développement productiviste, l'impact social de la technologie.

suite:
     A cet égard, il est intéressant de citer un passage de l'intervention de M. James Wrigh, directeur de Westinghouse, qui, à la foire des Industries Nucléaires de Bâle, en 1972, déclarait:
     «Les mouvements d'opposition aux centrales nucléaires deviennent de plus en plus puissants parce qu'ils ont changé de camp. Les nouveaux protagonistes ne sont plus des illuminés ou des étudiants excités, mais des hommes responsables de 30 à 35 ans, qui ont le temps et les
moyens de se consacrer à cette cause. C'est là que réside la force d'un mouvement qui gagne peu à peu le monde libre. La controverse n'est plus alimentée par un manque d'information ni une hystérie collective, elle ne vise plus le taux des rejets radioactifs dans l'atmosphère ou la pollution thermique, elle est désormais dictée en l'absence de toute émotivité par des jugements de valeur... L'opinion qui veut désormais participer aux décisions prises par le gouvernement ou les industriels leur demande: "où ces décisions nous  mèneront-elles?"  et "souhaitons-nous  vraiment en  arriver là?". »
     Si le Pellerin est maintenu contre vents et marées car les «nucléocrates» en font un test et que pour eux abandonner le site est une reculade inacceptable qui leur fait craindre de ne plus pouvoir trouver de site. Alors que dans leur otique «Si le Pellerin passe, tout passe »[17].
Mais dans ce cas, on peut tout craindre lors de la construction, voire même pendant l'exploitation[18].
     Que l'on nous comprenne bien, il ne s'agit nullement d'un appel à la violence, mais au contraire d'un appel à la sagesse. Ce site est de toutes façons inacceptable, un échec des services de sécurité nucléaire serait grave de conséquences pour l'avenir. Aussi d'avance, nous récusons tous ceux qui déploreraient les éventuelles violences, alors qu'ils se seraient tus lors de la première violence institutionnelle du coup de force. Nous ne voulons jouer ni les Cassandre... ni les Ponce Pilate, mais mettre chacun devant les responsabilités qui sont les siennes.
     Enfin, il faut suivre avec attention le conflit actuel entre les services de sûreté et EDF.
17. C'est ce qui se dit à EDF...
18. Ce qui serait encore plus grave.
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